Julie Kretzschmar © Christophe Péan

Les Rencontres à l’Échelle

L’entretien
Julie Kretzschmar

 

C’est avec beaucoup d’élégance et une discrétion puissante que Julie Kretzschmar nous parle des Rencontres à l’Échelle, redonnant la place et la voix qu’ils méritent à des artistes qui nous sembleraient si loin s’ils n’étaient si proches…

 

 

Comment s’est déroulée la préparation de cette édition?

Dans un moment évènementiel, on montre ce qu’on fait à l’année. Il y a dans cette édition plusieurs artistes qui reviennent et qui, de manière différente, sont des artistes dont on a quasiment accompagné tout le parcours. C’est valable pour Hatice Özer, dont j’ai découvert le travail l’année dernière, puisque c’était sa première création, Le Chant du père. Je l’avais programmée sur une intuition, à savoir des choses qui attisent toujours ma curiosité : une artiste assez jeune, qui racontait l’histoire de son père turc installé en Dordogne. Ce projet m’a totalement bouleversée et très vite, elle m’a parlé de son désir du deuxième, qui est une forme de théâtre musical. Et je lui ai tout de suite dit : « On fera, tu seras là. » Donc ça, c’était à tisser, à inventer.

J’ai aussi une curiosité pour les jeunes artistes. Ce n’est pas la pierre angulaire du festival, mais une fenêtre, le fruit des strates du travail que nous faisons en constellation avec les autres festivals et producteurs des pays du Sud. Cette année encore, avec Youness Anzane et Marion Morel, on a invité douze projets dans un cadre de recherche qu’on a nommé Metamorph#2, et qui donneront trois rendez-vous au public. Il s’agit d’offrir la possibilité à ces douze artistes étrangers d’explorer le territoire marseillais et d’affiner leur proposition jusqu’à la veille de la présentation, dans une bienveillance collective.

Pour d’autres artistes de cette édition, c’est encore différent : c’est le quatrième spectacle de Tidiani N’Diaye qu’on programme, et pourtant, il me semble que Mer Plastique, c’est finalement la forme très déployée, notamment d’un point de vue scénographique, de quelque chose qu’il était déjà en train d’expérimenter dans le cadre de Moi, ma chambre, ma rue, projet que j’avais vu à Bamako. Ce solo avec des sacs plastiques, son premier spectacle, était sur une certaine dramaturgie, dans l’épure de quelque chose. Aujourd’hui, c’est la première fois que je le programme où il n’est pas au plateau. Donc c’est un geste chorégraphique, dont je ne saurais dire s’il est plus « plein », mais qui, en tout cas, est d’une autre maturité. Il regarde ce qu’il fait, il n’est pas à l’intérieur. Pour ma part, l’image, je la connais déjà, si ce n’est qu’elle est déployée bien évidemment avec des moyens économiques largement supérieurs, puisque c’était quasiment de l’auto-production dans son premier spectacle. En tout cas, c’est un projet issu d’une portée d’e.x.e.r.c.e., mais qui a rencontré d’autres soutiens, d’autres cadres de travail. Et ça, ça me plaît beaucoup.

 

Qu’est ce qui te plaît beaucoup ? Le fait de pouvoir offrir cette possibilité aux artistes de voir de plus en plus grand, d’approfondir leur démarche ?

C’est que de connaître quelqu’un (ndlr: un artiste) et d’aller regarder ce qu’il fait à droite ou à gauche, c’est une façon de connaître les gens. Mais il y a aussi l’intérêt de les programmer quasiment chaque année ou une fois tous les deux ans, de réfléchir à dire avec eux — et même sans eux : « Tiens, il était au Petit Plateau (de la Friche, ndlr), maintenant il va être au Grand Plateau. Pourquoi ? » Et ce n’est pas une question de légitimité, c’est aussi de voir comment ils progressent et comment d’autres partenaires s’agrègent à leurs projets. Cela me permet de travailler à la fois de façon très intuitive et un peu au long cours. La question n’est pas de miser sur un jeune artiste, c’est de prolonger l’invitation. Par ailleurs, j’aime l’idée de passer d’une invitation où le festival est prescripteur à ce moment où le public va venir parce qu’il connaît l’artiste. Et ça, c’est pour nous tous un point intéressant.

Pour d’autres artistes comme Ali Chahrour, avec qui on ouvre le festival (Iza Hawa, au Théâtre Joliette), c’est un peu différent : on l’a programmé à Montévidéo avec Fatma en 2015. L’été d’après, il était au Festival d’Avignon… J’ai vu son travail se déployer ainsi dans d’autres cadres de prescription, dans un autre rapport au public, dans d’autres salles, en intérieur, en extérieur, ce qui me permet aussi, moi, d’affiner la façon dont j’ai envie de montrer son travail.

 

Les propositions sont d’ailleurs de formats très divers sur cette édition : beaucoup de musique, des installations, des performances, et même une traversée…

C’est la troisième édition en été. Je voulais sortir de cet alpha et oméga de la salle noire qui m’était imposé par la saison hivernale. Je voulais interroger avec les artistes les cadres de perception, parce que peut-être que leur spectacle n’avait pas été créé en intérieur. En tout cas, je souhaitais que cela ne soit plus une contrainte.

Interroger le cadre de réception, c’est aussi une façon de se dire : alors, qu’est ce qu’on raconte aux spectateurs ? Dans quelle condition physique sont-ils ? Que veut-on dire en passant de trois cents personnes au Grand Plateau à mille sur le toit-Terrasse ? Avec Élodie Le Breut (directrice de l’A.M.I., ndlr), on n’a pas voulu faire de la musique un contexte, mais plutôt prolonger la recherche, chercher un contenu avec des gens du Sud qui sont mus par la même chose.

 

C’est-à-dire ? On sent que il y a toujours cette question de l’héritage et de la décolonisation qui te tient à cœur…

La question du multiculturalisme est toujours au centre des préoccupations sur les territoires avec lesquels je travaille et dans les cultures qui m’intéressent. Et c’est pour ça que c’est à Marseille que j’ai créé ce festival, pour nous connecter avec la diversité présente dans notre ville. C’est pour ça que j’y suis restée. Ce qui m’intéresse en termes de curatrice, c’est comment les artistes en arrivent à faire des projets ou créent à partir de différents mondes avec lesquels ils sont composés. Ils travaillent avec des interprètes qui viennent en Afrique alors que, peut-être, eux-mêmes viennent d’ici. C’est-à-dire comment on commence sur un plateau. Les objets sont fabriqués par plusieurs mondes et dans ce « laboratoire », on travaille à des correspondances et à des connexions entre Marseille et le reste de tous ces Suds, aussi bien avec le Moyen-Orient qu’avec l’Afrique, aussi bien avec la Turquie qu’avec le Burkina Faso. Les Rencontres à l’Échelle, c’est un festival qui doit témoigner des écritures contemporaines que développent des artistes qui n’ont pas forcément des formations académiques, mais pour qui les héritages, traditionnels, intimes et/ou politiques, et pour qui les diasporas sont un enjeu majeur. D’ailleurs, le titre du spectacle d’Habib Ben Tanfous me semble remarquable : Ici je lègue ce qui ne m’appartient pas…

 

Propos recueillis par Joanna Selvidès

 

 

Les Rencontres à l’Échelle : du 6 au 17/06 à Marseille

Rens. : www.lesrencontresalechelle.com/

Le programme complet des Rencontres à l’Échelle ici