L’interview : Protofuse

L’interview : Protofuse

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Une nouvelle étoile est née dans le ciel marseillais : Bitsquare, un label ambient/IDM (1) à suivre de près. A sa tête, Julien Bayle, aka Protofuse, musicien et programmeur, bricoleur digital et expérimentateur de haut vol. Décodage immédiat.

Peux-tu te présenter ?
Julien Bayle, 35 ans. De formation informatique et sécurité des réseaux, j’ai toujours fait beaucoup de musique et notamment de la musique électronique. J’ai décidé de créer ma propre structure, pour former des gens, à la fois par le biais de cours Ableton Live (2), sur lequel j’ai été certifié l’année dernière, Max/MSP et Max for Live, mais aussi par des workshops sur l’électronique Do It Yourself (DIY). L’année dernière, j’ai créé mon propre contrôleur MIDI (3), la Protodeck. J’ai fait quelques workshops pour présenter cette machine, dont un à l’Alcazar… Et j’ai été étonné de rencontrer autant de gens intéressés par ce projet, qui m’a finalement emmené un petit peu partout, notamment à New York, dans un festival d’art digital : le In/Out Fest.

Qu’est-ce que ça t’apporte d’être certifié Ableton ?
Cela me permet d’être impliqué et de collaborer plus étroitement avec Ableton, qui édite le logiciel Live que j’utilise à la fois en studio mais aussi sur scène. La certification valide un certain niveau d’expertise qui permet aussi de rassurer les futurs stagiaires.

Revenons-en à ta Protodeck… Quelle est la spécificité de cette machine ?
C’est un engin assez volumineux qui comporte beaucoup d’entrées et de sorties (potentiomètres, diodes RGB, boutons…). La Protodeck est open source sous licence Creative Commons. L’objectif était d’avoir un contrôleur adapté précisément à mes besoins, me permettant d’avoir tout sous les yeux en un coup d’œil. Il existe beaucoup de contrôleurs réduits, avec un écran contenant plein de menus et sous-menus. Là, le but était de pouvoir se passer de l’écran et de la souris de l’ordinateur tout en gardant un contrôle total sur ce qui se passe.

Comment décrirais-tu ta musique ?
La création d’une entité visuelle illustrant mon label Bitsquare par Eric Pringels (marseille2013.org) m’a permis de me questionner plus en profondeur sur ma direction artistique musicale. Une musique minimale, expérimentale, ambient mais pas que. Le terme IDM (1) définit un peu tout ça ; certains comme Aphex Twin appellent ça de la Brain Dance… mais peu importe. Je travaille sur des textures sonores qui s’étirent dans le temps et dont certaines sont générées par des algorithmes qui ne sont pas forcément linéaires. Certains évoluent en incluant une forte notion de hasard. Ce n’est pas vraiment du « pur » aléatoire, c’est de l’aléatoire provoqué et contraint. J’ai sorti une série de maxis, composés de trois morceaux chacun. Je vais sortir le dernier volet de ce triptyque très prochainement. Je travaille aussi bien sur des micro-rythmes, de façon très minimale, que sur des textures ambient, souvent proches de la noise et du drone (4) dans leurs aspects granuleux et crépitant.

A propos, la notion d’IDM n’a jamais été très claire. Quelle en est ta définition ?
Question difficile. Il ne faut pas le définir comme un contre-courant électro. Pour beaucoup, ce qui n’est pas mainstream est IDM. Je ne pense pas que ce soit ça. L’IDM est une musique dans laquelle la technologie tient une part importante. La technologie est presque un alter ego, l’autre membre du groupe. Je veux provoquer des choses avec elle, et elle me renvoie des choses auxquelles je n’avais pas pensé au départ. C’est un partenaire. Je ne veux pas que la technologie m’impose quoi que ce soit, comme être calé sur des notes précises. C’est une forme d’aller-retour entre l’humain et la technologie. Mon but est d’explorer tous les recoins de la musique électronique, et le fait que je fasse de la programmation ainsi que de la création de softwares alimente considérablement ma musique.

Qu’est-ce qui te passe par la tête quand tu composes ?
Très souvent, je démarre par des ambiances, afin de travailler sur des textures qui s’étirent dans le temps. J’utilise un algorithme qui va produire un son et je le regarde évoluer, varier, j’interviens, parfois j’attends, et lorsqu’il se passe quelque chose qui me plaît, je le garde.

Quels sont tes groupes et artistes phares ?
Celui que je cite en premier, c’est Monolake, aka Robert Henke. Nous nous sommes déjà rencontrés au cours d’un de ses workshops et j’aimerais vraiment que l’on partage la scène un jour. C’est un artiste à plusieurs facettes, et une des têtes d’Ableton Live. Sa musique me parle beaucoup, son approche, ses expérimentations… Ensuite vient Autechre, forcément, ce sont de vrais pionniers. Aphex Twin aussi, dans un autre registre… Amon Tobin, pour ce qu’il a fait récemment avec son ISAM Live.

D’où est venue l’idée de monter Bitsquare ?
L’idée était d’arriver à proposer une alternative à ce qui existait déjà localement. Après, je pense que l’on est plus écouté à l’international. C’est Internet qui veut ça. Bitsquare supporte la musique que j’aime, celle que je fais et surtout celle que font d’autres artistes que je veux soutenir. C’est le cas du New-Yorkais Derek Piotr, artiste au potentiel énorme. On s’est rencontré sur Internet grâce à nos goûts musicaux communs. On a fait des remix l’un pour l’autre à distance, plusieurs fois, des cross remix comme on dit. Je vais d’ailleurs sortir un album remix de son premier opus, Agora, lui-même sorti cet été. Je remplis mon planning de sorties au fil des rencontres et des coups de cœur.

Quelle est la « couleur » du label ?
Minimale, expérimentale, ambient et noise. Comme ma musique. C’est un peu le miroir de ce que je fais. Le nom Bitsquare revient au minimal : la structure élémentaire de l’électronique, c’est le bit. L’idée, c’est que finalement, le sommet de la sophistication, c’est quelque chose de simple… c’est Léonard De Vinci qui a dit ça. Empiler des couches de textures, les coller et ne traiter que le résultat final. Empiler, empiler puis tailler, tailler dans la matière sonore. Le label s’appelle Bitsquare pour ces raisons-là.

Et niveau actualité ?
Nous allons essayer d’organiser une soirée par mois, ici, à Marseille. Des soirées de lives que j’aimerais récurrentes, avec des invités qui gravitent autour du label. Le but étant de présenter la structure. J’aimerais bien trouver un temps au début de chaque soirée pour présenter notre travail, pour en parler et partager ses aspects techniques. Il manque quelque chose au niveau ambient et IDM à Marseille, d’où l’intérêt de proposer une alternative à travers ces soirées. Après, selon comment ça se passe avec Derek, nous bâtirons peut-être un axe Marseille/New York, mais bon, le départ, c’est ici.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

Plus d’infos : protofuse.net & bitsquare.net

Notes
  1. Intelligent Dance Music[][]
  2. Logiciel de composition et d’arrangement pour Mac OS et Windows.[]
  3. Musical Instrument Digital Interface.[]
  4. Style musical faisant essentiellement usage de « bourdons » (une ou plusieurs cordes ou anches qui vibrent toujours sur la même note ou forment un accord continu). Il est typiquement caractérisé par de longues plages musicales présentant peu de variations harmoniques.[]