Les Voix de la Culture

Les Voix de la Culture de Radio Grenouille : morceaux choisis

Depuis le 10 février et jusqu’au 12 mars 2020, Radio Grenouille diffuse un rendez-vous quotidien avec quarante acteurs de la scène culturelle, dans lequel témoignent également quarante autres acteurs engagés dans des champs sociétaux multiples comme la solidarité, la jeunesse, l’écologie, l’éducation, l’économie… Dans ce numéro, nous publions quelques extraits des premières Voix de la Culture diffusées à l’antenne, que vous pouvez écouter en ligne intégralement.

 

« Nous avons décidé de produire ces programmes car nous sommes persuadés que la prochaine politique culturelle municipale et métropolitaine doit être refondée avec la société civile. Nous sommes également persuadés que pour lutter contre les injustices culturelles et les retards structurels, seule une réflexion partagée pourra construire, à Marseille, une politique publique inscrivant la place des artistes dans notre société, associant tous les publics et toutes les populations vivant sur notre territoire, développant l’économie de ce secteur que ce soit sur le terrain de l’industrie, du tourisme et bien sûr du tiers secteur. La somme des témoignages, des questions, des propositions que nous réunissons devra bien sûr encore être enrichie dans les semaines, les mois, les années à venir car les quarante premiers contributeurs représentatifs du champs culturel marseillais se sont déjà nourris des quarante témoignages d’acteurs de la société civile, qu’ils ont déjà pu échanger entre eux et que dix, cent, mille autres acteurs peuvent nourrir un nouvel espace public de la culture à Marseille. »

#14 – avec Jean Christophe Arcos (Marseille Expos)

  • La Ville, à mon avis, doit prendre aujourd’hui ses responsabilités et a fortiori demain. Elle doit prendre ses responsabilités en ouvrant des espaces de travail pour les artistes, comme ça se fait partout en France, dans n’importe quelle ville.
    Il faut assumer aussi que si l’artiste a un rôle dans la cité, il puisse l’assumer en faveur de la cité, mais aussi aux dépens de la cité. C’est à dire qu’effectivement, c’est à la ville, aux municipalités, aux collectivités territoriales d’embrasser et d’accueillir les artistes.
    Je pense qu’ouvrir quarante ateliers d’artistes sur la première année de mandat, par exemple, pour la nouvelle municipalité, ce serait une belle réalisation.

 

  • La loi prévoit depuis 1955 qu’exposer son travail artistique doit ouvrir lieu à une rémunération.

 

  • La culture, c’est-à-dire tout ce qui ne s’enseigne pas à l’école, tout ce qui est enseigné par les parents, c’est ce qui différencie les classes sociales. Quelque part, les chances ne sont pas les mêmes en fonction de la culture que nous donnent les parents. Quand l’école donne cette culture là, toutes les chances redeviennent les mêmes. Et c’est ça qu’il faut aussi travailler sur l’éducation artistique. Comment remettre des repères culturels, communs, par lesquels chacun et chacune des gamins et des gamines peut travailler sa subjectivité et se confronter, voir ce qui le fait vibrer. On n’est pas tous obligés de vibrer de la même façon devant une œuvre. Toutes les œuvres ne nous font pas vibrer de la même façon, etc. Remettre des enfants au contact des œuvres, c’est aussi leur permettre de vibrer d’une façon singulière. On est d’abord au contact des œuvres et ensuite on va travailler sur sa pratique. Du coup, au-delà de l’artiste, il y a l’œuvre avant l’artiste, avant que l’artiste intervienne en classe pour éventuellement accompagner les mains des gamins et des gamines. Je pense qu’il faut aussi d’abord avoir un contact avec une œuvre, arriver à la comprendre, à la décrypter, à la recontextualiser.

 

  • Le budget culturel est de 131 euros par an par habitant à Marseille, à Toulouse, c’est 214 euros. Il faut choisir d’allouer des budgets sur la culture, sur ce qui produit du commun… si on veut vivre ensemble !

 

#6 – avec Pierre Oudart (directeur de l’École supérieure d’Art et Design Marseille Méditerranée)

  • Marseille, c’est un concept. C’est un tas de villages rassemblés et qui sont tous Marseille. Et Marseille, c’est nulle part. Et c’est peut-être aussi à Vitrolles ou à Aubagne, que sais-je ? Et donc il faut travailler au niveau micro local, au niveau métropolitain bien sûr, mais au-delà, sur la région, il y a des liens très intéressants le long du sillon rhodanien, et penser les connexions internationales.

 

  • Comment le territoire va se transformer en étant respectueux de sa culture, de son patrimoine et pas seulement du patrimoine monumental classé ? Personne ne va détruire une chapelle baroque… C’est plutôt le patrimoine contemporain qu’il faut préserver, le patrimoine du XXe siècle, et il y a un magnifique patrimoine du XXe siècle dans toute la région, et particulièrement à Marseille.

 

  • La politique culturelle n’est pas un enjeu politique et même parfois, elle apparaît comme un élément qui peut faire perdre. C’est-à-dire que quelqu’un qui arriverait aujourd’hui en disant « Je vais accroître la dépense publique sur la culture », il n’est pas certain que ça lui fasse gagner une voix. Et potentiellement, ça peut lui en faire perdre.

 

  • Les discours sur les politiques culturelles sont inaudibles, ça n’intéresse pas les gens. Ces histoires là, c’est tellement un « entre soi » où on ne parle que d’enjeux catégoriels, avec des mots comme « démocratisation », « éducation artistique »… Les gens disent : « Ok, l’éducation artistique. Moi, je veux que mon enfant fasse de la musique, alors je vais au conservatoire. » Alors on leur dit : « Ah non, c’est pas de l’éducation artistique, c’est de l’enseignement artistique. » Moi, si j’étais citoyen, je dirais : « Mais vous vous foutez de moi, de dire que l’éducation artistique n’est pas l’enseignement artistique. Moi, je veux que mon gamin, il aille au Conservatoire. » Voilà, ça, c’est concret. Et il faut aussi qu’il y ait de l’art et de la culture à l’école. Et ça, c’est l’école qui s’en occupe.

 

  • La première mesure du maire de Marseille en termes de politique culturelle serait une devise que je m’applique à moi-même, qui est le premier item du serment d’Hippocrate : « Ne pas nuire » !

 

#6 – avec Céline Acker (collectif Les Philosophes publics)

  • La culture, c’est aussi une pratique. C’est aussi une action, de la couture à l’opéra. Enfin, ça doit donner envie de chanter, envie de modifier quelque chose de la matière… Rousseau disait souvent que la culture, ce n’est pas simplement aller au théâtre. Au XVIIIe, c’est aussi faire des fêtes, au sens où on joue à ce moment-là une unité, non pas une unité d’être, mais une unité d’acte. On fait corps parce qu’on habite la même ville et qu’on a des choses à dire.

 

#15 – avec Élodie Le Breut (directrice de l’AMI)

  • La politique culturelle autour des musiques actuelles, est-ce qu’elle ne doit pas aussi se disséminer sur le territoire et pas seulement se concentrer dans des grandes salles de spectacles où on arrive à l’objet fini ?

 

  • Je pense qu’il faut essayer de protéger les lieux. On parle beaucoup des petits lieux. Il y a eu une politique d’attaque massive des petits lieux par rapport à la nuisance sonore ou à d’autres problématiques. On n’a pas vraiment essayé de trouver une solution et ça, c’est une erreur fondamentale.

 

  • Sur la scène « musiques actuelles » marseillaise, on a d’excellents groupes et une vraie difficulté à les faire sortir du territoire ; on a une industrie très forte en face qui ne les trouve pas nécessairement très attractifs… Mais la professionnalisation de l’artiste, elle passe aussi par l’endroit où il se présente au public.

 

  • La première mesure sur les musiques actuelles, c’est déjà de considérer que notre modèle économique ne repose pas nécessairement que sur le commerce de la bière et la billetterie. Et qu’à un moment donné, il faut aussi soutenir la création pour que les artistes puissent se développer et s’exprimer sur notre territoire.

 

  • Je pense que les jeunes sont attachés aux musiques actuelles parce qu’ils les font et parce qu’ils s’y sentent dans la possibilité de développer une parole, un geste artistique. [Mais] c’est aussi un outil de consommation, de la consommation de masse si on considère les process des majors. Donc il faut faire attention à la lecture qu’on a de cette remarque [les musiques actuelles sont les expressions artistiques les plus appréciées par les jeunes] et ça se retrouve aussi dans des politiques publiques ou territoriales parfois mal interprétées, c’est-à-dire à l’endroit de la consommation…

 

  • On est toujours dans cette idée que notre modèle économique s’appuie aussi sur un format industriel et donc on représente la recherche et développement de cette industrie.

 

#1 – avec Philippe Foulquié (fondateur de la Friche)

  • Ce n’est pas une ville pauvre, mais c’est une ville inégale. Il y a un des quartiers les plus pauvres d’Europe, la Belle de Mai, mais il y a le Roucas Blanc, un des quartiers les plus riches d’Europe.

 

  • On est dans une nouvelle époque où la culture a un rôle de plus en plus fondateur et de plus en plus nécessaire.

 

  • J’ai participé à une soirée de Marsactu dans laquelle il y avait des représentants de pratiquement tous les groupes : Bruno Gilles, le RN, les verts, LREM… C’était d’une nullité crasse, d’une ignorance incroyable de la réalité. J’étais très content parce que le représentant du Printemps Marseillais avait de quoi dire, c’était un boulevard. Mais je me suis dit après, s’ils sont aussi peu intéressés par la culture, c’est que la population s’en fout. (…) Il faut populariser le débat culturel comme il faut populariser la nécessité de voter.

 

  • Il faut qu’il (le futur maire de Marseille, ndlr) invente sa politique pour pouvoir rejoindre et influer la politique du ministère de la Culture. Parce que je crois aussi que Marseille peut servir de référence. Je pense que ça a été le cas pendant quelques années, ne serait-ce qu’avec la Friche, par exemple, ou les Docks, la Cité des Arts de la Rue… Des choses qui ont montré l’exemplarité. Je crois qu’il faut continuer à travailler sur cette capacité de Marseille à inventer des processus de développement culturel.

 

  • Une possible solution, c’est d’ouvrir un grand chantier pour associer la population à cette réflexion sur une politique culturelle. (…) Après, il faut arriver avec des propositions. Il y a d’une part des urgences et d’autre part, des choses à inventer, et il faut les mettre en chantier. Il ne faut pas trouver tout de suite le fric pour ouvrir quatre lieux ou cinq bibliothèques. Le sujet c’est : pourquoi cinq bibliothèques ? Et comment ? Et c’est à ce moment là, on peut penser, dans la durée d’un mandat, l’échelonnement. Ça veut dire qu’il y a un engagement ferme de la nouvelle municipalité sur le développement du budget culturel. Ça veut dire aussi que la population est concernée par ça. Et on n’apprend pas par la presse ou d’ailleurs, même par personne ou par une vague émission de télé que Marseille développe sa politique culturelle. Elle est acteur de ça.

 

#5 – avec Mathieu Poitevin (architecte)

  • À Marseille, il faut trouver une autre façon d’habiter, de faire vivre notre centre historique autrement que par de simples commerces de proximité parce que ça ne marche plus, parce qu’il n’y a pas la place pour deux boutiques de la même marque et que personne ne fermera les centres commerciaux en centre-ville. Et je pense que c’est plutôt une aubaine, les centres commerciaux ; si les gens veulent aller à Plan-de-Campagne ou aux Terrasses du Port, qu’ils y aillent, ça laisse la place pour justement trouver une autre façon de faire vivre ces centres historiques.
  • Je pense que la meilleure transition entre l’espace public et l’espace privé, ce sont des espaces culturels de différentes formes. Une nouvelle façon de partager les rez-de-chaussée de la ville afin qu’ils deviennent des lieux culturels sous toutes ses formes et qu’ils puissent introduire sur de l’intimité et sur de l’espace public. Alors, évidemment, ça appartient à des propriétaires privés, mais il y a une vacance du rez-de-chaussée, dans l’hyper-centre, mais aussi autour de la gare et ailleurs, qui pourraient être préemptés assez facilement parce qu’ils sont à l’abandon ou en ruine.

 

#26 – avec Macha Makeieff (directrice du Théâtre La Criée)

  • Je pense que Marseille devrait être la deuxième capitale de la France. Paris est comme un peu asphyxié par lui-même et je pense que nous, on serait une réponse historique formidable, méditerranéenne, européenne, jeune, avec les problématiques du 21e siècle… et on serait assez prêts à être cette capitale-là.

 

#26 – avec Baptiste Lanaspeze (fondateur des Éditions Wildproject)

  • Ce qui nous manque collectivement, politiquement à Marseille, c’est en fait une idée directrice, un projet qui fasse qu’on puisse faire de la politique digne de ce nom et non pas une espèce d’arrangement avec des opportunités : ramasser une America’s Cup par ci, ramasser un Dj set à 4 000 € par là, faire un stade Vélodrome qui ne sert à rien et faire des séries de coups qui plombent le budget et ne nous amènent nulle part

 

  • Je me demande s’il n’y a pas un grand coup à jouer grâce au retard de la ville, qui vient à peine d’avoir son boulevard périphérique… On arrête tout : le développement, le béton, la croissance, l’asphalte… Et on se met en ordre pour un autre agenda qui est celui, à mon avis, du 21e siècle, ce qu’on appelle la descente énergétique : on relocalise toutes les problématiques (alimentaires gouvernance, transports). Ça veut dire aussi qu’on pose la question de la souveraineté. (…) La souveraineté, elle se pose aussi au point de vue alimentaire. 80% de la nourriture qu’on consomme ici vient de hors de la métropole, 80% de ce qu’on fabrique ici s’en va hors de la métropole, donc on est quand même dans une série de flux aberrants.

 

  • On recherche la souveraineté au maximum, on ne recherche pas l’enrichissement. Parce que sinon on se met en compétition avec des villes comme Barcelone. Barcelone, c’est 131 milliards de PIB ou 171. Nous, on a 30 milliards. Imaginez une ville ici qui soit pétrie d’agriculture urbaine. (…) Je pense qu’il y aurait un chantier fascinant aussi, c’est de faire disparaître la voiture. Si on commence à faire disparaître la voiture du centre-ville de Marseille et qu’on se donne dix ans ou vingt ans pour le faire, ça peut devenir une ville assez paradisiaque. Ça peut être un truc de fou furieux. S’il n’y a plus de bagnole à Marseille, qu’on se gare tous porte d’Aix, au bout de l’autoroute, au Vélodrome, au parc Chanot, et à l’intérieur, il n’y a plus de bagnole. Ça peut être un truc de fou et ça nous oblige à ressusciter le réseau de tram de Marseille de 1910, qui était merveilleux. C’est trente ans de chantier devant nous, mais pour le coup, ça, c’est un chantier, c’est un investissement qui a du sens. (…) Avec ça, on commence à se préparer à pouvoir absorber le choc énergétique qu’on va tous connaître normalement dans les décennies qui viennent… Au lieu de le subir de plein fouet dans vingt ans, Marseille sera prête à absorber ce choc et ce sera une ville où viendront des gens intelligents pour faire des trucs intelligents. Et ça ne sera donc pas une ville qui attire des carriéristes qui veulent caracoler en haut du CAC40, mais une ville qui attire des gens qui veulent vivre autrement et préparer la société de demain.

 

#26 – Macha Makeieff (directrice du Théâtre La Criée)

  • Le sujet, c’est la décélération. Il faut la faire intelligemment parce qu’il y a dans notre vie des gens si pauvres que si vous leur dites « vous allez décélérer », ça va être rude. Il faut rééquilibrer les choses. Il faut mettre en œuvre cette philosophie avec beaucoup de délicatesse à l’égard de ceux qui ont peu.

 

  • L’idée de souveraineté, pourquoi pas ? Mais attention, parce qu’on a toujours tendance à se replier sur soi… Nous sommes un port, l’échange est essentiel. Donc, pour la décélération, oui, mais pas pour la culture.
  • S’il y a un réseau d’autobus, de métro ou de façons de bouger tout à fait XXe siècle, on ira au devant des autres et on sera en avance, à nouveau. Pouvoir circuler pour aller voir l’autre, c’est casser les ghettos, casser cette fameuse fracture Nord-Sud dans notre ville.

 

#13 – avec Valérie Manteau (autrice et journaliste)

  • Si on parle de notre volonté d’avoir une Marseille vivante, accueillante et populaire, on parle de la diversité des voix, des droits culturels… chacun est porteur d’une dimension culturelle. Et l’enjeu culturel, ce n’est pas seulement donner accès à tout le monde à la culture qui existe, c’est la culture dont chacun est porteur.

 

  • Les femmes que j’interviewe dans La Marseillaise accrochent leurs réflexions sur la ville à une nourriture culturelle. Et ça, chez les militants politiques et chez les élus, c’est quelque chose d’extrêmement rare. Je ne dis pas que c’est obligatoire pour tout le monde en politique d’avoir dans son corpus de réflexions des René Char ou des Ken Loach, mais ce serait bien qu’il y en ait, et qu’il y en ait suffisamment.

 

  • Il faut arriver à accepter que la diversité des façons de réfléchir, c’est notre intelligence collective.

 

  • Malheureusement, Marseille n’a pas tout à fait sa place parmi les grandes villes de Méditerranée. On pourrait faire plus… Et si ce n’est pas le cas, c’est volontaire aussi. Il faut voir ce qui s’est passé avec les subventions des associations et des gens qui travaillent dans la culture ces dernières années, notamment depuis le changement de majorité à la Région en 2015. Certaines associations qui travaillent sur la Méditerranée se sont entendu dire que ce n’était plus la priorité de la région… Et on sait que toutes les subventions vont en dominos ici, donc, si on perd la région, on perd tout le monde et on ne peut plus travailler.

 

  • J’ai entendu dire des choses très étonnantes, qu’il fallait travailler avec Hong Kong, ou avec la Russie. Pourquoi pas ? Mais ça, en termes de politique culturelle, ça interroge quand même beaucoup. Je pense que c’est un truc de politique culturelle assez volontaire de se dire « c’est quoi notre aire ? »

 

  • Il y a les migrants qui se noient par dizaines de milliers en Méditerranée. Il y a eu les effondrements de la rue d’Aubagne et le problème du mal logement dont Marseille s’est saisie. On pourrait être un point d’intérêt local, et au-delà du local, national, international, sur la mobilisation qu’il y a eu ici… Et on est incapable de valoriser ça puisque pendant ce temps, les gens qui pourraient produire du discours, de la réflexion et de la représentation là-dessus sont sommés de travailler sur la gastronomie en Provence, parce qu’on est là pour rendre une image touristiquement attractive même pas de notre culture, mais de notre territoire. On est en train d’essayer de faire venir les gens ici, ce n’est pas ça l’enjeu de la culture. Tant qu’on réfléchit comme ça, à ce point à l’envers, pas pour les gens d’ici et pas à partir de réflexions qui viennent d’ici, ce qui se passe ici ne peut être qualifié à aucun moment de politique culturelle.

 

  • Je pense qu’en matière de politique culturelle, ce n’est pas aux politiques de dire ce qu’il faut faire. Par contre, il faut partir de la réalité. Il y a des Comoriens dans cette ville et ça ne se voit pas en termes de production culturelle. Et pourtant, les Comoriens dans cette ville, ils ont probablement des pratiques. Où est la visibilité de cette présence là et de cette pratique là dans la proposition culturelle de cette ville ? C’est ça, la politique culturelle. C’est donner la possibilité aux gens de faire qu’il y ait des endroits, des écoles, des lieux de pratique et des lieux de représentation qui aient une visibilité et une programmation culturelle qui s’adressent à l’ensemble de la ville.

 

  • La première mesure à prendre en matière culturelle ? On double le nombre de bibliothèques, on en a vraiment besoin. Ça, c’est une première mesure facile. Après, malheureusement, le mal est tellement plus profond… Il faut changer complètement la façon dont on réfléchit la politique culturelle. Déjà, il faudrait encore en avoir une. Avoir une vision, avoir une envie. Et il faut lancer des chantiers. On n’est pas en termes de premières mesures de quelque chose, simplement réparer. Il y a des choses à réparer, mais il faut vraiment se dire que la politique culturelle, ça va avec un désir d’avoir une présence de la culture et en politique dans la ville.

 

#13 – avec Yohanne Lamoulère (photographe)

  • Aujourd’hui, « politique culturelle », je pense que ça veut rien dire ou pas dire grand chose. Je pense que la culture est un rouleau compresseur supplémentaire et qu’il n’y a aucune différence entre les grands raouts culturels, comme a pu être Marseille 2013, et d’autres processus de gentrification de cette ville. D’où la méfiance.

 

  • La culture, c’est quoi, la culture ? La culture, c’est aussi un boulodrome. C’est aussi comment on vit, comment on mange, comment on respire, comment on traverse un quartier. Je suis très méfiante de tous ces gens qui nous disent « la culture, c’est moi et c’est ça ».

 

#2 – avec Mohamed Tahabita Mbaé aka Soly Mbaé (Sound Musical School)

  • J’ai l’impression, depuis la création de notre association, qu’il y a des cultures qui sont certes soutenues, valorisées, et puis des cultures méprisées par les institutions. Qu’est ce qui fait culture ? Est ce que le hip-hop, c’est de la culture, pour les politiques, en fait, déjà ?

 

  • [Il faut] que des infrastructures soient aussi construites dans les quartiers nord, qu’il y ait ce va-et-vient entre les Marseillais du nord et du sud, un brassage des populations. Le nord, c’est un désert culturel, il faut dire ce qui est. […] Les structures comme la nôtre essayant tant bien que mal de construire des choses pour justement sortir ces populations là des quartiers nord et les emmener dans des endroits comme le Mucem, le théâtre, aller jusqu’à Aix-en-Provence ou aller à l’opéra… 

 

  • Il y a une espèce d’ostracisme, comme quoi les gens du nord ne peuvent pas apprécier du théâtre, de l’opéra, etc. C’est quelque chose qui plane dans cette ville et qu’il faudrait casser. […] ll faut d’abord qu’il y ait une volonté politique d’offrir quelque chose et de voir comment ça peut pousser dans ces territoires là. La politique, c’est de dire le nord n’a droit à quasiment rien. Et dans le sud, on va tout mettre pour qu’ils soient bien en termes de culture, de transports, etc. […] Il y a une « Black Belt », une ceinture noire entre le nord et le sud. Au-delà de Capitaine Gèze, il n’y a rien.

 

  • Il y a une hiérarchisation des cultures, des populations. On arrive à une espèce d’apartheid à Marseille, politiquement parlant. 

 

  • Ce qui m’a toujours gêné dans les milieux culturels marseillais, c’est que les politiques pensent que nous sommes redevables par rapport aux subventions qu’ils peuvent nous allouer. Ils oublient que c’est de l’argent public qui est là pour l’intérêt général.

 

  • Cette ville, elle est multiculturelle — que les gens le veulent ou non — et c’est ce mélange là qui fait sa richesse. Il faut une volonté politique, tout simplement, de changer les choses ; de se dire que le Marseille que nous voulons demain c’est cette mosaïque, cet arc-en-ciel de cultures, de gens qui viennent des quatre coins du monde. Nous avons un port qui est là, est ouvert sur le monde. C’est une volonté politique, tout simplement.

 

#8 – avec Alain Milianti (président de l’association des Usagers des Bibliothèques)

  • Les bibliothèques rendent un service que nulle autre institution ne peut rendre, puisque les lecteurs des bibliothèques sont en priorité des gens qui ne trouvent pas forcément à l’intérieur de leur milieu familial les possibilités d’accéder aux œuvres, d’accéder aux ouvrages, d’accéder à la lecture en tant qu’une pratique complexe… Il y a un autre enjeu très important, c’est que c’est encore un territoire commun à conquérir. On a l’impression que déjà, des choses sont faites, que la notion de bibliothèque est bien établie, des rayonnages avec des livres dessus, des gens qui rentrent et un peu de tranquillité pour lire. C’est beaucoup plus complexe que ça. Il y a des choses à faire passer et mettre en avant. La bibliothèque, ce ne sont pas simplement des rayons, ce sont des professionnels qui travaillent à essayer de conquérir un nouveau lectorat. Ça, c’est l’essentiel. La médiation des bibliothèques dans les bibliothèques, dans la pratique des bibliothèques, est le cœur battant de la bibliothèque.

 

  • Quels que soient les indicateurs que vous preniez, le nombre de mètres carrés par habitant, le nombre d’emplois par habitant, l’emploi des bibliothécaires par habitant, le nombre de livres, etc. Quels que soient les indicateurs, nous sommes entre deux et trois fois en dessous des métropoles régionales équivalentes, comme Lyon, Bordeaux. Pour donner un seul exemple, il y a huit bibliothèques à Marseille, il y en a vingt et une à Toulouse, vingt et une ! Il y en a seize ou dix-sept à Lyon. Le 7e arrondissement de Lyon a trois médiathèques très importantes. Donc, on ne parle pas d’une comparaison avec un idéal, on parle d’une comparaison avec ce qui existe ailleurs dans d’autres villes, qui sont bien des villes de la même communauté nationale. On n’est pas dans une autre expérience.

 

  • Incontestablement, je ne vois pas pourquoi la ville de Marseille serait à la traîne. Il n’y a aucune raison objective à ça. Mais même en dehors de ces questions d’effort budgétaire et de décisions radicales à prendre, même dans l’existant, il y a un travail fondamental à faire qui serait même presque à la limite plus important que cet effort de maillage à relancer, qui est la question de la démocratisation du réseau. Ça, budgétairement, ce n’est pas très élevé. Et c’est quoi ? C’est simplement que c’est un service rendu à une population qui est tenue à l’écart du fonctionnement de ces réseaux et ça, ce n’est pas possible. Et ce serait, à mon avis, extrêmement intéressant pour une nouvelle équipe que de s’appuyer sur ces ressorts là, parce que c’est ce qui assure la présence de ce réseau au sein de la population.

 

  • Ce qu’il manque, ce sont les lieux et les manières de parler, de faire parler et d’écouter ce qu’on appelle les citoyens. C’est-à-dire qu’il n’y a non seulement pas de concertation, mais il n’y a pas surtout ces espaces de co-construction de notre avenir qui m’apparaissent très importants. 

 

  • Il y a un effort considérable à faire au-delà de l’investissement. Parce que si c’est pour multiplier les bibliothèques d’aujourd’hui dans tous les quartiers, ça ne sera pas un grand succès, ce ne sera pas une grande victoire, ça ne sera pas une révolution du tout. Ça ne nous intéresse finalement pas en premier lieu. En premier lieu, ce qui nous intéresse, c’est que les bibliothèques vivent et se transforment. Elles s’ouvrent, elles s’ouvrent absolument, c’est ce principe de l’ouverture. Le troisième lieu, c’est une notion très contradictoire, très ambivalente, mais formidable. Elle dit qu’après le lieu de travail et le lieu familial, la bibliothèque est le lieu de sociabilité le plus important et que donc il est à investir complètement. Et je trouve que ce ne sont pas aux professionnels, ce sont même pas aux politiques d’apporter les éléments d’ouverture. C’est à la population, les usagers ou les citoyens non usagers.

 

  • Je trouve formidable cette idée qu’il y ait une sorte d’écrivain public régulier dans une bibliothèque pour aider les gens à traverser tous les entrelacs administratifs. Aller remplir aujourd’hui certains documents sur Internet, c’est un vrai casse-tête, les gens sont totalement démunis. Ça pourrait être ça, mais c’est à qui de le dire ça ? C’est à la population de s’exprimer. Mais encore faut-il créer les lieux pour qu’elle puisse le faire. 

 

  • Il faut reprendre le maillage territorial, c’est-à-dire une bibliothèque par arrondissement. Il faut ouvrir les bibliothèques, en deux sens différents. Ouvrir d’abord en termes horaires. La moyenne est de vingt, vingt-cinq ou vingt-six jours. J’ai oublié le chiffre ce matin, mais l’Alcazar ouvre quarante heures par semaine ; à New York, c’est 88 heures par semaine. On n’est pas à New York, d’accord, mais ouvrir plus, ça pose toute une série de problèmes très précis. Mais aussi ouvrir plus qualitativement, c’est-à-dire s’ouvrir à de nouveaux services, à de nouvelles pratiques, à de nouvelles méthodes. Et là, il y a un champ extraordinaire. Il faut créer les conditions. C’est ça qu’il faut institutionnaliser, sinon ça ne restera que du verbiage.

 

# 8 – avec Philipe Pujol (écrivain et journaliste)

  • Je sais que c’est à la mode de dire les jeunes sont formidables et font des trucs très bien. Ça a baissé quand même dans les quartiers populaires. Énormément. Donc, il faudrait réussir aujourd’hui à utiliser cette envie énorme, à faire un peu la transmission des savoirs, des savoir-faire… Pour moi, c’est évident qu’on doit être dans une industrie de la création. Alors, le cinéma, c’est le mieux, l’audiovisuel, puisqu’en fait, il y a tous les arts et en plus, ça crée de l’emploi et on a du soutien institutionnel pour ça. Bref, normalement, on devrait aller vers ça.

 

  • À Marseille, on a une culture underground qui est extraordinaire depuis toujours. Ce n’est pas nouveau, depuis les années 60 et par contre, la culture d’un point de vue institutionnel, ça ne veut pas dire que c’est mauvais, mais c’est plan-plan. C’est convenu, c’est connu, c’est presque un peu provincial. 

 

  • La culture underground, c’est la force de Marseille. Si on arrivait à mettre de l’institutionnel dessus, c’est-à-dire du fric et une volonté politique d’aller vers de la culture avec tous les risques citoyens que ça représente pour les politiques d’aujourd’hui, ça serait un régal. Marseille, c’est une des villes idéales. C’est méditerranéen mais ce n’est pas que tourné vers la Méditerranée, c’est tourné vers la montagne, les Alpes, tourné vers la France aussi. D’ailleurs, la nouvelle population marseillaise, ce n’est pas des Méditerranéens. C’est ce qu’on appelle ici à tort des Parisiens, c’est-à-dire tous les non Marseillais. Mais c’est une force. On n’a jamais eu autant de force et on a un peu de mal à en faire quelque chose.

 

#21 – avec Céline Berthoumieux (directrice de Zinc)

 

  • Si le ou la nouvelle maire de Marseille n’appréhende pas sur des questions artistiques et culturelles ce que le numérique et les nouvelles technologies, et particulièrement sur des questions culturelles, vient bouleverser, ça va être problématique. Parce que, précisément, dans la façon dont les jeunes envisagent aujourd’hui la question de la création des pratiques amateurs ou leur consommation culturelle, le numérique et les nouvelles technologies ont tout bouleversé.

 

  • Mais je ne pense pas qu’il faille une aide spécifique pour les artistes du numérique. Je pense que ce qu’il faudrait précisément, c’est pouvoir, justement à partir des différents dispositifs de financement de la création, en l’occurrence la ville de Marseille, travailler la question de l’hybridation, du croisement, de la pluridisciplinarité, la transdisciplinarité. Une des spécificités des arts numériques, c’est précisément que ce sont des artistes qui sont totalement pluri ou transdisciplinaires et qu’ils ont bien souvent de grandes difficultés à trouver le guichet auquel il faut s’adresser… Par exemple, le chorégraphe qui se met à développer un dispositif interactif pour son spectacle, ne serait-ce qu’en y mettant de la vidéo et que dans sa propre pratique, ça devient quelque chose de central, il va avoir beaucoup de mal à expliquer à la personne en face de lui qu’aujourd’hui, il a beau être chorégraphe, ce qu’il doit financer, c’est de la vidéo, un dispositif interactif.

 

  • Sur la logique de l’hybridation, de la trans ou de la pluridisciplinarité, il y a aujourd’hui une question à aborder de la compréhension de ce que c’est que la création contemporaine aujourd’hui.

 

#10 – Thierry Fabre, organisateur des Rencontres d’Averroès

  • Les étrangers sont ceux qui ont fondé Marseille depuis Gyptis et Protis. Cette ville est faite de cette multiplicité constitutive. Je crois que ce sens du divers, ce rapport à l’ailleurs, se sent. Cette quête du grand large me parait être un territoire symbolique à partir duquel fonder une politique culturelle, non pas dans le repli identitaire, non pas en opposant la Provence et la Méditerranée, mais au contraire en créant des traits d’union entre eux

 

  • De mon point de vue, la politique culturelle de cette ville ne doit sûrement pas s’enfermer dans le localisme, même si elle doit cultiver « l’ici »

 

  • C’est quand même singulier de penser que Marseille devient capitale européenne de la culture. Il y a des articles dans le monde entier pour faire parler de l’expérience marseillaise. Et après ? Rien. Une capitale européenne du sport et l’incapacité d’inventer un projet qui permet de tirer vers le haut Marseille.

 

  • Je dis souvent que la Méditerranée n’est pas une dimension extérieure à l’Europe, elle est devenue une dimension extérieure à travers des phénomènes de migrations et diasporas. Mais ça, à Marseille, on le sait depuis longtemps. Donc, c’est quelque chose de constitutif de cette ville, pas exclusif

 

  • C’est à travers une vision que l’on crée une adhésion, que l’on crée un monde commun si on veut dépasser la fragmentation qui n’est pas loin aujourd’hui puisque les effondrements et les violences collectives sont là. Et ça ne vient pas de nulle part. La violence, ça vient de beaucoup d’inégalités, de beaucoup d’absence de partage. Cette capacité à faire monde commun, je dirais que c’est ça la première mesure ou la première expression d’une politique culturelle à Marseille au 21e siècle