Israël Horovitz

L’Interview : Israël Horovitz

De retour de Cannes, où il présentait son premier film en tant que réalisateur, Ma Chère Mathilde, l’auteur américain — soixante-dix pièces à son actif — était de passage à la Maison des Arts de Cabriès pour le festival Espaces, qui présentait douze de ses œuvres dans des mises en scène signées Myrtille Büttner.

 

Vous êtes scénariste et auteur de théâtre, quelles sont les différences dans votre processus d’écriture ?
Le théâtre, c’est le monde du mot, alors qu’un film est abstrait, comme dans les rêves : des images très visuelles, parfois effrayantes. On ne rêve pas le théâtre, de quelqu’un qui fait un long monologue. En un sens, c’est plus littéraire, cela repose plus sur les idées et le langage. Le cinéma est plus imagé, il dépend plus du temps et de l’espace. Certaines histoires sont clairement destinées à être soit des romans, des poèmes, des films ou des pièces. J’ai toujours les deux dans la tête. C’est très difficile d’adapter une pièce de théâtre au cinéma, plus particulièrement si vous en êtes l’auteur : on se souvient de monologues où le public pleurait alors que, transposé sur pellicule, ça ne fonctionne pas, parce qu’il y a trop de texte. Pour le film Ma chère Mathilde, j’ai écrit plusieurs brouillons du scénario, et j’ai fini par écrire simplement l’histoire sur une seule feuille de papier : un type va dans l’appartement d’Harrison à Paris, il y trouve une vieille dame et sa fille, etc. Puis j’ai écrit une nouvelle version, comme si la pièce n’existait pas, et les choses importantes me revinrent en mémoire, mais les personnages utilisaient beaucoup moins de mots, je pouvais les imaginer à Paris, imaginer Mathias à Paris et faire de la ville le quatrième personnage de l’histoire. J’ai toujours eu le rêve que la Seine était le sang de Paris, je cours beaucoup et quand j’habitais à Paris, je courais le long de la Seine. Il y avait un chanteur d’opéra qui chantait au bord de la Seine pour personne, il répétait, et pendant deux ans, je l’ai entendu chanter en courant par là. J’ai pu mettre ce personnage dans le film, c’est Dominique Pinon qui le joue. Il y a plusieurs acteurs français formidables dans le film : Stéphane Freiss, Stéphane De Groodt, Noémie Lvovsky… Tous ont déjà joué dans mes pièces et sont aussi des comédiens de théâtre, alors je me sentais très à l’aise pour travailler avec eux. C’était mon premier film en tant que réalisateur, peut-être le dernier, mais ça m’a beaucoup plu alors j’en ferai probablement un autre.

 

Vous avez dit vouloir traiter du racisme et de la censure dans vos prochaines pièces, comment avez-vous réagi aux tentatives de censure des pièces de Rodrigo Garcia et Romeo Castellucci par des groupuscules chrétiens à Paris en 2013 ?
En fait, j’ai été très content que le premier théâtre annule le contrat, car cela a fait scandale et beaucoup de publicité. Bien sûr, un autre théâtre l’a accueilli. Le problème quand on écrit contre la faim, contre le racisme ou contre la censure, c’est la question du public : qui est-il ? On ne veut pas d’un public déjà acquis à la cause, on veut un public qu’on peut surprendre. C’est assez épineux, je pense qu’il faut avoir des stars, pour attirer les spectateurs, il faut presque les piéger pour qu’ils viennent au théâtre. Si on leur disait au préalable, « Venez, c’est une grande pièce sur la faim dans le monde », personne ne viendrait, comme pour une pièce sur l’holocauste, personne ne veut voir ça à part peut-être un vieux rabbin en Tchéquie… Donc on a besoin d’un système différent pour attirer le public autrement que par rapport au sujet pour que celui-ci le surprenne.

 

Vous êtes un grand amoureux de la France, comment considérez-vous ce pays en comparaison aux Etats-Unis ?
Les frontières m’intéressent peu. C’est dans ma peau, quand je suis à Londres, je ne me dis pas que je suis un étranger. Je viens ici depuis longtemps, pour moi, c’est simplement un lieu où je vais et où je ne parle pas bien français, mais que j’aime beaucoup. J’adore le public français de théâtre et de cinéma. J’adore travailler avec des équipes de tournages françaises, ils aiment le cinéma, ils sont différents des Américains qui ressemblent plus à des syndicats et ne s’intéressent pas trop aux films. Le tournage était très agréable, j’avais un très bon chef opérateur et j’ai pu être honnête avec l’équipe, leur dire : c’est mon premier film, j’ai besoin d’aide, c’est l’image que je désire, comment l’obtenir ? Je n’avais aucun problème avec les acteurs, vu qu’ils venaient tous du théâtre. J’ai adoré cette expérience, j’aimerais beaucoup refaire un film en France. Cela pourrait se faire, j’ai écrit un nouveau scénario sur Pierre Bonnard.

 

Que pensez-vous des manifestations du 11 janvier suite aux attentats en France, des mouvements de personnes clamant « Je suis Charlie » ?
Ce n’est pas une opinion très populaire mais c’est ce que je ressens : j’aurais souhaité qu’il y ait les mêmes réactions après le meurtre des écoliers juifs. Personne n’est descendu dans la rue à ce moment-là et je ne peux pas l’oublier. J’ai foi en la population française. Au fait que l’antisémitisme et le racisme ne vont pas progresser en France. On doit y croire, même s’il suffit d’un fou pour semer le désordre. Ces manifestations étaient remarquables, mais ce n’est pas fini, ce n’est pas parce qu’il y a eu ces grandes démonstrations que le problème est résolu, au contraire, ce n’est que le commencement. Le monde n’est plus le même, et les Français non plus.

 

Vous qui êtes sensible à l’idée de communauté, croyez-vous que cela ait rassemblé les gens ?
L’art rassemble toujours. Il ne donne pas les solutions, mais il pose toujours de bonnes questions. Cela rassure les gens de savoir qu’ils ne sont pas seuls à se poser ces questions. Nous vivons une époque difficile, c’est le moment pour les artistes d’être engagés, et pas d’écrire des comédies musicales. C’est évident. Sans être didactique pour autant. Une de mes pièces se joue en ce moment à New York, la semaine dernière, j’en ai fait une rapide traduction et je l’ai montrée au Théâtre de Châtillon. Je pense que les gens ont été choqués mais touchés, parce qu’il nous faut comprendre les deux côtés. C’est une nouvelle pièce qui s’appelle Breaking Philip Glass, je n’ai pas encore trouvé le titre français, elle parle de censure. Cela débute avec un homme qui entre dans une galerie et tente d’arrêter l’exposition de photos qui y a lieu. Il s’agit de photos érotiques des années 1960 et le modèle est sa mère. On rit et on commence à comprendre pourquoi il est si en colère. Au milieu de ça, la galerie vend des caricatures de Charlie Hebdo et deux jeunes Arabes entrent avec des armes. On entrevoit ainsi la censure à plusieurs niveaux. C’est à la fois drôle et choquant, c’est le genre de théâtre que j’aime. Gagner le public par le rire. C’est l’idée que ce qui intéresse le public n’est pas forcément ce qui est dans son intérêt : ce dont le public a envie n’est pas ce dont il a besoin. Il faut réfléchir à ce dont le public a besoin, nous n’avons qu’une vie et si on décide d’être artiste, il vaut mieux avoir quelque chose à dire.

 

De quoi pensez-vous que le public ait besoin aujourd’hui ?
Il a besoin de voir les problèmes évidents, d’arrêter de se cacher et de s’en préoccuper, parce que ce n’est pas aussi facile que de descendre dans la rue et crier « Je suis Charlie », cela ne clôt pas le problème, cela ne fait que nous le rappeler, et deux jours plus tard, il y a une nouvelle catastrophe qui attire l’attention, les posters « Je suis Charlie » jaunissent et tombent des murs…

 

Propos recueillis par Barbara Chossis et Olivier Puech

 

Le festival Espaces, en présence d’Israël Horovitz, était présenté à la Maison des Arts de Cabriès du 25 au 31/05.

Pour en (sa)voir plus : www.israelhorovitz.com