L'Homme hors de lui de Valère Novarina © Victor Tonelli

Retour de Scène | L’Homme hors de lui de Valère Novarina au Théâtre Joliette

Mort à la mort !

 

Dans un spectacle de Novarina, plus que dans nul autre, les spectateurs sont conviés à venir délivrer les acteurs de l’amas de mots qui leur pèse et qu’ils viennent dévider devant eux. Les acteurs portent le texte, le langage, le rôle et la figure humaine sur eux comme un fardeau ; c’est publiquement qu’ils pratiquent la sortie d’homme. Dominique Pinon, cet acteur d’une grande animalité, nous a montré, sur la scène du Théâtre Joliette, la perfection de cet exercice qui consiste à mettre l’homme hors de lui, à creuser à l’intérieur du bonhomme et à donner la parole aux muets. Pas seulement aux humains qui se taisent mais aux objets ; car la parole n’est pas seulement à nous, elle est aussi inhumaine. « L’acteur n’entre pas sur le théâtre, l’acteur porte tout le théâtre entre ses dents », disait Louis de Funès. Avec Novarina, la matière invisible du langage apparaît dans toute sa vitesse et manifeste à nos sens son vrai pouvoir de renversement, de révolution. On voit « l’optique du langage » : son entrée dans l’espace et comment il le transforme. Sans langage, la vie est déserte. Dans L’Homme hors de lui advient sur la scène, dans un souffle poétique empreint d’une tristesse infinie, un être fourmillant de données, de segments d’âme cristallisés, d’architectures déterminées, pensées, comme une grande page plastique dansant devant nous. Il s’en dégage une lucidité innommable, inconnue. La scénographie n’installe aucune atmosphère, ni ambiance, ne crée aucun lieu, le spectateur ne séjourne pas dans le spectacle, pas de repos pour lui. Ici, l’émotion c’est le mouvement, la combustion, le compte à rebours de la vie humaine : « La pièce durera tant que ce cierge brulera. » On a l’impression de voir Dominique Pinon comme à travers des cristaux. Il est une membrane mélancolique, caustique, sensible et pertinente, capable de se multiplier, de se retourner avec son miroitement de sens, de lézardes, de nuances. Il danse, saute, chante, donne à voir joyeusement la chute de la pensée dans l’espace, avec une puissance scénique qui exhale en son jeu serein une dure et secrète souffrance d’être au monde, une inlassable et météorique illusion.

 

Olivier Puech

 

L’Homme hors de lui de Valère Novarina était présenté du 4 au 6/10 au Théâtre Joliette.