Corps pétris de Delavallet Bidiefono © Espace Baning’Art

Les Rencontres à l’Échelle

Retour à la barre

 

Les Rencontres à l’Échelle sont une célébration d’identités multiples et souvent malmenées par l’instabilité du monde, se faisant chambre d’écho de tout ce qui les nourrit : langues, gestes, histoires anciennes ou contes modernes.

 

 

Raconter l’exil ou la guerre, porteurs d’énergie vitale par-delà les épreuves. Résister encore et affirmer le droit et la nécessité de discours décoloniaux. Contribuer à inventer notre monde.

Il ne revient pas au même de vivre et de travailler, d’écrire et de créer à Bruxelles ou à Alger, à Paris ou au Caire, à Zurich ou à Brazzaville, à Téhéran ou à Ouagadougou, à New York ou à Marseille. Parce que si les artistes résistent à devenir des fanions ou à être isolé·e·s dans des pavillons, c’est-à-dire à représenter autre chose qu’elles et eux-mêmes, nommer le lieu où l’on vit et pense est loin d’être neutre.

Cette seizième édition, toujours reliée au cosmopolitisme de son port d’attache, Marseille, propose pour ce premier temps une immersion dans la scène théâtrale et chorégraphique actuelle conçue avec plusieurs festivals d’Afrique. Ce premier rendez-vous a été pensé dans le cadre de la saison Africa2020 initiée par l’Institut français. L’occasion d’imaginer des collaborations avec des artistes aux écritures cinglantes d’aplomb et de finesse, et des opérateurs proéminents du continent africain, en témoignant, depuis Marseille, des possibilités de coproduction à l’échelle internationale entre des partenaires dont les enjeux artistiques et culturels sont investis depuis des places très différentes.

Le festival débutera le 15 juin à la Friche avec De ce côté de Dieudonné Niangouna, voix claironnante cardinale du théâtre contemporain, auteur, acteur et metteur en scène, orfèvre dans l’art de faire parler les malentendus, de remettre la balle au centre. Avec son verbe explosif qui décoche toujours juste et tire droit au cœur, l’artiste soliloque avec les fantômes de son théâtre-bar. Un seul en scène qui creuse, avec un mélange de mélancolie, d’ironie et de tendresse, la question du « faire théâtre » dans le chaos et la violence du monde contemporain.

Le 17, toujours à la Friche, Tu fais, je fais de la chorégraphe Cognès Mayoukou, l’amazone de Brazza, raconte dans un solo à trois temps le viol dont elle a été victime et dénonce l’inégalité de droits entre les hommes et les femmes, ainsi que la violence systémique qui la caractérise. « Tout ce qui me fait mal m’inspire », dit-elle, muée d’une féconde résilience.

Avec Fighting, la danseuse et chorégraphe Shaymaa Shoukry et son binôme Mohamed Fouad, danseur virtuose, s’affrontent dans un corps à corps martial où la présence révélatrice de l’autre met en exergue en soi celle de l’ennemi intérieur (les 17 et 18).

À qui le tour, par la danseuse et chorégraphe de hip-hop afroféministe Agathe Djokam arpente méthodiquement les étapes lancinantes du deuil, le long d’une performance glaçante d’intensité, où les textes et la musique confèrent au rituel de la cérémonie des cendres (le 17).

Le 19, Corps Pétris, trois solos des danseurs Cognes Mayoukou, Fiston et Destin Bidiefono, en collaboration avec l’espace Baning’Art, lieu indépendant porté par le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono, à la carrière internationale très justement déjà bien établie, et dédié à la création contemporaine et à la danse au Congo-Brazzaville.

Pour Wax, le chorégraphe franco-malien Tidiani Ndiaye puise, en plasticien critique, dans les origines controversées de la matière textile coloniale néerlandaise devenue tissu africain emblématique. En en détournant les codes et les formes de façon intrigante et en en magnifiant les coloris jusqu’à l’obsession, il tord le sujet dans le vif (le 22).

Les 22 et 23 juin, à la Friche toujours, ce sera Profil, dans lequel l’acteur Moanda Daddy Kamono, mis en scène par Magali Tosato, troque le manteau de Richard III pour un peignoir de boxeur, une métaphore éloquente de l’idée de « correspondre ou pas au profil », pour un acteur noir, fustigée par l’artiste au CV pourtant plutôt glorieux. Par l’exploration d’une blessure personnelle profonde, la pièce sonde les systèmes de représentation qui permettent à certain·e·s d’en refuser arbitrairement d’autres.

Enfin, le 16 juin au couvent de la Cômerie, nouvel espace attenant à Montévidéo, nous pourrons assister à Pistes, écrit par la valeureuse Penda Diouf, mis en scène par Aristide Tarnagda, artiste prolifique, génial (Les Larmes du Ciel d’Août, On ne payera pas l’oxygène notamment mis en scène à Marseille par Eva Doumbia...). Un récit de voyage, épreuve du feu de l’autrice ancienne athlète, dont on suit les pas au fil d’un parcours initiatique en Namibie, remontant ainsi les pistes de l’histoire de ses frontières « tronquées » par la colonisation allemande, et du génocide des Herreros et des Namas, inaugurant macabrement le 20e siècle en 1904.

Un retour sur les planches qui s’annonce résolument riche en actes fulgurants.

 

Barbara Chossis et Olivier Puech

 

 

Les Rencontres à l’Échelle : du 15 au 23/06 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e) et à la Cômerie (174 rue Breteuil, 6e).

Rens. : https://www.lesrencontresalechelle.com/

Le programme complet des Rencontres à l’Échelle ici