L’entretien | Pone

Guilhem Gallart, aka Pone, beatmaker et ancien rappeur prolifique bien connu comme producteur de la Fonky Family, a plus de trois mille titres à son actif. Depuis 2014, il est atteint de la maladie de Charcot — ou sclérose latérale amyotrophique (SLA) — ce qui a pour conséquences une tétraplégie, une trachéotomie, une perte de la parole et une alimentation par sonde, et ce de manière irréversible. Loin de se laisser abattre, l’homme fait preuve d’une incroyable combativité, et l’artiste d’une créativité à toute épreuve. À l’automne 2019, il sort l’album Kate & Me, le premier de l’histoire entièrement composé avec les yeux ! Grâce à un système de capteurs oculaires, il peut composer ses morceaux sur logiciel, gérer et alimenter son site La SLA pour les nuls, et répondre à nos questions. Voilà un très bel exemple positif de l’apport technologique à la vie humaine, ainsi qu’une jolie leçon de vie.

 

 

 

Dans ton dernier album, Kate & Me, tu as intégré des échantillons de samples de l’auteure compositrice britannique Kate Bush. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

J’avais besoin de travailler autour d’un thème ; je ne voulais pas seulement sortir des sons sans aucun lien. Et puis je la considère comme la plus grande artiste du 20e siècle. Avec le temps, c’est devenu une évidence.

 

 

Il s’agit du premier album composé entièrement avec les yeux. Il te fallait tout réapprendre avec ces nouvelles contraintes. Peux-tu nous en dire plus sur ton processus de création ?

Je travaille sur un logiciel de composition « normal » mais je le pilote avec les yeux. J’ai une barrette infrarouge sous mon écran qui capte le mouvement de mes pupilles, et elle est reliée à un logiciel de navigation oculaire qui est en gros comme une souris. Pour le reste, ça n’a pas beaucoup changé. Je suis davantage axé sur la motivation que sur l’inspiration. D’ailleurs, je ne crois pas à l’inspiration.

 

 

Pone en phase de composition © Patrick Aventurier / Getty Images

As-tu constaté un changement dans ta manière de concevoir la musique ?

Oui, c’est beaucoup plus lent de travailler avec les yeux ! J’en profite pour davantage « penser » la musique, et c’est plutôt cool.

 

 

Quelle est l’étape de travail la plus difficile pour toi ? Et celle que tu apprécies le plus ?

Je n’emploierais pas le terme « difficile » car j’ai la chance de faire un métier qui est une passion ; constamment recommencer, tous les jours partir d’une page blanche est certainement la chose la plus complexe des métiers de création. La partie la plus agréable, c’est quand on trouve le truc qui fait basculer cette page à une idée que l’on juge intéressante. Personnellement, j’attache peu d’importance à l’exploitation des musiques, ce que j’aime c’est faire.

 

 

Ton site internet, La SLA pour les nuls, est une source d’information médicale et de témoignages précieux pour les personnes atteintes de la maladie de Charcot. Tu sembles avoir à cœur de mettre en valeur la possibilité de continuer sa vie malgré le handicap. As-tu d’autres engagements dans ce sens ?

Je réponds quotidiennement aux interrogations des patients comme des conjoints. Je suis également engagé dans des actions en vue d’améliorer la qualité de vie de ces patients. La vie à domicile pour les personnes dans mon cas nécessite une organisation importante, c’est pourquoi je travaille avec des médecins, des infirmières et des auxiliaires de vie afin d’améliorer, de normaliser et de codifier tout ça.

 

 

Face aux énormes contraintes de création que tu affrontes, il semble évident que beaucoup auraient baissé les bras. Qu’est-ce qui te pousse à persévérer ?

C’est difficile à dire, mais je pense que quand on aime, on trouve la force.

 

 

Sur ton site professionnel, 73BPM, la totalité de ta discographie est disponible, et souvent accompagnée d’un texte expliquant son contexte. On a l’impression de comprendre un bout de ton histoire, et de celle avec qui tu as partagé ces moments… Quelle place accordes-tu à l’écriture dans ta vie ?

L’écriture, c’est par intermittence. Je suis dans la musique en ce moment, mais j’ai quelques projets d’écriture en cours, et j’aime beaucoup ça.

 

Tu as laissé ton empreinte dans l’histoire du rap français. Quel est ton avis sur la scène rap/hip hop francophone actuelle ?

C’est comme avant, il y du bon et du moins bon. Je n’ai jamais été un grand auditeur de rap français. Malgré tout, actuellement, je pense qu’il y a PNL et les autres, sans manquer de respect à personne ; ils sont au-dessus du game ! Même si j’apprécie beaucoup d’autres choses.

 

 

Quels artistes écoutes-tu en ce moment ?

Je suis un auditeur compulsif, j’écoute beaucoup un artiste, puis plus rien pendant un moment, le temps de digérer et de sortir de son influence. Cette année, j’ai beaucoup écouté Travis Scott, que je considère comme un des meilleurs. J’ai également beaucoup écouté Pop Smoke et Nipsey Hussle, deux immenses pertes.

 

Quels sont tes projets dans les mois à venir ?

J’ai monté un petit label, c’est un peu de taf. J’ai pas mal de commandes de sons aussi.

Un conseil à donner aux beatmakers en devenir ?

La passion est le seul véritable moteur.

 

 

Propos recueillis par Laura Legeay

L’album Kate & me est en écoute ici : http://kateandme.73bpm.com

Pour en (sa)voir plus :

https://pone-shop.com / www.youtube.com/c/pone777 / www.instagram.com/poneofficiel / www.facebook.com/pone.wmp