L’interview - Oh! Tiger Mountain

L’interview – Oh! Tiger Mountain

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A l’heure de la parution de son premier album, Sings Suzie, nous avons rencontré Mathieu, avec lequel nous avons discuté du sens de la vie, de carrière et de trains afin de nous assurer d’avoir misé sur le bon Poulain.

Ton idéal dans la vie ?
Ne pas me planter, ne pas passer à côté. Je crois que l’idéal serait un jour de réaliser que j’ai fait tout ce que j’avais à faire, pouvoir tout simplement m’asseoir et regarder passer les trains.

Tu t’es lancé en solo et tu as cet album sous le coude depuis quelques années maintenant. Comment on vit au quotidien de son art quand on est un artiste en devenir ?
Dans l’absolu, je ne crois pas qu’il y ait des artistes en devenir : celui qui fait est « artiste ». Plus prosaïquement, c’est un peu comme un toboggan : tu descends, tu remontes, tu redescends… et souvent tu serres les dents et tu travailles, comme tout le monde. Je ne crois pas qu’être « musicien professionnel » soit capital pour être un « artiste ». Je veux dire par là qu’avoir un boulot à côté ne déprécie en rien la chose. Ce n’est pas mon cas parce que j’ai (eu) de la chance et que je suis, hum, flexible. Quant à Sings Suzie, il est vrai que j’ai fait ce disque entre 2008 et 2009, je pense qu’une part de cette longue gestation vient aussi de moi. Comme je compose et enregistre beaucoup, j’ai toujours l’impression d’avoir mieux sous le coude, parce que rien ne sera jamais assez bon. Mais cet album, c’est aussi le cheminement vers ce que devait être Oh! Tiger Mountain. Quand j’ai commencé à composer, je ne savais pas… alors j’ai cherché, j’ai appris, et tout ça a fini sur le disque.

Comment est née l’idée de jouer sur scène avec Kid Francescoli ?
Je lui ai tout simplement demandé. J’aime beaucoup sa musique, c’est un type en or et il était, de surcroît, le seul que je connaissais suffisamment polyvalent pour faire ce que j’avais en tête.

Combien as-tu fait de concerts solo depuis tes débuts et comment te sens-tu sur scène ?
J’ai dû faire une grosse centaine de concerts, dont la moitié avec le Kid en duo. C’est vrai qu’on tourne beaucoup plus depuis l’année dernière. Le fait que nous ne soyons que deux sur scène y est pour beaucoup : on tourne en train, on fait les balances en une demi-heure, on peut nous caser partout… Ne plus être seul, sans pour autant évoluer vers une formule de groupe, a été une libération pour moi. Je me suis rarement senti aussi bien pendant les concerts que depuis que je tourne avec le Kid. La simplicité de nos rapports dans tout ce qui touche à la créativité me fascine, et je ne sais pas si je la croyais possible avant… Je pense que la sensation nouvelle la plus étonnante est celle du « don » : plutôt que de m’imposer, je crois que je cherche plus à m’offrir, ça n’ouvre pas du tout les mêmes portes.

Tu préfères donc évoluer en « solo » ?
Dans les groupes, tout est une question de mode de fonctionnement et de communication, il faut faire très attention. Je me sens bien plus à l’aise pour collaborer avec d’autres musiciens depuis que j’ai « mon » projet, ça évite de se laisser encombrer par des enjeux superflus ou des problèmes d’ego improductifs, voire destructeurs… Paradoxalement, cela permet d’être plus ouvert aux apports extérieurs. Pour ma part, sur scène, la formule du duo est parfaite, la communication y est très simple.

Comment naissent tes morceaux ? Qui a droit à la primeur de tes compos et comment décides-tu de les faire grandir avant de les proposer au public ?

Tout ça est très aléatoire, malheureusement, mais bien souvent, les titres qui survivent sont composés d’une traite. Le texte vient très rapidement derrière, quelques ajustements et tout roule. Un petit moment d’épiphanie qui vaut à lui seul des jours de rien du tout… C’est aux personnes les plus proches à tous les sens du terme que j’inflige les différentes étapes de ma production. Jouer la chanson en concert est en quelque sorte un examen final, impossible de savoir avant si elle est bonne ou pas.

Des musiciens dans ta famille ?
Mon grand-père jouait du saxophone et mon père joue de la guitare. J’ai grandi avec de la très bonne musique et, par conséquent, ma famille m’a toujours beaucoup encouragé.

Si on t’offrait studio, producteur, musiciens et autres, qu’en ferais-tu, dans tes rêves les plus fous ?
J’ai des rêves tellement modestes ! Je me vois tout simplement prendre mon temps. Mais je ne sais pas si le confort m’irait bien. Le rêve serait de pouvoir enregistrer une batterie quand j’en ai envie, un accès illimité aux moyens de production… Un vrai studio à moi, en fait. Là, on n’a toujours pas de local de répétition fixe.

Le rock à Marseille et en France, mission impossible ? Tu crois à la réussite sans exil, dans un pays où la musique est formatée ?
Pour être honnête, je ne sais pas ce en quoi je crois… L’exil, s’il se fait dans un but créatif, est une idée comme une autre. En revanche, Le Rouge et Le Noir, monter à la capitale tout ça… ça me semble un peu simpliste en 2011. La géographie est tellement bouleversée par les moyens de communication que l’on doit pouvoir faire autrement. Et puis il y a de bonnes choses ici pour le rock, le dur, pas celui des tendres indies, entre la Machine, l’Embobineuse, Enthröpy ou le GRIM, dans des champs plutôt radicaux — et tant mieux — mais très ouverts : j’ai été programmé dans tous ces lieux. J’ai vu des concerts garage, noise ou expérimentaux de très haute volée. La scène punk se porte plutôt bien aussi, avec de bons groupes et des associations qui se bougent. Il est vrai que l’indie rock souffre un peu par chez nous : les Girls in the Garage ont réalisé bien des tours de force (le festival B-side, programmer Trans Am ou Thee Oh Sees…), quelques one shot au Cabaret Aléatoire, au Poste à Galène ou à l’Espace Julien, mais dans l’ensemble, peu de choses, c’est vrai. Je ne m’explique pas comment Connan Mockasin, Anna Calvi ou Thee Oh Sees, dans des styles différents, ont tous cartonné à Marseille, mais nous vivons dans une ville compliquée et fatigante.
Pour ce qui est du formatage, il est vrai que c’est compliqué quand on passe à l’échelle industrielle. Je pense que les prises de risques minimes sont inhérentes à une situation flottante au niveau de l’industrie du disque (ne pas lire : industrie de la musique). Avec l’échec en ligne de mire permanente. La production s’homogénéise et on enregistre tout partout pareil, avec les même techniques, et on masterise tout ça dans les mêmes studios. Mais ce n’est pas nouveau, un disque a toujours sonné « de son époque », avec tout ce que cela implique. Ça veut dire quoi, un disque qui sonne bien ? Il y a toujours un type pour arriver d’ailleurs avec le son de l’espace qui change tout : le game changer. Peut-être que, par chez nous, on a justement tendance à l’attendre, là où en fait nous devrions cultiver cet état d’esprit. Puisqu’au final, la demi-mesure ne satisfait personne : ni le public, ni les musiciens, ni l’industrie. Il me semble aussi qu’en France, il y a beaucoup moins de petites structures prêtes à proposer des choses plus radicales, d’où l’idée du collectif Microphone Recordings.

Que penses-tu de la critique ?
C’est compliqué parce qu’il est impossible de ne pas se confronter à la critique (positive, négative, constructive ou destructrice), mais qu’elle vous dépossède complètement de ce que vous êtes. Une fois sur la place publique, on est plus maître de qui l’on est ni de ce que l’on fait. Mais c’est pas grave car là est l’essentiel : la création fait son chemin. On est toujours l’idiot de quelqu’un d’autre, ce n’est pas toujours agréable, mais bon.

Tes textes paraissent très personnels. Ils ne se laissent pas apprivoiser aisément (normal, pour un tigre), il faut savoir lire entre les lignes. Tu t’y délivres, mais à demi-mot. Difficile de mettre autant de soi-même dans ses morceaux, de se mettre à nu ?
C’est vrai que je ne fais pas d’effort de lisibilité. Cela vient d’une astuce d’écriture que j’ai trouvée il y a un moment et dont j’essaie de me défaire : prendre pour sujet des situations personnelles très précises, sans lien nécessaire entre elles, pour les regrouper dans une sorte de patchwork sans unité de temps, de lieu ou de narrateur. Ensuite, le lien se fait par le son et la tonalité du morceau… Mais j’en sors peu à peu, j’aimerais un jour atteindre la simplicité des paroles des pionniers du rock, la placidité d’un Leonard Cohen ou du Lou Reed des bons jours. Je ne me considère pas comme un très bon parolier. Je ne pense pas me mettre vraiment à nu, ou alors simplement en partageant des doutes ou des obsessions. Après, pour le meilleur et pour le pire, j’ai appris que le ridicule ne tuait pas… ça pique un peu, au pire. C’est comme se faire péter la gueule : sur le coup, ça ne fait jamais vraiment trop mal. Ça pique un peu après.

Tu avances masqué. Qui se présente sur scène et sur disque ? Le tigre, l’homme ou cette partie de toi qui a été « cadenassée », évoquée dans Do without ?
Le masque était nécessaire, mais maintenant je m’en détache, il m’accompagne. Je crois que ce dont je suis le plus fier avec Oh! Tiger Mountain, c’est qu’il n’y a plus vraiment de différence sur scène ou à la boulangerie… C’est un peu comme si on m’offrait un petit temps pour me laisser aller et exagérer. S’il y a un personnage, c’est celui d’un moi meilleur, ce que j’aimerais être.

Il y a une vraie émotion, une réelle intensité dans tes paroles. Tu penses que la musique peut nous aider à trouver un sens à la vie (ou à la rendre moins âpre) ?
Pas nécessairement la musique, mais tout ce qui touche à l’imagination et à la créativité, tout ce qui résulte de la décision, de la volonté de transformer le monde, de se jouer de la réalité et du temps. Oui, la musique peut nous aider à arrêter de chercher un sens à la vie.

Dans Lovve behind, tu dis que les choses ne sont pas merdiques, qu’elles sont ce que nous en faisons. C’est pour cela que tu as pris ta destinée artistique en main : afin de limiter les impondérables et d’atteindre un but que tu t’es fixé ?
Oui, je refuse de penser que l’on peut être coincé, cette idée m’insupporte et je pense vraiment que la volonté et l’amour sont des boîtes à outils formidables… Malheureusement, malgré tous mes efforts, les impondérables finissent toujours par se montrer, et c’est là que tout se complique. Je ne pense pas que l’on puisse arriver à quoi que ce soit seul, même avec beaucoup d’amour et de volonté. Il faut juste s’assurer et savoir s’entourer. Je ne sais pas encore forcément le faire. Ce que je sais faire, c’est me fixer des buts humbles et réalistes. C’est aussi de ça dont parle la chanson… C’est facile de se cacher derrière de grands espoirs et des images d’Epinal, ce qui est plus difficile, c’est de se demander ce que l’on veut vraiment.

Quid de ton passage sur les planches ?
Je crois que mon travail au théâtre a énormément influencé ma manière d’envisager « le discours » en général, mais aussi, évidemment, le chant et la performance. Je n’y suis pas encore, mais il faudrait laisser faire les chansons. Je retourne au théâtre avec Hubert Colas pour une nouvelle création cet hiver au Théâtre de Gennevilliers à Paris, puis au Merlan à Marseille.

Bon, parlons franc jeu : tes influences ?
C’est vrai que j’écoute tellement de trucs que c’est difficile à dire… Pour Oh! Tiger Mountain, je crois avoir plus en tête un climat et un son plutôt qu’un style. Les trucs que j’ai le plus écoutés, c’est le Velvet, Tom Waits, Nick Drake, Yo la Tengo, les Buzzcocks, Sparklehorse… et In a bar under the sea de dEUS. Et ma cassette Marquee Moon / Chelsea Girls. J’ai grandi avec le rock 60’s 70’s, puis AC/DC, les Ramones et les Stray Cats, avant un court intermède Guns & Roses… Weezer, Smashing Pumpkins, Nirvana, Hole puis la brit pop à fond. Premier concert des Boo Radleys et Sleeper en 6e, Elastica, Pulp, puis Sebadoh, Beck, Pavement, Sparklehorse, Sonic Youth et les Pixies. Puis, en seconde, le post-rock, le post-hardcore : Tortoise, Mogwai, Slint, Shellac, The For Carnation… Les trucs shoegaze que je n’avais pas calculés : MBV, Slowdive, etc. L’électro bizarre aussi… Puis le jazz de Coltrane et Mingus, le garage psyché Born Bad / Nuggets… le krautrock aussi. Puis tout le reste, comme un glouton, encore et toujours. J’ai eu de très bons formateurs : ce sont souvent des amis qui m’amènent vers de nouvelles choses.

Les cinq albums qui signeraient « la bande son de ta vie » » ?

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Ouh là, j’ai déjà cité beaucoup de groupes. Période fin de collège alors :
Weezer – Blue Album
Nick Drake – Pink Moon
Sparklehorse – Vivadixiesubmarinetransmissionplot
Tom Waits – Small Change
Pavement – Wowee Zowee
Pulp – Different Class

Quels disques pour 2011 ?
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Kurt Vile – Smoke Ring For My Halo
Thee Oh Sees – Warm Slime / Castlemania / Castle Face Group Flex
Bill Callahan – Apocalypse
Cass McCombs – Wit’s End
Connan Mockasin – Forever Dolphin Love
Sun Araw – Houston Abstros / Ancient Romans
Peaking Lights – 936
Ducktails – III Arcade Dynamics
Real Estate – Days
Woods – Sun & Shade
Atlas Sounds – Parallax
Deerhoof – VS Evil
Black Lips – Arabia Mountain
Bertrand Belin – Hypernuit
Maria Minerva – Tallin at Dawn
Julian Lynch – Terra

Tu penses vraiment que les oiseaux sont des cons ?
Ils ne me font pas peur.

Propos recueillis par Sébastien Valencia

Rens. ohtigermountain.bandcamp.com / www.myspace.com/ohtigermountain
Dans les bacs : Sings Suzie (Microphone Recordings)

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Focus
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Microphone Recordings
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Collectif d’artistes fondé en 2009 par Oh! Tiger Mountain et Kid Francescoli, sa finalité est « de profiter du chaos général pour réfléchir, entre gens de bonne compagnie, à des moyens de diffusion plus humains, et à se dégager de certains impératifs commerciaux pour générer une pensée purement créative, tout en se familiarisant avec le fonctionnement administratif du monde de la musique. Se sentir moins seul, en partageant avec d’autres des doutes, des infos, des stratégies. Véhiculer une image et une identité commune à plusieurs artistes, sans leur ôter leur individualité. Et, surtout, être aux manettes de A à Z, faire plutôt que regarder faire ou attendre. Ne pas travailler que pour soi-même, sortir la tête du seau pour aller voir, écouter, conseiller un autre artiste. »

Les artistes du label

JOHNNY HAWAII Pop expérimentale et instrumentale à base de samples et de guitares. De la musique chill, fresh et intelligente.

KID FRANCESCOLI Pop douce-amère emmenée par un chant doux, enrobée de synthé analogique, où se croisent Grandaddy, John Carpenter, Air, Morricone ou Sparklehorse.

THE PERFORMERS Ce festival cinémascope psychédélique est le projet d’un Marseillais exilé à Edimbourg. Des fresques pop incroyables, denses et fragiles, entre Deserter’s Songs et 2001, l’odyssée de l’espace.

MOONDAWN
Folk psyché sous haute influence Spacemen 3. Le projet solo de Pedro, d’Eastern Committee. Des guitares acoustiques, une chambre d’écho vintage et une voix caverneuse pour un résultat prenant et planant.

CYD JOLLY ROGER Un ensemble psychédélique de cinq jeunes gens (guitares, claviers, violons, basse, batterie) qui écrivent de longues et belles chansons épiques, fragiles et satellisées.

DJ DESCHAMPS un one man band de space rock festif inspiré par Neu! et Isabelle Adjani. Auteur de deux EP (réalisés à l’aide d’un Farfisa, d’une guitare électrique et d’une boîte à rythmes) et d’un EP de remixes.

SV

Rens. microphonerecordings.blogspot.com