Les Marchands © Elisabeth Carecchio

Les Marchands et Au monde au TNM la Criée

Au bout du conte

 

Avec Les Marchands et Au Monde du dramaturge Joël Pommerat, le Merlan et la Criée s’associent pour nous offrir deux beaux moments d’un théâtre inventif et incertain, à l’image de ce monde en devenir qui nous fascine et nous inquiète dans un même instant.

 

Là où la peinture a besoin des mots pour nous donner l’heure de la journée dans son incapacité à la représenter, le théâtre cherche à s’extraire des mots pour renouer avec l’abstraction picturale. C’est dans ce grand écart que se joue la dramaturgie et l’écriture de plateau de Joël Pommerat. Qu’est-ce à dire ? Que le décor et la déambulation d’un corps sont déjà une forme d’écriture et une amorce de fiction ; qu’il est possible de poser du silence à la place des mots pour raconter une même chose ou, dans un autre écart, de poser un groupe de rock dans l’arrière-plan pour détruire la préciosité de la prise de parole (Cet enfant, 2006). Rationnaliser le travail de Joël Pommerat en tentant d’y trouver une recette est une chose impossible. Tout se construit sur le fil d’une impression et d’une tentative de dire « Je ». L’interprète devient le véhicule d’une tentative d’expression. L’espace est épuré dans une invitation à une danse qui n’existera jamais. Tout se construit et se déconstruit dans une contradiction permanente, car c’est là que se situe l’essence de l’homme : une petite chose fragile qui lutte à l’infini avec ses renoncements et ses mensonges, qui tente de s’inventer une morale en désignant des méchants et des gentils dans une réflexion autocentrée qui l’aveugle jusqu’à sa mort. Comment fait-il pour tenir ? En s’imaginant que tout ceci n’est qu’un jeu à la manière d’un cinéma permanent où le conte devient l’histoire officielle de notre vie, où la structure de la fiction (les trois actes) nous protège de l’indécision et d’un lendemain sans futur (l’idéal punk). Joël Pommerat est un homme qui hésite, il s’ouvre des horizons avec le courage d’affronter cet incertain, il l’installe patiemment sur la scène dans un désir de collectif, mais la signature est présente, inimitable et terriblement fascinante.

Karim Grandi-Baupain

 

Les Marchands (du 13 au 16/02) et Au monde (du 18 au 21/02) : au TNM la Criée (30 quai de Rive-Neuve, 7e).
Rens. 04 91 11 19 20 / www.merlan.org / www.theatre-lacriee.com

 Pour en savoir plus

 A noter : deux séances autour du travail au cinéma proposées par l’Atelier du Merlan autour des spectacles de Pommerat : La Couleur des sentiments le 8 au Théâtre du Merlan, et La Mise à mort du travail, épisode 2 : l’aliénation, le 15 à la Criée