L’interview croisée - Art Mengo & CharlElie

L’interview croisée – Art Mengo & CharlElie

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Invités dans le cadre du festival marseillais, Art Mengo et CharlElie fêtent respectivement leurs vingt et trente ans de carrière. L’occasion idéale pour tirer les bilans, rendre compte de notre époque, et faire un bout de chemin à leurs côtés.

Comment pourriez-vous décrire votre parcours ? Des moments forts ? Des regrets ? Si c’était à refaire, emprunteriez-vous les mêmes voies ?
A_ Pouvoir vivre de ma passion sans avoir fait trop de concessions est un tel privilège que j’ai tendance à ne garder que les moments forts, et notamment ceux partagés avec le public, sur scène.
C_ J’ai continué à jouer avec les éléments. J’ai préservé ma liberté. Je suis né avec quelque chose en moi qui se bloque face à l’autorité, et même quand j’ai tenté de me laisser assimiler, quelque chose en moi a refusé de se soumettre. Je continue sur la voie que me dictent mes voix intérieures… Comme moments forts, si l’on parle de musique, il y a mon premier Olympia en 1981, un concert à Sura Baya (Indonésie), un autre à Camberra (Australie) en 1986…

Vous semblez être souvent resté à l’écart des médias… Est-ce un choix délibéré ? Par protection ?

A_ Je ne suis vraiment à l’aise dans ce que je fais que sur scène ou en studio. En ce qui concerne les médias, cela s’arrange avec le temps, encore vingt ans de carrière et je me sentirai prêt à affronter Ardisson, qui sera devenu une sorte de Bouvard.
C_ Dans la famille « regrets » : je regrette de n’avoir pas été compris par ceux des médias qui m’ont proscrit comme un vulgaire qu’on ignore. Peut-être qu’ils me craignent, ou bien je ne les intéresse pas. Denisot et Ruquier ne répondent même pas à nos demandes, Nagui, je ne comprends pas, Rock et folk n’a pas écrit une ligne, pas plus que les Inrocks. Entre nous, cette fausse ignorance me fait un peu mal. Entre les promesses non tenues et le mépris, il n’y a qu’un pas… Je continue ce que j’ai à faire, mais c’est vrai que sans le soutien de ceux qui m’accompagnent, je serais vraiment blessé.

Les ventes de disques représentaient une bonne part des revenus de la chanson française… Avez-vous personnellement subi la chute de l’industrie du disque ? Quel est votre point de vue sur la loi Hadopi, le piratage, Internet ?
A_ L’industrie du disque perd ses paillettes car on ne peut pas aller contre le progrès. On peut écouter ou voir ce qu’on veut quand on veut, et cela gratuitement, via des plateformes (numériques). On se trompe de cible avec la loi Hadopi, car les seuls qui profitent de cette situation sont les fournisseurs d’accès Internet.
C_ Oui, bien sûr. Je ne suis pas assis sur un trésor de guerre. Je gagne ma vie au fur et à mesure, je vis au jour le jour, comme tout le monde… Je trouve extraordinaire qu’Internet permette de donner à entendre à découvrir des choses nouvelles, sans passer par les fourches caudines de programmateurs ; donc la gratuité en échange de la découverte, oui. Par contre, je trouve anormal que certains serveurs permettent l’acquisition gratuite des données : si tu veux garder un vêtement que t’as essayé, tu l’achètes, non ?

Comment envisagez-vous le présent ? Selon vous, est-ce réellement la fin d’un règne (celui de la Sacem, des maisons de disques…) au profit d’une nouvelle ère (essor des musiques indépendantes, des réseaux parallèles…) ?

A_ Je n’envisage rien car depuis plus de vingt ans, je navigue à vue et je me laisse porter par la musique et ce qu’elle m’inspire.
C_ Le présent est un état de survie… On ne peut juste plus spéculer sur l’avenir, tout va trop vite. Keep on movin’, pas le choix. Si seulement ça pouvait réellement déboucher sur une économie nouvelle. Mais pour l’instant, je vois surtout des trucs qui ferment et des musiciens qui crèvent la dalle. Je pense que si les gens ont cessé d’acheter des CD, c’est parce que le boîtier est moche. C’est pour cela que j’ai créé ce collector. Pour moi, c’est ça l’avenir ! Pour que la musique se transmettre « de facto », il faut retrouver le plaisir de l’objet-disque…

Selon vous, comment est-il désormais possible de vivre de sa musique ?

A_ Je suis effectivement plus inquiet pour les générations qui suivent, mais même si le « métier » change, il ne disparaît pas. Les moments de transitions sont toujours douloureux, le temps qu’un nouveau système, plus juste, se mette peu à peu en place.
C_ Euh… je ne sais pas… peut-être en faisant autre chose en parallèle ?

Comment percevez-vous l’avenir de la chanson française ?
A_ S’il reste des « résistants », la chanson française sera une « niche », et je veux bien qu’elle continue à m’abriter.
C_ Ecoute, quand un type a quelque chose à dire, lui, ses copains ou ses acolytes trouvent toujours le moyen de le faire connaître, même s’il faut passer par des chemins de traverse. Il en sera toujours ainsi.

Vous sentez-vous à l’aise au sein du paysage musical français actuel ?
A_ Oui, car j’aime la diversité.
C_ Je ne me pose pas la question. Je ne suis à l’aise nulle part, sauf avec mes amis… Maintenant, est-ce que je fais partie de ce paysage musical français ? Je ne sais pas. Après dix-neuf disques studio et 1500 concerts depuis trente ans, je n’ai jamais été, même une seule fois, nominé aux Victoires de la Musique…

Qu’est ce qui, selon vous, a fondamentalement changé au sein du milieu de la chanson française ?
A_ J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus d’interprètes-auteurs-compositeurs et c’est ce qui donne des univers plus singuliers. C’est bien, mais je constate aussi en moyenne des textes plus faiblards que ceux de nos aînés.
C_ Rien.

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune artiste qui souhaite se lancer dans la chanson et en vivre ?
A_ J’aurais aimé dire, comme à une époque, « Si tu t’occupes de la musique, elle s’occupera de toi », mais aujourd’hui, en tout cas financièrement, je n’en suis pas si sûr.
C_ Surtout pas, je ne donne de conseils à personne. Je n’ai jamais suivi ceux qu’on me donnait. On m’a dit « Ne mets pas tes doigts dans la prise » et j’ai branché ma guitare électrique ; on m’a dit « Reste ici » et je suis allé voir ailleurs…

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

A_ Des concerts jusqu’à cet été, et un album d’une série de petits duos avec une comédienne (marseillaise) du nom de Lara Guirao
C_ Il n’y a pas d’avenir. L’avenir, c’est maintenant.

Propos recueillis par Jordan Saïsset
Photo Art Mengo : Fabrice Fenoll
Photo CharlElie : Marc Dubord

Art Mengo : le 16/03 à l’Espace Julien. Dans les bacs : Sujet Libre (Polydor)
CharlElie : le 19/03 à l’Espace Julien. Dans les bacs : Fort Rêveur (Autoproduction)


Il était temps

La quinzième édition de la grand-messe de la chanson française prend cette année une nouvelle envergure et déploie ses tentacules sur neuf lieux pour mettre en scène une trentaine d’artistes.

Du Parvis des Arts à la Machine à Coudre, du Théâtre de Lenche au Dock des Suds, de l’Espace Julien au Cri du Port, les artistes investissent l’ensemble de la cité et son espace scénique. Belges et algériens, les accents se mêlent aux divers styles musicaux, du chant au texte déclamé, de la musette au slam, des rythmes chaloupés aux ambiances jazzy.
Ouvrant le bal à l’Espace Julien, souvent surnommé « le Higelin belge », le Bruxellois Arno nous touche toujours en plein cœur avec son côté fragile et sa voix éraillée. Un côté rock qui colore également le dernier album de Souad Massi, son quatrième. Toujours assorti de ballades nostalgiques empreintes d’espoir et de liberté, il mélange aisément l’arabe, l’anglais le berbère et le français. Un véritable hommage à ses racines, multiples. François Hadji-Lazaro, le multi-instrumentiste (il en pratique une vingtaine) est reparti en tournée avec Pigalle qui, après dix ans d’absence, nous redonne Des espoirs avec un nouvel opus oscillant entre chansons réalistes, rock et folk. Explorant de multiples disciplines dans une démarche d’art total, CharlElie viendra nous présenter Fort Rêveur, un vingt-troisième album pour ses trente ans de carrière. L’oiseau sans ailes revient tout droit de New York et laisse, pour un instant, sa carrière d’artiste plasticien. Lavilliers, le conteur bourlingueur au poing levé, ramène Causes perdues et musiques tropicales de son dernier voyage. Un titre qui pourrait résumer à lui seul sa longue carrière… On y retrouve les rythmes caribéens cher à son cœur. Entre salsa, bossa et reggae, le poète au sang chaud enflammera sûrement le Dock. Art Mengo, bien sûr, fête quant à lui ses vingt ans de chansons. Ce compositeur-interprète à la voix rocailleuse, aux influences jazzy et blues, est un homme de l’ombre qui écrit également des textes sublimes pour ses amis chanteurs. Suivra Abd Al Malik, le militant pour la paix. Sa musique étant juste l’écrin qui met en valeur le sens des paroles. La liste est encore longue. Ne perdons plus de temps, et partons dès à présent à leur rencontre.

Pascale Arnichand

Festival Avec le temps : du 12 au 23/03 à Marseille (voir programmation détaillée ici). Rens : 04 91 24 34 10 / www.festival-avecletemps.com