Les Piétons de la Nuit par L’Atelier du Possible

Les Piétons de la Nuit par l’Atelier du Possible

L’Interview
Bernard Colmet et Dominique Duby (L’Atelier du Possible)

 

A l’occasion de la représentation des Piétons de la Nuit à l’Espace Culturel Busserine, Bernard Colmet et Dominique Duby nous révèlent leurs techniques et visions respectives sur la transdisciplinarité des arts et la création de projets participatifs au sein de leur compagnie l’Atelier du Possible.

 

Quelle est la genèse de votre compagnie ?
DD L’Atelier du Possible a été créé en 1978. De fait, on a pu suivre toute l’histoire des politiques culturelles. Beaucoup de choses ont radicalement changé : les compagnies étaient constituées en troupes, en collectif, et puis cela a évolué avec l’individualisme, dans l’affirmation de chacun. Nous nous sommes forgé une histoire et un discours, évolutifs au fil du temps.
BC Nos bureaux sont à Rognes, ce qui fait que nous ne sommes pas reliés à une grande ville, comme Aix ou Marseille. Donc on a eu une implantation locale de transmission, d’animation sur des communes, telles que Saint-Cannat, la Roque d’Anthéron, où on a débloqué tout un réseau d’acteurs, d’accompagnateurs dans le secteur.

 

Quels sont vos parcours respectifs ?
DD Bien que nous venions d’horizons différents, nous sommes arrivés au théâtre ensemble, en commençant par faire du théâtre de rue. On s’est forgé notre pratique avec cette énergie-là, cette énergie de l’extérieur qui est en elle-même très particulière. Progressivement, Bernard s’est occupé de la mise en scène et moi de l’écriture, qui m’a toujours attirée et en tant que comédienne.
BC J’ai également développé, depuis une dizaine d’années, un travail sur les spectacles musicaux et Dominique sur les captations vivantes, comme des portraits de femmes dans le cadre du spectacle Les Ephémérides. Ça permet une alternance entre les spectacles qui utilisent le matériau de la langue ou des spectacles musicaux enracinés dans la société actuelle et témoins de certaines époques de la musique depuis les années 40. C’est cette différence dans les propositions artistiques et les domaines qui fait la richesse de la compagnie.

 

Comment travaillez-vous la transversalité entre les arts ?
BC Naturellement. Elle existe depuis qu’on a démarré la compagnie, avec de la danse, de la musique… Cela fait dix ans qu’il n’y a pas une seule bande-son dans nos spectacles, toute musique étant soit chantée par les comédiens, soit interprétée par les musiciens. Dans le spectacle Immenses et minuscules, il y avait treize séquence chantées par mes comédiennes. Les artistes ont quant à eux une présence très corporelle, chorégraphique.
DD C’était même spécifié sur le Journal Officiel : l’Atelier se définissait déjà dans l’utilisation de ces formes différentes si besoin afin de dire exactement ce que l’on veut.

 

Votre création en cours traite des Roms. Par quels moyens avez-vous établi le dialogue ?
DD Nous avons été en relation avec une personne du Conseil Général qui nous a emmenés les voir, discuter avec eux. J’y suis allée une bonne quinzaine de fois et j’ai également suivi des bénévoles du Secours Catholique, qui font un travail énorme sur ces bidonvilles. Ce n’est pas si compliqué d’y aller, les Roms sont très demandeurs de visites et de rencontres, mais pour recueillir une parole plus intime, c’est une autre paire de manches. C’est aléatoire, car c’est un monde très mouvant, il ne faut s’attendre à rien. Cela peut être dû à leurs conditions de vie, comme les menaces d’expulsion, ou bien à leur histoire ancienne de nomades. C’est un monde qui m’a violemment interrogée, mais c’est intéressant car j’étais en prise avec une réalité que j’imaginais, que je pouvais écrire et intellectualiser, mais que je ne connaissais pas. Ce spectacle me tient à cœur car j’ai envie de travailler sur la transmission d’une réalité, sur la connaissance de ce milieu, qui produit à la fois de la fascination et de la répulsion envers ces gens qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles mais qui rigolent, ont des enfants magnifiques, sont courageux… Je veux transmettre de l’humain, toucher les gens non pas avec un discours, mais par le plus petit dénominateur commun : l’émotion. Si les spectateurs ressentent ne serait-ce qu’un minimum l’essence de ces sensations, ça me suffit. Il y aura un mélange de textes plus intimistes et d’autres plus didactiques. Je ne veux pas faire de l’angélisme, mais dire les choses telles qu’elles sont.
BC Le spectacle, coproduit par le CE des Cheminots, va se jouer au Théâtre de la Rotonde à Avignon. Le Conseil Général nous a également octroyé un financement l’année dernière qui nous a permis de mener cette action sur une vingtaine de rencontres et également de créer sur un des bidonvilles une animation avec des enfants. Ce qui a créé un lien de proximité sur un savoir-faire, la confection de marionnettes à fils en l’occurrence, suivi d’une présentation devant les parents. Ce travail de terrain a donc été la première étape de ce spectacle, qui sera un patchwork de textes, d’impressions, de témoignages, et non pas une fiction. Il y aura sur scène un percussionniste, une danseuse et Dominique, et j’y ajouterai un travail de captation vidéo au cas où les personnes rencontrées ne pourraient pas participer.

 

Quelles ont été les réactions des personnes que vous avez rencontrées ?
DD Pour Immenses et minuscules, on a remarqué ces questionnements, il y a eu des retours du public à Marseille qui étaient étonnants, même s’ils ne disaient rien. Visiblement, cela avait touché des sensations très profondes.

 

Ces instants de rencontre ont-ils nourri votre matière artistique ?
DD Pour moi ce sont des interrogations personnelles, sur le niveau de l’écoute, afin de capter ce qui n’est pas dit. Les Roms n’ont pas la même habitude du rapport aux mots, ils n’ont pas envie de livrer leur intimité et je dois donc travailler autrement, j’essaye de ne pas projeter, je prends ce qu’ils me donnent sans chercher à influencer. Dans le fond, quand je suis dans un bidonville, c’est moi l’étrangère.

 

Vos créations semblent particulièrement axées sur le thème de la mobilité…
DD Cela fait partie de ce métier, la mobilité est inhérente à la création théâtrale, on est des nomades aussi.
BC Nous avons la volonté de nous interroger, de transmettre en tant qu’artistes-éponges. Par exemple, nous avons créé une pièce sur les droits de l’enfant qui traitait des violences éducatives ordinaires et on s’est aperçu que cela avait une forte résonance sur les populations que l’on a rencontrées. Nous avons questionné le respect de l’entièreté de l’enfant. C’est ce processus de captation, d’interrogation de la société et de transmission qui caractérise notre travail artistique et non sociologique.
DD Nous cherchons à faire notre part, à l’image du colibri de Pierre Rabhi…

 

Pensez-vous que de nos jours, la création artistique ait un quelconque poids dans la société ?
BC Par les temps qui courent, je ne peux rien affirmer, je ne me permettrais pas de donner des réponses. Mais tel est notre positionnement, cela ne m’empêchera jamais d’œuvrer là ou je pense avoir des choses à communiquer.
DD Je dirais que l’on est des témoins, les événements de la semaine dernière me confortent dans mon métier, me donnent une légitimité. Rien que témoigner de notre vision du monde, peut bouger certaines choses à l’intérieur des êtres.

 

Vous parlez beaucoup de transmission, comment se déroulent vos ateliers ?
BC La transmission vient avec l’âge, l’expérience, en fonction de ce que l’on a envie de partager mais pour moi, c’est une respiration naturelle de l’artiste, ma respiration. C’est comme cela qu’on a développé aussi des publics sur le secteur dans lequel on est. Cela a aussi permis à des troupes amateurs de pouvoir se former et de créer eux-mêmes un festival du théâtre amateur. Et tout s’est fait de façon empirique.
DD De la même façon que l’on est ancré sur un territoire, on est ancré sur ce que l’on fait face à un public, c’est une façon de poursuivre notre travail différemment, pour moi les ateliers et les créations ne se distinguent pas tant, les deux directions se nourrissent mutuellement, et sont toutes deux terrains d’expériences. Et l’exigence que l’on demande à un groupe amateur est quasiment la même que celle d’un groupe professionnel.

 

Comment se déroule le choix des artistes en général ?
BC Il y a des gens qui sont issus de nos ateliers, qui collaborent avec nous. Au niveau professionnel, on a des fidélités avec les acteurs et après, en fonction des projets spécifiques, on appelle à de nouvelles collaborations.

 

Quid du spectacle Les Piétons de la nuit ?
BC Un de mes grands plaisirs est de regarder dans le rétro ces photographies de ce qui est constitutif de notre histoire par le biais de la musique. J’ai travaillé sur l’histoire du rock et de la chanson française notamment. Et là, j’ai eu envie de me plonger dans l’histoire des cabarets des années 50 car cela a été un creuset culturel, une période incroyable à raconter qui a transformé toute la chanson française, et qui a vu fleurir plus de 200 cabarets permettant de former des milliers d’artistes à la sortie de la guerre, fondateurs de tout ce qui est venu après. Il s’agit, dans cette création, de faire et de refaire découvrir une période révolue, mais surtout méconnue, et d’en révéler les talents.

 

Des projets ?
BC Nous tendons vers l’approfondissement de ce que l’on fait déjà.
DD Et rester sur scène, pour moi, c’est important.

Propos recueillis par Laura Legeay

Les Piétons de la Nuit : le 30/01 à la Busserine (Rue Mahboubi Tir , 14e).
Rens. : 04 91 58 09 27 / www.mairie-marseille1314.com