Equipe de l'Alhambra © Yohanne Lamoulère © Yohanne Lamoulère

L’Interview | William Benedetto (l’Alhambra)

Bientôt trente ans que William Benedetto a amerri à Saint Henri, dans ce cinéma que la Ville de Marseille lui a confié. Avec la force tranquille des vrais capitaines, infatigable à la barre et toujours vigilant, il repose d’emblée les choses sur les trente prochaines années.

 

L’Alhambra, ici, dans ce quartier, c’est quoi ?

Difficile d’échapper à l’Alhambra quand on débarque dans le 15/16. Grâce au soutien des financements publics, au travail d’orfèvre réalisé au quotidien par une équipe stabilisée (onze personnes, ndlr), et à travers les parcours scolaires et le travail de partenariat, on a pu toucher le plus grand nombre. Mais cette dimension quantitative ne doit pas occulter la qualité ni la permanence de la conquête de nos publics. Ici, il ne s’agit pas que de programmer des films, mais de tout faire pour que tout le monde puisse venir, y compris ceux qui ont faim de culture, y compris les cinéphiles. Nous sommes donc en permanence à l’œuvre dans cet énorme chantier, pour définir nos priorités.

C’est-à-dire ?

On pourrait faire davantage sur cet équipement, le rénover et le moderniser. Faire de la verrière un véritable lieu d’exposition, digne de ce nom, proposer une restauration et ouvrir une deuxième salle de projection, ce qui nous permettrait de désengorger le scolaire (7 000 enfants et jeunes viennent chaque année, ndlr). L’Alhambra est balisé dans des dispositifs à l’année et nous voudrions avoir la possibilité d’agrandir l’offre et d’être plus présent sur les sorties de film. D’avoir une programmation plus intime aussi. On peut réfléchir à toutes sortes de combinaisons. Quand on est porteur d’un travail au long cours comme c’est le cas, on est enracinés et donc plus solidaires. Ici, il y a de la place bien sûr, mais on doit rester dans le confort, et dans la qualité de l’accueil.

On est ouvert tous les jours, les soirs et les week-ends. Telle est la vocation des salles de cinéma : d’être des lieux faits pour le public. C’est ce qui pourrait être permis lors du prochain Conseil municipal, qui votera, je l’espère, pour nous en donner les moyens.

 

Quel regard portez-vous sur notre ville aujourd’hui ?

On est dans un moment très particulier à Marseille ; les contrastes se prononcent de plus en plus, un peu comme à Bombay, avec de grands architectes qui bâtissent et qui nous font faire le grand écart. Et c’est là que le cinéma intervient, dans cet enjeu symbolique. Finalement, le règlement de compte à la Bricarde (cité HLM du 15e, ndlr) n’offusque plus personne, il y a comme une indifférence à ce que vivent quand même des milliers d’enfants. Et la responsabilité n’est pas que celle des élus, elle est commune. Quelle solidarité a-t-on établi avec 2013 ? Et avec 2018 ? Regardez Shéhérazade, le film qui a été récompensé : c’est le réel, et c’est ça qui marche ! Il faut continuer d’interpeller les acteurs culturels, défendre nos chapelles. Ici, on est sur un territoire où la moitié de la ville n’est pas concernée par les festivals d’été. À la Solidarité (autre cité HLM, dans le 14e), ce sont les dealers qui ont installé des piscines pour les gamins ! Veut-on entrer dans un développement urbain sur le modèle de Barcelone ? Il faut décréter l’état d’urgence de la culture, mobiliser les individus de ce côté là, et non pas niveler par le bas !

Pour grandir, il faut faire ce qu’on n’a pas l’habitude de faire. Il faut rester humble, garder l’attention aux autres.

 

Quel rôle joue alors le cinéma ?

Le cinéma, je le vois comme ce qui amène de l’inconnu dans les pattes du public. Il amène de l’ancien, de l’ailleurs. On est bien conscients qu’on ne peut pas tout faire, mais il faut tendre la main, montrer qu’on fait attention aux autres, pour qu’ils se sentent moins seuls. On a donc renforcé le nombre de séances, proposé plein de choses, parce qu’on ne peut pas être classé « art et essai » — il faut 80 % des séances qui le soient dans une grande ville pour obtenir le label. L’Alhambra doit être un point d’entrée, pour faire s’élargir les possibles. Il faut lâcher le positionnement et être dans l’action. Les gens doivent repartir avec un vécu. Contre ce concept de la déception, où les critiques perdent leur crédit, où les gens sont échaudés d’être pris comme des benêts, il faut arrêter de faire porter aux films beaucoup trop de choses. Il faut se concentrer sur comment travailler ensemble, trouver une façon agréable et sympathique pour amoindrir cette déception et son petit jeu de massacre. Je crois qu’on souffre trop de nos egos, et on doit faire un choix de société : on ne sauve pas des vies, mais on mobilise, on se mobilise pour relier l’intime à l’universel et se sentir moins seul.

 

Propos recueillis par Joanna Selvidès

 

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