Kery James © Fifou

L’Interview | Kery James

Figure de proue du rap conscient français, artiste engagé dans un combat sans fin à la recherche de la vérité et de la justice, Kery James sera l’une des têtes d’affiche du festival Avec le Temps. Avant de le (re)découvrir sur scène, rencontre avec l’auteur de la chanson polémique Racailles, artiste multicarte, ciseleur de mots et poète traceur de route.

 

En 2016, votre chanson Racailles formulait une attaque violente contre les politiques de tous bords. Dans À vif, la pièce que vous interprétez et avez écrite, qui vient de triompher au Théâtre du Rond-Point à Paris, vous interrogez la responsabilité de l’État dans la crise des banlieues. Êtes-vous, comme nombre de rappeurs, « antisystème » ?
Non, ce n’est pas ma philosophie de toujours donner un avis sur tout, d’être contre par principe. Par exemple, à l’origine, je n’étais pas dans une critique systématique de la police. Mais aujourd’hui, il est indispensable de dénoncer les violences policières. La situation me parait dangereuse, périlleuse pour mes enfants. C’est pour cela que je réagis.

 

« Comme toute la France d’en bas j’crois plus aux politiciens / J’continue le combat, j’crois au réveil citoyen »… Auriez-vous envie de créer un mouvement citoyen comme il en existe déjà dans certains pays ?
C’est une éventualité. Aujourd’hui, je fais passer beaucoup plus efficacement ce que j’ai envie de dire à travers mes chansons. Si, à un moment donné, mon discours devenait non plus citoyen mais politicien, je serais beaucoup moins entendu. Et puis ceux qui connaissent mon travail constituent déjà un mouvement de pensée qui, bien qu’informel, est super efficace ; c’est juste qu’il n’a pas de nom. Si un jour, j’estime qu’il pourrait avoir un véritable impact, on verra… En attendant, j’essaye de susciter chez tous les jeunes, notamment ceux des quartiers populaires, le sens des responsabilités, le désir de réussir, de ne dépendre de personne. Quand je dis qu’il y aura un Printemps européen, je le crois vraiment, ce n’est pas un souhait.

 

Mais ces paroles, hors de leur contexte, ne peuvent-elles pas être prises à l’opposé du sens que vous leur donnez ?
En effet, la phrase sur le Printemps européen n’est pas dans une chanson qui parle des banlieues, mais plutôt de l’actualité internationale. Après, quand on a la volonté de ne pas me comprendre ou de mal interpréter ce que je dis, il y a toujours moyen de le faire.
C’est quelque chose que j’évoque dans À Vif. La rhétorique, et ce que les gens appellent la mauvaise foi, permet de faire apparaitre un mensonge comme une vérité, du moins aux yeux des plus mal informés. Je formule souvent une critique très acerbe des médias, mais je ne veux pas rester uniquement dans la critique. J’entends proposer également des choses. C’est pourquoi je suis en train de monter un site d’information, www.lebanlieusard.fr.

 

Dans le monde du rap, n’avez-vous pas l’impression de vous battre aussi pour imposer des chansons à textes face à une mouvance d’avantage axée sur le divertissement ?
Il est vrai que la musique se consomme de plus en plus comme une sorte de fastfood où l’on s’attache principalement à la musique plutôt qu’aux paroles, avec une partie du public qui n’a pas forcement envie de réfléchir. Après, chacun ses goûts musicaux. Je ne parle ou dénonce que lorsque des groupes tiennent des propos qui sont nuisibles à ceux qu’ils prétendent représenter et défendre. S’ils font par exemple l’apologie de la violence, de la consommation de drogues… à ce moment-là, on ne se situe plus au niveau des goûts musicaux, cela devient une question sociale parce que le rap, qu’on le veuille ou non, a une grosse influence dans les quartiers. Là, oui, ça me dérange vraiment, et je tiens cette position depuis mon premier album.

 

Les élections approchent, le vote FN est bien implanté dans notre région. Est-ce que vous allez délivrer un message spécifique lors de votre passage à Marseille ?
Pas plus que ce qu’il y a dans mes chansons. Petit à petit, la gauche et la droite ont repris les thèmes du FN en donnant le sentiment que, finalement, il avait raison depuis vingt ans. Les médias aussi ont voulu détruire l’image de l’islam en le diabolisant. Ce sont tous ces gens qui doivent réparer le mal qu’ils ont fait. Ce n’est pas à moi de porter l’étendard anti-FN alors que je n’ai pas causé cette situation. Il y a des gens qui jouent sur la peur du FN. Moi, je n’aime pas manipuler ou être manipulé. J’essaie de dire ce qui est vrai et ce qui est juste. Si quelqu’un veut récupérer des paroles vraies et justes, qu’il le fasse.

 

C’est une position qui n’est pas facile à tenir…
Oui, c’est le combat de toute une vie, du berceau au tombeau.

 

Propos recueillis par Marie Anezin, en collaboration avec Samir M’Kirech

Kery James est actuellement en tournée avec sa pièce À vif programmée au Merlan la saison prochaine. Avant son concert du 8 mars au Dock, il rencontrera dans le théâtre des quartiers Nord des jeunes des cités alentours, suivis par l’ADAP 13 ou issus du Groupe des 15 (de la Gare Franche). Une rencontre initiée par la Coopérative culturelle Internexterne dans le cadre du Festival Avec le temps.
Par ailleurs, Kery James prépare un film à partir du scénario de À vif et sortira prochainement son autobiographie.

 

Kery James : le 8/03 avec Iraka au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 2e).
Rens. : www.festival-avecletemps.com

Pour en (sa)voir plus : www.keryjamesofficiel.com