Immigration et ségrégation spatiale, l’exemple de Marseille

Millefeuille | Immigration et ségrégation spatiale, l’exemple de Marseille

Odyssée de l’espace

 

Dans Immigration et ségrégation spatiale, un collectif d’auteurs s’empare du cas emblématique de la gestion de l’habitat à Marseille, entre synthèses historique, sociologique et prospectives.

 

 

couverture livre Immigration et ségrégation spatiale, l’exemple de MarseilleComme le rappellent les auteurs, le territoire marseillais se divise en deux parties : au sud de la Canebière, les quartiers « favorisés », et au nord ceux qui le sont beaucoup moins. Ici, c’est presque devenu un lieu commun, mais ce livre permet de prendre en compte les différents éléments historiques, politiques ou démographiques qui expliquent cet état de « ségrégation ». Il est à l’œuvre depuis la fin du XIXe siècle, lorsque les classes populaires laborieuses s’installent près du port et des industries issues du commerce colonial (sucre, savon, huile) situées au centre et au nord, pendant que les familles bourgeoises s’implantent loin des lieux de production, plus au sud. Les auteurs reviennent sur cette histoire singulière qui fera venir beaucoup de mains-d’œuvre des colonies, d’Italie et de Corse et qu’il faudra loger. Mais aussi sur les types d’habitats qu’on leur propose, baraquements, cités de transit, et cette évidence d’alors : les travailleurs étrangers ne peuvent être présents que temporairement.

L’histoire était mal engagée, elle s’écrira avec deux guerres mondiales, la fin du commerce colonial, le rapatriement d’Algérie puis le choc pétrolier de 1975. Les flux de personnes entraineront une évolution de la démographie de 636 000 habitants en 1954 à 908 000 en 1975. Il faudra loger, mais pas n’importe où, et c’est là que le politique prend le pas sur l’histoire. L’ouvrage s’intéresse alors aux différentes actions mises en place pour favoriser la production de logements ainsi qu’aux solutions d’habitats. Il est fait un état descriptif des différents grands ensembles, des quartiers du centre ville concernés, avec plans de masse et cartographies sur le territoire qui apportent une vue globale complétée par une remise en contexte de l’architecte Thierry Durousseau.

Le livre ne s’arrête pas aux constats et s’ancre dans le contemporain. Des actions de réhabilitations aux politiques de gentrification, la frontière est ténue, comme nous le rappelle Nicolas Mémain, qui évoque la requalification honteuse de la rue de la république. Un cas d’école qui vire au fiasco après avoir expulsé ses habitants et jette l’opprobre sur toute opération publique (ce qui explique la défiance des habitants face au projet de la Plaine).

Avant d’être un ouvrage, Immigration et ségrégation spatiale, l’exemple de Marseille était le sujet sur lequel les étudiants du département d’architecture de l’Université de Zurich devaient plancher (sous la direction des auteurs) : ou comment développer un urbanisme inclusif tourné vers tous les citoyens en évitant le piège de la promotion et de la spéculation immobilière. C’est pourquoi on retrouve ici des idées de trames urbaines et organisations sociales pour Noailles, le parc Bellevue, le parc Kalliste, La Castellane et Euromed II. Les propositions de réécriture de ces quartiers avec plans, élévations et mise en situation en 3D sont didactiques et correspondent à une boite à outils bien pensée, mais semblent éloignée de toute analyse de terrain, d’éléments de concertation, de toute prise en compte sociologique (densifier pour réparer les grands ensembles, mais pour quelle catégorie sociale ? Et dans quel objectif ?). C’est le seul point faible d’un essai assez complet sur la question, très bien conçu, volontariste et riche en iconographie.

 

Damien Boeuf

 

À lire : Immigration et ségrégation spatiale, l’exemple de Marseille sous la direction de Marc Angélil, Charlotte Malterre-Barthes & Something Fantastic (éditions Parenthèses)