L’Interview : Jean-Claude Fall pour Hôtel Palestine au Théâtre de Lenche

L’Interview : Jean-Claude Fall pour Hôtel Palestine au Théâtre de Lenche

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Alors que beaucoup se préparent à aller aux urnes, le metteur en scène Jean-Claude Fall revient sur une période tout aussi politique avec la pièce de Falk Richter sur le conflit en Irak : Hôtel Palestine.

Comment avez-vous connu l’œuvre de Falk Richter ?
Il y a quatre ans, j’ai vu un spectacle de Stanislas Nordey au festival d’Avignon, dans lequel il adaptait des « morceaux » de l’ensemble des pièces de Richter constituant Le Système. J’avais été frappé par la radicalité d’écriture. C’est un théâtre politique, jamais sentencieux, jamais didactique. Je me suis précipité sur les bouquins de Richter et je suis tombé amoureux de la pièce Hôtel Palestine.

Pourquoi cette pièce en particulier ?
C’est une écriture dont on ne sort pas indemne. Si vous êtes un petit peu indigné par ce qui se passe actuellement, vous ne pouvez qu’être frappé par sa pertinence. Rares sont les pièces qui parlent aussi frontalement de la situation politique, historique, économique, philosophique dans laquelle on se trouve aujourd’hui. Ce n’est pas un théâtre de jeu ou d’anecdotes, mais un théâtre de pur engagement, très documenté, presque documentaire…
Et puis j’ai rencontré Richter, on a beaucoup en commun, notamment le retour à l’analyse marxiste des systèmes économiques qui est plutôt pertinente et loin d’être dépassée… Entre-temps, j’ai lu tout à fait par hasard Des images et des bombes du groupe de chercheurs américains Retort, très proche de l’œuvre de Richter. De fait, Hôtel Palestine est devenu un projet très important pour moi.

Pour la mise en scène, avez-vous respecté à la lettre les indications de Richter ?
Notre décor est assez proche de la description de l’auteur : un désert dans lequel serait enterrée de la technologie. On a choisi une grande étendue de sable dans laquelle on découvre un ordinateur, qui servira par la suite. On projette également des vidéos (donc de la technologie) sur un mur non sans rappeler tous ceux qui ont été dressés entre les peuples : Palestine/Israël, le mur de Berlin…
La situation initiale de la pièce est une conférence de presse réunissant deux représentants du gouvernement américain et quatre journalistes, deux d’opposition et deux dans le système. Cette proposition revient par moments dans le spectacle comme dans le livre, mais il y a beaucoup d’autres éléments comme des prises de paroles de chacun des protagonistes, qui se livrent et donnent leur point de vue sur la situation.

Les rôles sont très denses, est-ce un spectacle d’acteurs ?
En effet. Les acteurs ont une part très importante dans cet engagement, avec une parole très directe vers le public, qui les implique de manière très puissante. La mise en scène est extrêmement exigeante, et difficile à tenir parce qu’ils s’adressent les uns aux autres mais toujours indirectement, en passant par le public.

Comment a réagi le public jusqu’à maintenant ?
Que ce soit à Montpellier, Paris ou Béziers, il y a eu un vrai bouche-à-oreille et on a fait salle comble à chaque fois. Certes, le spectacle ne plaira pas à tout le monde, mais jusqu’à présent, on a eu de bons retours. J’ai senti des gens très touchés par cette parole qui leur est adressée de plein fouet. C’est un pamphlet mais pas manichéen : les représentants du gouvernement américain ne disent pas des bêtises, leurs arguments ne sont pas dénués de sens. Les points de vue des deux parties peuvent être partagés par le public ; le discours se tient, des deux côtés. Je pense que beaucoup de gens partagent ce que raconte la pièce, cette situation inextricable dans laquelle les pouvoirs politique et médiatique sont dans les mains des mêmes manipulateurs. La question est : comment sortir de là ? On voit aujourd’hui à quel point c’est complexe. Si Mélenchon est si haut dans les sondages, c’est qu’il y a une vraie souffrance, que l’on n’arrive pas à dépasser.
Je crois que les gens sont également très touchés par la description que fait Richter du rôle des médias, à quel point on est enfermé dans un éternel présent. On n’a pas le temps de prendre de la distance sur l’info qu’elle est aussitôt dépassée !
On m’a d’ailleurs reproché d’avoir monté cette pièce car pour certains, elle relève du passé. Alors que l’histoire continue ! L’histoire contemporaine est complexe, on a besoin de recul pour la comprendre. On ne peut pas savoir des choses et les oublier. Richter n’est pas enfermé dans un discours qui doit courir derrière l’actualité en permanence. En le lisant, on comprend beaucoup de choses, sur ce qui a pu se passer mais aussi sur ce qui se passe actuellement.

D’autres projets en perspective ?
Je pense à une autre pièce de Richter que j’aimerais monter en diptyque avec Hôtel Palestine. Et puis je vais aussi travailler à partir du Jules César de Shakespeare sur le despotisme. Et, dans un tout autre registre, je compte également monter Un Fil à la Patte de Feydeau.

Propos recueillis par Aileen Orain

Hôtel Palestine par La Manufacture : jusqu’au 28/04 au Théâtre de Lenche (4 place de Lenche, 2e).
Rens. 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info