Io sono Rocco de Salvatore Calcagno © ElsDeNilRHoK

L’Interview | Salvatore Calcagno

Revenant pour la deuxième fois à Marseille, toujours dans le cadre du Festival Actoral, Salvatore Calcagno a présenté sa dernière création, Io sono Rocco, au Théâtre des Bernardines. Rencontre avec un artiste orfèvre de l’intime et en perpétuelle recherche.

 

Faites vous des spectacles de théâtre ou de danse ?
« Du théâtre. J’ai toujours écrit mes spectacles comme du théâtre. Cette pièce est particulière car il n’y a pas de paroles, de mots, essentiellement de la musique. Pour la première fois, j’ai travaillé avec un danseur, avec une chanteuse. Ces éléments là sont aussi dus à une commande du Kunstenfestivaldesarts et au fait que le directeur m’a encouragé à essayer, pour une fois, de travailler avec du chant et de la danse. Parce que dans mes précédents spectacles qu’il avait vus, il avait perçu et se dégageait effectivement un travail important sur la voix et le corps des acteurs.

 

Autrement dit, vous faites du théâtre mais on vous pousse à faire de la danse ?
On veut même me pousser à faire de l’opéra ! Je comprends pourquoi car il y a dans mes spectacles une grande marque esthétique, je fonctionne aussi beaucoup par construction de tableaux où je travaille considérablement la lumière, les couleurs. Il y a également une dimension lyrique dans chaque tableau. Et ça se lit parfois plutôt comme un opéra que comme une pièce de théâtre.
Mais je n’en suis pas encore là, à créer un opéra. Je pense que cela va arriver avec le temps, je dois d’abord mener mon travail à maturité pour arriver à ça. Et puis, ce qui me plait dans le théâtre, c’est qu’il permet de réunir toutes ces disciplines différentes.

 

Cela arrive-il de manière totalement instinctive ?
Oui, ce n’est pas du tout recherché. Il y a toujours la volonté de sublimer le réel, le quotidien, qui amène à ce lyrisme-là.

 

Est-ce que cette sublimation de la beauté passe par le choix d’interprètes au physique parfait, comme ce fut le cas dans la première distribution au Kunstenfestivaldesarts ?
Je construis mes spectacles comme des grandes fresques où le corps des acteurs est au premier plan. Je ne choisis pas des physiques parfaits mais des physiques peints, sculptés.

 

Votre distribution a déjà changé depuis la création et en raison des plannings très chargés de vos interprètes. Cela va-t-il se reproduire ? Ces modifications amènent un travail supplémentaire de reprises de rôles, en quoi cela vous intéresse-t-il?
Les changements de distribution entrainent des répétitions. Chaque acteur interprète le geste différemment, ce qui vient nourrir la partition chorégraphique du spectacle.
Si les interprètes changent, les figures de la fresque changent, la lecture du spectacle change.
Dans Io sono Rocco, ce que j’aime, c’est que, comme dans la vie, la mort prend plein de visages et de formes différentes : elle s’insinue tantôt sournoisement, sous un déguisement, tantôt avec le visage de l’horreur.

 

Pensez-vous que la mort et la beauté soient souvent liées ? 
Oui. Je pense qu’il ne faut pas diaboliser la mort. Le combat contre la mort est semblable à une histoire d’amour. C’est compliqué, c’est difficile, mais c’est beau. Lorsque j’ai vu mon père partir s’est installé le silence ; un silence immense, à la fois tragique et magnifique.

 

Comment arrivez-vous à faire émerger cette beauté-là dans Io sono Rocco ?
Ce spectacle raconte la dernière nuit d’un homme avant de mourir. La mort vient l’apprivoiser. C’était important pour moi de restituer quelque chose de sublime concernant cette ultime nuit, dans cette lutte contre le cancer, comme on aurait pu rêver notre dernier combat. Ainsi, cela passe physiquement par ce que représente cette mort pour cet homme, ce qu’elle entraine, et ce sont les éléments au plateau qui viennent rendre ce moment grandiose en fait.

 

Il y a ce mouvement circulaire de la table et ce jeu de couteaux qui forment comme une transe…
Certainement. Ce sont des éléments qui donnent une pulsion de vie.

 

Est-ce dans une réalité ou dans une forme fantasmée ?
Nous sommes dans les deux. Chaque interprète a un rôle spécifique. La chanteuse, celui de la mère et de la femme. Le danseur a le rôle du père et du fils en même temps. On peut imaginer et projeter ce que l’on veut sur lui. La comédienne joue le rôle de la mort.
Il y a des personnages, un lieu, un temps très définis. On sait où l’on est et avec qui. Après, le coté fantasmé arrive de par l’imaginaire et l’univers qui est mis en place.

 

Comment s’applique ici ce rapport si particulier que vous avez à la lumière ?
La lumière est aussi importante que dans mes autres spectacles, mais différemment. Elle vient donner la couleur du tableau. Elle agit sur les corps. Elle vient aussi sublimer le fantasme et le nourrit énormément.

 

J’imagine qu’elle n’est donc pas sombre au vu de ce que vous voulez exprimer ?
Non, en effet ! Mais la lumière n’est jamais un élément sombre chez moi. Ce sont souvent les couleurs du Sud, de plein jour du sud. Bien que le début de ce spectacle soit davantage dans une tonalité un peu blanche d’hôpital.
Je fais toujours un aller et retour, que ce soit au niveau de la lumière ou de la musique, entre la réalité et le fantasme. Je pars d’éléments, de situations concrètes que l’on peut identifier directement pour pouvoir ensuite partir dans le fantasme. Et la lumière n’échappe pas à ce processus. Partir presque d’un lieu concret pour aller de l’hôpital vers le sud de la Sicile.

 

Ce spectacle est qualifié de mimodrame contemporain. De belles étiquettes sont déjà accolées à votre spectacle…
Un peu trop ! Je ne trouve pas ce qualificatif juste. Je le qualifierais juste de spectacle de théâtre qui véhicule un lyrisme particulier. En ce qui concerne le mimodrame, c’est vrai qu’il y a cette chose où il n’y a pas de paroles, où tout est défini par la musique et c’est vrai que l’on va utiliser beaucoup les codes de la pantomime, des premiers opéras muets. Enfin, je dis les premiers opéras muets, mais pour moi, ce sont les westerns spaghetti par exemple, avec ses longues scènes où il n’y a que de la musique, des regards.

 

C’est pour cela que vous avez utilisé la musique d’Ennio Morricone ?
Pas seulement ! Au final, j’ai utilisé les vinyles que j’avais hérités de mon père.
C’est une contrainte que je me suis donné de travailler à partir de ces vinyles, de cet héritage-là. Je me suis amusé à décortiquer tous les vinyles de mon père, toutes les musiques, que ce soient les italiennes, les Morricone, les musiques classiques. Et avec tout ça, j’ai construit trois tableaux qui voyagent. En fait, j’ai défini le voyage du spectacle avec la musique. Comme on pourrait écrire une partition, j’ai utilisé les musiques qui existaient pour voyager même s’il y en a qui sont un peu réinterprétées et que j’ai travaillées avec un musicien. Soit dans le but de s’amuser un peu, soit parce que la guitare m’intéressait plus dans cet enregistrement ou le piano. Et comme j’ai une affinité très forte avec la musique…

 

Comment expliquez-vous cet attrait aussi fort pour la musique ? Est-ce seulement un héritage familial ?
Les musiques appellent des couleurs, identifiées et identifiables, qu’on relie à des images et des émotions instantanées sur lesquelles il est possible de projeter le spectacle. Dans leur sillage, elles amènent d’autres images. Par exemple, il n’y pas de chevaux sur le plateau mais il y en a. La musique les convoque. L’idée est de faire un voyage. Et la musique le permet. Dans Io sono Rocco, je fais mon devoir de fils, de metteur en scène, de fils metteur en scène, d’interpréter à ma manière la musique que mon père m’a léguée.

 

Vous allez encore creuser le sillon autobiographique ?
La matière première, c’était le vécu et comment je le transformais, comment je le lisais. J’avais besoin de passer par là avant de commencer à regarder le reste. Je prépare d’autres spectacles où j’irai chercher la matière ailleurs. L’autobiographie n’est pas quelque chose que je réfléchis en tant que nécessité. Elle est là. Je dis ça car l’autobiographie touche de toute façon à des sujets très universels ; finalement, les thématiques sont toujours les mêmes. J’ai l’impression que c’est aussi un peu un passage obligé.

 

Est-ce que ça serait quelque chose de rassurant ?
Il faut assoir quelque chose sur quelque chose. C’est aussi une façon d’explorer l’univers qui m’appartient.

 

Donc quels seront ces nouveaux projets ? Un opéra ?
Je travaille sur la jeunesse, sur les adolescents. La génération après 1995. Pour le moment, il s’agit d’une recherche menée dans plusieurs villes en Europe, pour faire un peu le portrait de cette génération là.
Mais je ferai un autre spectacle avant, une commande du Théâtre de Liège avec l’Orchestre philarmonique de Liège. Ce sera La Voix humaine de Jean Cocteau.

 

Propos Recueillis par Marie Anezin

 

Io sono Rocco était présenté les 7 & 8/10 au Théâtre des Bernardines, dans le cadre du festival ActOral.