Les Rencontres d’Averroès

Les Rencontres d’Averroès

Les Rencontres d’Averroès, ques aco ?

« Loin des fractures consenties et des guerres entre les cultures et les civilisations, supposées inexpiables, les Rencontres d’Averroès favorisent l’expression d’une pensée ouverte et critique sur la Méditerranée du XXIe siècle. » (Thierry Fabre)

Le coup d’envoi a été donné il y a quinze ans par Thierry Fabre, qui officie alors à l’Institut du Monde Arabe à Paris, et Jean-Marie Borzeix de France Culture. Objectif ? Donner à voir et à entendre, côte à côte, les interactions entre les cultures qui constituent l’espace méditerranéen. Le lieu ? Marseille, qui constitue de par son héritage et sa position géographique, une porte sur la Méditerranée. L’Espace Culture produit et coordonne l’événement depuis sa création. Marseille est devenue le lieu de l’expression et de l’étude des fractures de l’Europe à propos de l’enjeu méditerranéen. Le programme « Sous le signe d’Averroès » s’est développé alors dans toute la région. « Cela permet aux gens qui connaissaient les Rencontres d’avoir une entrée artistique en amont des tables rondes et de faire découvrir les Rencontres à un public en dehors de Marseille. De plus, les Rencontres sont accessibles sur la web-radio de France Culture », explique France Irrman. Le programme « Sous le signe d’Averroès » date de 2001 : concerts, rencontres dans les librairies ou projections. Quant au développement du programme « Averroès Junior », qui existe depuis trois ans, il constitue un enjeu important : aller au-devant du jeune public et rendre accessibles les thématiques d’Averroès. Au menu : pour les lycéens, une sortie au cinéma pour voir des films avec un invité, pour les collégiens, des séances de documentaire ou des ateliers musicaux. En primaire et en classe de sixième, des rencontres littéraires sont organisées avec des écrivains autour d’un roman jeunesse. L’idée du programme Junior selon France Irrmann, c’est « de revenir aux thèmes fondamentaux, la notion de Méditerranée, d’identité, Averroès ou la femme. »

BJ

Tables rondes, les 7 et 8/11 au Parc Chanot.
Sous le signe d’Averroès, jusqu’au 9/11 à Marseille, Apt, Arles, Avignon, La Garde, Martigues, Port-de-Bouc…
Rens. www.rencontresaverroes.net / www.espaceculture.net

L’interview – France Irrmann

C’est l’événement philosophique de la rentrée, voire de l’année : pour leur quinzième édition, les Rencontres d’Averroès proposent de faire le point sur les relations entre les civilisations occidentale et islamique et le rôle central qu’y joue la Méditerranée, mettant à l’honneur la question des héritages culturels. France Irrmann, responsable du pôle événement de l’Espace Culture, organisatrice et coordinatrice des Rencontres, nous en dit plus.

Y a-t-il un lien entre la thématique de cette édition — « Entre Islam et Occident, la Méditerranée ? » — et le but de la manifestation — « Penser la Méditerranée des deux rives » ?

Notre problématique générale n’est pas sur le thème « Orient et Occident », mais concerne les problématiques de l’espace méditerranéen, auxquelles on réfléchit avec une pluralité de points de vue et non pas avec une vision eurocentrée, qui constitue déjà notre quotidien à la télé, dans les journaux, et qui est notre héritage aussi. Penser la Méditerranée des deux rives, c’est donc sortir de l’ethnocentrisme : réunir devant un grand public des chercheurs qui ne viennent pas seulement d’Europe mais aussi de la rive sud et qui, forcément, n’ont pas le même rapport aux choses, parce qu’ils n’ont pas la même formation, le même background culturel… Ce qui ne signifie pas qu’ils sont en désaccord, mais plutôt dans la complémentarité. Après, avoir des points de vue contradictoires — sans être trop tranchés parce que sinon on n’arrive pas à débattre —, ça permet d’aller plus loin. Mais on cherche surtout à avoir des points de vue qui amènent un autre éclairage, pas forcément divergent, mais autre.

Cette année, la figure d’Averroès semble très présente dans la thématique des Rencontres. Est-ce volontaire ou le fruit d’un heureux hasard ?
C’est un peu lié au quinzième anniversaire des Rencontres, mais aussi à l’Année européenne du dialogue entre les cultures. Revenir sur la figure d’Averroès nous semblait important. C’est notamment ce qu’on a fait à Arles en projetant Le destin en présence d’Alain de Libera, qui est un grand médiéviste, spécialiste d’Averroès et en quelque sorte le « parrain » des Rencontres, puisqu’il était là dès la première année. Entre-temps, une polémique a agité le monde universitaire avant l’été autour d’un ouvrage de Gouguenheim remettant en cause l’apport de la civilisation islamique dans l’Europe (1) ; polémique alimentée par des propos de Benoît XVI autour du fait que l’Europe serait rationnelle, donc chrétienne. Le thème était déjà choisi, mais faire venir De Libera a remis la figure d’Averroès au devant de notre programme. Il nous paraissait important de resituer toutes ces choses.

Justement, le public est-il averti ? Connaît-il son Averroès ?
L’objectif des Rencontres, c’est le partage de la connaissance ; les tables rondes ne sont pas faites pour les spécialistes, mais pour le grand public. Concrètement, on demande donc aux chercheurs invités d’avoir un discours accessible sans être caricatural. Ils ont entre cinq et dix minutes pour exposer leur pensée par rapport au thème de la table ronde. Après, la parole circule, les animateurs relancent le débat en veillant à ce que les concepts ou les personnages historiques qui ne semblent pas totalement accessibles soient explicités, recontextualisés. Mais on ne revient pas forcément sur la figure d’Averroès, ni sur tout ce qui a été exposé au fil des années. D’autant que si le public est varié (enseignants, retraités, lycéens, étudiants…) et a tendance à rajeunir, on compte beaucoup de fidèles, qui se sont formés à ces problématiques méditerranéennes, notamment grâce à l’immense travail bibliographique réalisé par la Librairie Regard, qui propose une table d’ouvrages chaque année pendant les Rencontres.

Les Rencontres semblent suivre toujours le même schéma, en commençant par aborder l’aspect historique de la problématique, puis en la traitant à l’aune d’autres notions (politique, sociale, économique…). Le fait religieux sera-t-il cette année au centre des débats ?

Il y a toujours une progression qui répond aux trois temps de Braudel (2). La première table ronde est historique, souvent moins polémique que les autres ; elle permet de poser le sujet, de donner un bagage, de savoir sur quoi l’on se fonde. Dans les autres tables rondes, où il sera plus question de problèmes d’actualité et de perspectives, il sera fait référence à cette histoire, ainsi qu’à d’autres notions, mais sans que ce soit fermé. Rien n’est figé : on ne décide pas de traiter chaque sujet en suivant les trois temps de Braudel puis en abordant systématiquement ses aspects politiques, sociaux, etc. Le lien se fait naturellement au cours des tables rondes, des axes se dégagent, suivant les intervenants. Après, il y a toujours des particularités liées au thème abordé. Cette édition abordera donc forcément la dimension religieuse, notamment dans la troisième table ronde autour du djihadisme, avec l’intervention de Nadia Yacine (3). Même si ce n’est pas annoncé en tant que tel : dans le titre, il est question de l’Islam en tant que civilisation et pas en tant que religion.

Dans le cadre du programme « Sous le signe d’Averroès », vous organisez une soirée chez les Winners, avec la projection du film Hors jeu. Cette association peut paraître insolite…
C’est lié à une opération intitulée « Lever de rideau » (ndlr : une place pour le stade Vélodrome = une place de théâtre offerte), au cours de laquelle on a fait la connaissance de ce club de supporters. Ils avaient déjà eu des expériences avec le monde culturel, en organisant des spectacles dans leur local. L’an passé, on a entamé une collaboration, en proposant une soirée chez eux. On a une certaine image des supporters de l’OM, comme eux ont une certaine image des « cultureux ». On veut dépasser ces a priori. Et eux aussi, ils tenaient à réitérer l’expérience de l’an passé. C’est un vrai échange, pas un alibi, ni un coup !

Comment les Rencontres d’Averroès s’inscrivent-elles dans le programme de Marseille Provence Capitale de la Culture 2013 ?
Lors de la présentation des Rencontres à la presse, Bernard Latarjet l’a assez bien dit : quand il a décidé de travailler sur cette dimension euro-méditerranéenne, il s’est nourri à la fois de ce qui avait été fait au cours des Rencontres d’Averroès et des autres projets de Thierry Fabre. La collaboration lui a toujours paru évidente et elle commence dès cette année avec une programmation en partenariat : un concert du Trio Chémirani au Parc Chanot. L’idée, c’est de travailler plus précisément sur deux axes : Averroès Junior et l’internationalisation des Rencontres. A savoir, encourager des initiatives similaires à la nôtre — comme les Rencontres ibn Rushd (le nom arabe d’Averroès), montées il y a deux ans à Alger — afin qu’elles se propagent autour de la Méditerranée. Ainsi, quand des gens sont intéressés, on les invite à assister aux Rencontres et on fait des réunions de travail pour les aider dans l’organisation, leur expliquer les contraintes et les fondamentaux : la dimension grand public et la dimension des deux rives.

Propos recueillis par Cynthia Cucchi

Petit lexique à l’usage des curieux

Mais au fait, qui était Averroès ? Quelle est la différence entre Islam et islam ? Et la Turquie dans tout ça ? Ventilo vous dévoile tout (ou presque) ce que vous avez toujours voulu savoir sur les dessous des Rencontres.

Averroès

Né à Cordoue en Espagne en 1126, Averroès, de son vrai nom Abu’l-Walid Muhammad ibn Rushd, est à la fois un philosophe, un théologien islamique, un juriste, un mathématicien et un médecin arabe du XIIe siècle. Sa vie mouvementée, partagée entre Cordoue, Marrakech et Fès, est relatée dans le très beau film de Youssef Chahine Le destin. Ses commentaires sur Aristote — auquel il a consacré presque toute sa vie — le rendront célèbre et ses doctrines philosophiques — selon lesquelles raison et foi doivent être radicalement séparées — soulèveront des débats passionnés dans le monde chrétien et lui vaudront une condamnation par la religion musulmane, qui lui reproche de déformer les préceptes de la foi.

Islam et islam

L’Islam (avec une majuscule), dont il sera question lors de ces Rencontres, désigne l’ensemble des peuples musulmans, la civilisation islamique dans son ensemble. L’islam (avec une minuscule) — qui signifie « soumission à un Dieu exempt de tout alter-ego » — désigne la religion dont le prophète est Mahomet. La distinction a son importance, d’autant que les Rencontres nous rappellent l’héritage arabo-andalou de l’Europe et que la deuxième table ronde évoquera l’existence d’un Islam laïc.

La Turquie
De par sa position géographique, politique et religieuse, le pays cristallise en quelque sorte la thématique de cette édition. Depuis les réformes d’Atatürk en 1922, la Turquie est en effet le seul Etat musulman laïc, sa Constitution prévoyant la relégation de la religion dans la sphère privée et son absence complète dans la vie publique. Deux soirées du programme « Sous le signe d’Averroès… » seront consacrées à la Turquie, avec notamment l’accueil de Cengiz Aktar, économiste turc et fervent défenseur de l’entrée de son pays dans l’Union européenne, à l’origine de la candidature d’Istanbul au titre de Capitale européenne de la culture, qui interviendra également au cours de la deuxième table ronde.

CC (avec BJ)

Notes
  1. Dans son ouvrage, Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Le Seuil), l’universitaire nie l’apport des intellectuels arabes dans la transmission du savoir grec à l’Europe au Moyen Age.[]
  2. Dans sa thèse publiée en 1947, l’historien Fernand Braudel propose une nouvelle approche de la temporalité historique, divisée en trois parties : l’histoire presque immobile, dont les fluctuations sont quasi-imperceptibles, qui a trait aux rapports de l’homme et du milieu ; l’histoire lentement agitée, sociale, ayant trait aux groupes humains ; l’histoire événementielle, celle de l’agitation de surface.[]
  3. Fondatrice et porte-parole de la section féminine du mouvement marocain de résistance dans la non-violence « Justice et Spiritualité ». []