L’entretien | Thomas Poitevin

Le comédien, auteur et metteur en scène Thomas Poitevin est peut-être l’une des rares personnes à ne pas blâmer nos confinements successifs, qui lui ont offert un merveilleux « conte de fées ».  Ses vidéos,  Les Perruques de Thomas, postées sur Instagram et Facebook, l’ont propulsé en mars dernier sur le devant de la scène, alors qu’il était en train de perdre son intermittence. Il nous est devenu indispensable. En pleine création d’un nouveau spectacle, Thomas Poitevin part en tournée avec la pièce de Sara Llorca créée aux Bernardines, La Terre se révolte.

 

 

Talentueux portraitiste, Thomas Poitevin se révèle en tant qu’auteur remarquable, se rapprochant du talent des grands qu’il admire. Les Perruques de Thomas, ce ne sont pas seulement des sketchs qui font du bien. Ils sont devenus, au fil des posts et de son projet de nouveau spectacle, de véritables mini-fictions, s’apparentant à une étude, une satire, aussi sociologique qu’amusante.
Futiles au premier abord, tous les personnages qu’il incarne, de la bobo Chloé à Caro la bourgeoise, en passant par l’envahissant Papy Daniel, côtoient, par leur profondeur et leur humanisme, ceux de François Morel pour le cœur, et les Nuls pour les phrases cultes. Leur universalité ne tient qu’à un bon mot, à un détail croustillant, à l’humour de la situation. Ici, la moquerie gratuite n’est pas de mise et le tragique s’invite parfois.

Interviewer Thomas, c’est entendre cette voix résonner délicieusement, comme une fresque de toutes les intonations chocs de ses créatures inventées.

 

Explique-nous le pourquoi de tes vidéos, qui ont illuminé le confinement des Français.
Tous ces petits portraits viennent de l’expérience d’un premier seul-en-scène qui a changé ma vie : Les Désespérés ne manquent pas de panache, qui a été repris à la Loge, puis en 2018 dans le Off d’Avignon. Suite à des problèmes de droits sur un projet, j’avais accouché en catastrophe d’un spectacle qui était une série de sketchs dans lesquels je jouais divers personnages. C’était en 2017, Hélène François était alors ma partenaire d’écriture.
Bien après cela, alors que je commençais à faire mon petit bonhomme de chemin comme auteur, s’est réveillé ce vieux désir enfoui d’écrire et de réaliser. J’ai fait un court métrage, une formation de réalisateur… mais j’ai eu la nostalgie de ce travail d’écriture et d’interprétation de portraits. N’ayant ni le temps ni les moyens de refaire un spectacle, j’ai créé une petite page Instagram pour laisser parler tous ces personnages. J’imaginais que j’aurais trois cents abonnés, mes amis et connaissances en gros, faire ça de temps en temps ; avec l’idée que ce serait comme un petit laboratoire d’expérimentation à vue… Puis le confinement est arrivé : j’ai posté beaucoup de vidéos, et ça a très bien marché… (ndlr : c’est le moins que l’on puisse dire, le jeune homme compte 60 000 abonnés)

 

 

 

À quel moment du confinement as-tu pris conscience que tu étais devenu « d’utilité publique » ?
Oh non, c’est trop fort, ça ! Je ne suis pas devenu Florence Foresti non plus !
C’était juste une joyeuse expérience. Tout y est positif, ne serait-ce que l’échange possible.

 

Désormais, et plus encore avec ce nouveau confinement, sens-tu peser sur tes épaules une pression d’ « amuseur public / réducteur d’angoisses »  ?
Aucune pression. Instagram est devenu une vraie respiration pour beaucoup de gens qui ont envie de sourire quelques minutes à la fin de la journée, et l’offre de talents est grande. Mon seul impératif est de continuer à publier dans un élan de plaisir. Si l’inspiration vient, elle vient !

 

« Rien n’arrivera à mettre à mort le frisson essentiel de voir un acteur porter un texte à quelques mètres de soi. »

 

Quels rapports entretiens-tu avec les réseaux sociaux ?
Grâce au succès de ma chaîne, j’ai découvert le très bon côté des réseaux sociaux : le dialogue, le partage, la rencontre… En tant que « regardant », j’ai toujours autant de plaisir à découvrir des nouveaux talents ou des vidéos-reportages intéressants, mais j’ai toujours autant de mal avec le côté « troll » et « tribunal populaire » de certaines publications…

 

Quelles sont tes influences ?
Je me suis indirectement et sûrement inspiré de gens qui font partie de ma vie : Lemercier, Claude Vega que j’ai découvert sur Youtube, l’équipe de Palace : Jean-Marie Gourio, Jean Carmet, Jacqueline Maillan… Ils m’accompagnent depuis mes six, sept ans. Je me souviens avoir pleuré à l’école après la mort de Jacqueline Maillan. Personne ne comprenait ! (rires)

C’est un peu grâce à eux que je me suis intéressé au spectacle. Petit, je regardais aussi Bouvard, les Inconnus… Mais aussi des humoristes anglais que je vénère, Jennifer Saunders et Dawn French, Little Britain : des maîtres de la « sketch comedy ». C’est pour cela que j’appelle mes vidéos des sketchs. Il y a aussi Catherine Tate, comédienne anglaise, un génie !

 

Ce succès pendant le confinement t’a-t-il apporté d’autres propositions ?

Oui ! Je suis chanceux et heureux, surtout d’avoir été remarqué comme auteur, c’est mon plus grand plaisir. J’ai eu par exemple des propositions de travail d’écriture pour d’autres artistes et d’une société de production pour une série. Surtout, j’ai l’immense chance de pouvoir faire un nouveau seul-en-scène en 2021, où l’on retrouvera des personnages de ma page et aussi des tout nouveaux. Être soutenu sur un projet de spectacle vivant, surtout dans le contexte actuel, c’est un luxe incroyable !

 

 

 

 

Les portes qui se sont ouvertes après le premier confinement se referment du fait de cette nouvelle interruption totale d’activités culturelles. Comment le vis-tu ?
C’est dur. Mais ça amène à résister. Comme acteur, je fais partie d’une équipe formidable, celle de La Terre se révolte. Toutes nos dates d’exploitation se sont retrouvées sur ce nouveau calendrier de confinement. On va quand même répéter, trouver des façons de rendre le spectacle visible. Au-delà de l’annulation ou du report de dates, c’est l’invisibilité du travail, même momentanée, qui met en danger les compagnies. Ça ajoute une peur supplémentaire à celle de la mise en péril économique.

Tant qu’on ne peut pas retourner au théâtre, il faut en parler, parler des auteurs, du travail des compagnies, des lieux qui font exister tout ça. Je pense que le spectacle vivant résistera à la crise du Covid, il a résisté à 2 000 ans de progrès, à l’arrivée du cinéma, etc. À mon avis, rien n’arrivera à mettre à mort le frisson essentiel de voir un acteur porter un texte à quelques mètres de soi.

Mais quand les salles ouvriront, il va falloir soutenir massivement les artistes qui font la création aujourd’hui, qu’ils soient jeunes ou vieux.

 

 

Quelle est cette époque où on fait le buzz sur le net durant le confinement et qui n’arrive pas à boucler ses heures d’intermittence ?
Je ne me suis jamais imaginé gagner ma vie avec mes perruques ! Je travaille dans différentes compagnies en tant qu’acteur, auteur ou assistant à la mise en scène. Je suis intermittent du spectacle, et j’ai conscience d’avoir de la chance que ce système existe en France. J’ai des amis comédiens à l’étranger qui, dès la fin du premier confinement, ont dû tout simplement changer de vie professionnelle pour pouvoir continuer à manger. L’intermittence est un très bon système, mais il faut toujours rappeler que ce n’est pas un système de fainéants privilégiés, c’est parfois usant. Il faut se battre sans relâche pour boucler ce statut chaque année. Et l’économie du spectacle a une importance considérable au niveau national. On a dû rappeler, au moment où les mesures pour l’année blanche ont été prises, qu’il ne s’agissait pas d’un cadeau fait à de « grands enfants artistes », mais bien de la logique de sauvegarde économique d’un marché qui a autant d’importance, que celui, par exemple, de l’automobile.

 

 

Quelle est ta position face au streaming, aux captations, au live sur le web ? Est-ce que tu regardes des spectacles sur le web ?
Il me semble que la seule parenté remarquable du spectacle vivant sur le web dans un temps comme celui-ci, c’est effectivement le direct, le live. On pourrait même affiner en rajoutant : un live réalisé précisément à l’attention de ceux qui regardent, dans ce contexte précis. C’est très personnel, mais les captations de spectacles en différé, ça n’a jamais fonctionné sur moi, parce que la performance ne m’a pas été offerte à moi au moment où elle a été enregistrée.

La performance d’un artiste, c’est un acte de don réciproque entre deux communautés qui ont choisi de se réunir dans un même lieu à un moment donné, celle des artistes et celle des spectateurs. Depuis le premier confinement, j’ai pas mal réfléchi à ça.

Je ne pense pas qu’il y ait un danger de « remplacement » du spectacle vivant par le « live ». Je pense par contre que c’est un sacré bon outil pour faire vivre la création en temps de Covid, si on trouve des formes pertinentes.

 

 

 

 

Tu t’es déjà essayé à l’image avec Stéphanie et Pierrick, les personnages du teaser de ton spectacle Les Désespérés ne manquent pas de panache, et avec ton premier court métrage, Fred et Paula, que tu as présenté au Festival Nikon. Penses-tu que l’image a plus d’avenir que le spectacle vivant ?
Ah non, pas du tout. La scène et l’image, ce sont deux médiums qui existent pleinement l’un sans l’autre, et parfois joyeusement l’un avec l’autre. Tout le monde pensait que le théâtre allait mourir lorsque le cinéma est apparu, il n’en est rien. Sur le long terme, je me fais plus de souci pour le cinéma tel que nous l’avons connu, ces bonnes vieilles salles, face aux plateformes de streaming. Là, j’ai vraiment peur que ça sente la sapinette.

 

Quels sont les # que tu mettrais pour ce nouveau confinement ? Et pour cette interview ? 

Ahaha ! Les hashtags, c’est toujours niais. Niais, ce n’est pas joli… je dirais « naïf ». Alors un beau hastag naïf mais vraiment utile : #ensemble. Voilà, je l’ai osé.

 

Propos recueillis par Marie Anezin

 

 

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