L’Interview : Virginie Despentes + chronique de Bye Bye Blondie

L’Interview : Virginie Despentes + chronique de Bye Bye Blondie

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L’Interview : Virginie Despentes

Douze ans après la sortie de Baise-moi et les nombreuses polémiques qu’il avait suscitées à l’époque, la romancière Virginie Despentes revient à la réalisation pour adapter son Bye Bye Blondie. Une histoire d’amour, des années 80 à nos jours, sur un air de punk rock.

Après le scandale provoqué par Baise-moi, votre retour derrière la caméra a-t-il été bien accueilli ?
On ne peut pas dire que j’ai reçu beaucoup de soutien. A l’exception de Wild Bunch (NDLR : société de production et distribution) qui est là depuis le début, peu de gens voulait travailler avec moi. Le cinéma français est assez frileux avec les histoires un peu alternatives. On voit par exemple très peu de films sur l’histoire du MLF, qui a pourtant joué un rôle important en France.

Avez-vous eu peur de réveiller les démons de la censure avec ce nouveau film ?
J’essaie d’en faire abstraction, sinon je ne pense qu’à ça. L’emportement à la sortie de Baise-moi a été disproportionné. Il faut se souvenir que le film a été retiré de toutes les salles, et comme nous avons refusé le classement X, il est resté invisible pendant un an. Ils ont réinventé l’interdiction aux moins de 18 ans pour moi ! Ça a lancé le film de façon formidable, mais j’ai été très marquée de recevoir autant de sentiments négatifs. Cette expérience m’a d’ailleurs beaucoup questionnée. Pourquoi, quand les gens sont confrontés au porno, qui reste un genre cinématographique, sont-ils dans un état second, incapables de réfléchir, et font-ils appel à la censure ? Ce sera peut-être l’objet d’un travail un jour. La censure empêche la représentation du sexe, qui ne devrait pas seulement servir à la masturbation. Je pense que le porno est un moyen d’ouvrir les cerveaux.

Le bouquin raconte l’histoire d’amour entre Gloria et Eric. Pourquoi avoir choisi d’en faire une histoire homosexuelle en remplaçant Eric par Frances ?
Quand j’ai rencontré Béatrice Dalle, je savais qu’elle serait parfaite pour Gloria. Mais on ne trouvait personne pour le rôle d’Eric et on s’est dit que ce serait plus malin de prendre une femme. Cela rendait le film plus indispensable. Personnellement, je suis en couple avec une femme depuis six ans et je me rends compte que l’homosexualité féminine est totalement invisible au cinéma. Le cinéma est un outil de propagande formidable et il véhicule sans cesse le même modèle du couple traditionnel. Il y a dix ou vingt ans, c’était plus facile de faire un film communautaire, mais depuis une dizaine d’années, le cinéma s’est resserré sur un public familial.

Le film est aussi un hommage aux années 80 et au mouvement punk. Etes-vous nostalgique de cette période ?
J’ai l’impression que c’était un autre siècle ! On est vraiment passé très rapidement à autre chose. En tout cas, cette France-là est bien finie. Mais je n’ai pas voulu mettre trop de références 80’s car souvent ça ne rend pas bien à l’écran, ça fait daté. Par contre, j’aimais bien l’idée que mes deux actrices soient des icônes hétéros de ces années-là… Le mouvement punk est rarement, si ce n’est jamais, dépeint dans le cinéma français, contrairement à ce qu’on voit en Angleterre. Pourtant, il s’est passé plein de choses dans le punk français.

Vous qui avez fait partie de l’aventure Béruriers Noirs êtes bien placée pour en parler…
Je les ai connus très tôt. Entre quinze et vingt ans, on les suivait de ville en ville, j’étais à chacun de leur concert. On est passé en trois ans des concerts dans les caves aux salles de 3 000 personnes. C’était une période formidable, mais j’ai aussi réalisé que le succès ne rend pas forcément heureux. S’il ne rapporte pas d’argent en plus, on peut même dire qu’il fout plutôt la merde.

Du coup, dans Bye Bye Blondie, vous vous êtes fait plaisir sur la musique…
C’était l’occasion de mettre des titres qu’on n’entend jamais au cinéma ou à la radio. J’ai surtout pioché dans la scène alternative et indépendante de l’époque. J’ai mis les Béru bien sûr, mais aussi Lydia Lunch, qui fait d’ailleurs une apparition dans le film, Parabellum, OTH ou La Souris Déglinguée, qui sont des groupes phares de l’époque, et dont les musiques et les paroles n’ont pas pris une ride.

Propos recueillis par Daniel Ouannou

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Que reste-t-il de nos amours ?

Bye Bye Blondie
(France – 1h37) de Virginie Despentes avec Emmanuelle Béart, Béatrice Dalle…

Les 80’s ne sont pas seulement les années fric. En France, elles correspondent aussi à l’explosion du mouvement punk et de la scène alternative. Virginie Despentes est une enfant terrible de cette génération. Quand paraît son sixième roman Bye Bye Blondie en 2004, son écriture labellisée trash et rock’n’roll lui confère déjà une place à part dans le petit monde littéraire… Bye Bye Blondie raconte la passion amoureuse de deux adolescentes marginales au cœur du mouvement punk des années 80 et leurs délicates retrouvailles vingt ans plus tard. En effet, les deux punkettes ont suivi des chemins radicalement opposés. Alors que Gloria (Béatrice Dalle) vit toujours dans la marginalité, Frances (Emmanuelle Béart) est une présentatrice de télévision à succès. En mêlant intelligemment l’histoire actuelle des deux femmes avec des flashback de leur jeunesse sex drugs & rock’n’roll, Virginie Despentes pose une question essentielle : que reste-t-il de nos passions adolescentes et de nos rêves lorsqu’on devient adulte ? Contrairement à Baise-moi, son premier opus, où la forme comme le fond s’avéraient volontairement déconcertants, Despentes choisit ici une réalisation et un montage classique laissant toute la place à son histoire. Malgré le jeu plutôt approximatif des deux têtes d’affiche, dû en partie à des dialogues trop écrits, il se dégage une incroyable et troublante sensualité chaque fois qu’elles se retrouvent dans le même plan. Mention spéciale à Stéphanie Soko et Clara Ponsot, les deux adolescentes qui, par leur naturel et leur fraîcheur, s’en sortent bien mieux que leurs aînées, ainsi qu’à un Stomy Bugsy qu’on aimerait voir plus souvent au cinéma. Avec ce film, l’auteure fait d’une pierre deux coups en ancrant son histoire dans le mouvement alternatif dont elle fut partie prenante. Sur une bande son d’enfer, Virginie dépeint une génération rebelle et résolument antisociale rarement représentée dans le cinéma français, livrant un film à la forme conventionnelle mais au service des marginaux.

Daniel Ouannou