L’Epopée du Grand Nord - Captation en répétition par Grenouille © Tadeusz Paczula

L’Epopée du Grand Nord par la Cie L’Entreprise au Théâtre du Merlan

Nord magnétique

 

L’Epopée du Grand Nord, tragédie urbaine contemporaine et œuvre chorale orchestrée par François Cervantes mettant en scène les habitants des quartiers Nord, clôture en beauté la saison au Théâtre du Merlan.

 

L’Odyssée périphérique de Cervantes s’amorce il y a deux ans. Le point de départ : la scène nationale du Merlan, implantée au cœur des quartiers Nord, « le gros voisin » qui deviendra le centre névralgique de la pièce. Dans ce processus de création inversé, le spectacle a permis d’entrer en relation avec les habitants de ces quartiers. Au fil des errances, des rencontres et des échanges, une fiction intrinsèquement liée à la réalité s’est tissée. Le langage, vivant, frappé du sceau du concret, a formulé une histoire commune, et le plateau, caméléon agité, a abrogé les frontières entre acteurs intermittents et acteurs du moment.
Le drame fictif est distancié : plusieurs allers-retours entre la salle et la scène, des liaisons entre l’extérieur et l’intérieur, des mises en abyme… Deux narrateurs, figures de coryphées modernes — Catherine Germain et Dominique Chevallier, tous deux comédiens de longue date de la compagnie l’Entreprise — accompagnent le récit. Sa trame s’articule autour du personnage de Jacques Méro — porté par Maxime Levêque, ténébreusement intraitable — un caïd d’envergure internationale qui rachète le Théâtre du Merlan afin de percer le mystère de sa naissance, dans ce quartier où il a vu le jour. Virginie Colemyn, touchante de grâce, joue la mère biologique, poignante détentrice du secret de ses racines.
Dans cette « histoire masculine, de flics et de bandits », les femmes jouent un rôle important. Elles chantent (troublantes interprétations de Bang Bang par Anna Carlier et de Les Yeux de ma mère par Edith Mérieau), elles pleurent, elles témoignent… Elles haranguent, tout comme les jeunes, pour porter la parole des oubliés des banlieues, ceux que « personne ne vient voir » : « Dans les quartiers Nord, il y a des personnages sans histoire, des paysans sans terre, des Chinois sans Chine, des marins sans bateau, des citoyens sans papier, des sages sans sagesse, il y a des pensées qu’on ne veut pas penser, et des histoires qu’on ne veut pas raconter. »
Au milieu de ce réel transfiguré émanent des instants d’authentique beauté, d’émotions métissées, de dérision aussi. Et tandis que la tragédie, implacable, déroule sa fatalité, le cœur et la vitalité affichés par ce groupe éphémère font poindre, sur les planches du Merlan, la fraternité et l’espérance.

Barbara Chossis

 

L’Epopée du Grand Nord par la Cie L’Entreprise : du 3 au 7/06 au Théâtre du Merlan (Avenue Raimu, 14e).
Rens. : 04 91 11 19 30 / www.merlan.org