L’interview : Renaud Marie Leblanc (Didascalies and Co)

L’interview : Renaud Marie Leblanc (Didascalies and Co)

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Loge-grenier du Théâtre de Lenche : en pleines répétitions de sa nouvelle création, Renaud Marie Leblanc nous reçoit, grignotant à la hâte un biscuit à travers son écharpe. Metteur en scène et acteur-orateur d’une Conférence insolite donnée sur les planches, il campe un personnage acerbe, errant dans une France où l’artiste ne se reconnaît plus. Confidences d’un conférencier lucide…

Pourquoi remonter sur scène, dans une performance en solitaire, après seize ans de mise en scène et d’écriture ?
Je n’avais pas de velléités particulières de retour sur les planches… jusqu’à la rencontre avec le texte de Christophe Pellet. Il m’est apparu que le propos de La Conférence pouvait animer certains sentiments personnels, sur la place de l’artiste dans la société, et j’ai eu envie de le porter moi-même. J’avais besoin de « ré-éprouver » de l’intérieur le chemin du jeu, pour m’éclairer moi-même.

Un lien puissant à l’écriture semble jalonner votre parcours artistique. Des plumes intenses — Noëlle Renaude, Lars Norén… — prennent grâce à vous le chemin de la scène. Que pouvez-vous nous confier de votre amour pour la langue ?
Je crois que mon amour pour la langue, comme vous dites, vient de mon amour pour la musique. Ou peut-être l’inverse. J’ai longtemps essayé d’écrire, parfois j’y suis parvenu un peu, mais au fond, devant une écriture architecturée, composée, je suis toujours extrêmement ému : je me dis qu’il y a des hommes et des femmes qui ont su faire ça, passer du temps à organiser des signes, comme un geste premier. Je me sens très petit et ridicule à côté. Et c’est vrai que les auteurs que vous citez portent à des endroits très différents ce sentiment de l’unique, du monde recréé par l’écrit. Quand on a affaire à cela, on comprend pourquoi on fait de la mise en scène. Parfois, comme pour Christophe Pellet, il s’agit d’une rencontre personnelle avec une écriture qu’on a envie de défendre.

La notion de « co-signature » est récurrente dans vos projets. Aujourd’hui encore, vous signez une mise en scène en duo avec Vincent Franchi…
Chaque spectacle est évidemment une co-signature collective de tous ceux qui y travaillent, même si je garde une sorte de « final-cut », puisque j’endosse la responsabilité artistique. Là, c’est différent, je ne peux pas être sur le plateau en train de jouer et me regarder dans le même temps. D’ailleurs, ce ne serait pas souhaitable. Avec Vincent Franchi, nous progressons par allers-retours successifs. On se dit des choses, on les exécute, puis on se retrouve comme deux metteurs en scène et on en parle parfois comme d’une tierce personne. C’est assez réjouissant en fait. A une semaine de la première, je deviens de plus en plus acteur et Vincent, le vrai metteur en scène.

Votre personnage, Thomas Blanguernon, auteur dramatique, fait une conférence dans « une entreprise culturelle de l’Etat français ». Une périphrase cinglante pour une salle de théâtre…
La conférence n’aura en fait jamais lieu sur le plateau. Cette conférence, c’est lui-même, perdu dans les « entreprises culturelles françaises affiliées à l’Etat français et empoissées d’esprit français », une chaîne diabolique qu’il n’arrive pas à rompre. A tous ces niveaux, il porte une honte de la France. Je crois que le fondement du propos, c’est le manque de désir. Quand une société ne désire plus ses artistes, ils meurent lentement et ladite société est déjà éteinte en fait. Quand l’art meurt, c’est que quelque chose est déjà mort depuis longtemps.

Propos recueillis par Hannah Devin

La Conférence : jusqu’au 6/11 au Théâtre de Lenche (4 place de Lenche, 2e). Rens. 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info
A noter : Erich Von Stroheim, création au Merlan du 10 au 17/12.