A la Fiesta des Suds © Jean de Peña

L’entretien | Nathalie Solia, directrice de la Fiesta des Suds

Fiesta toujours… Sur fond d’émotion et d’hommage, la trente et unième édition de l’historique Fiesta des Suds se veut plus que jamais ancrée dans le partage culturel, la relation sociale et humanitaire, et l’inépuisable énergie de fête qui la caractérise depuis ses débuts. Nathalie Solia, directrice du festival, trace avec nous les contours de ce projet central de la scène musicale marseillaise.

 

 

Les conditions sont un peu particulières, cette année, puisque Bernard Aubert, fondateur et ancien directeur de la Fiesta, a disparu brusquement. Comment appréhendez-vous cette édition ?

Déjà, on a été un peu bousculés. Ce n’était pas prévu… Ce n’est évidemment jamais prévu, mais on ne s’y attendait pas du tout : on avait encore du travail engagé avec Bernard. Depuis deux ans, on était sur une transition assez intéressante, ça nous un peu coupé l’herbe sous le pied ! Le festival était prêt, mais Bernard nous donnait un cap ! On a d’ailleurs fait plusieurs réunions dans le cadre d’un comité de programmation avec lui. L’organisation est un peu chamboulée à ce niveau-là. Plus personnellement, ça fait vingt ans que je travaille à la Fiesta, Bernard est un peu comme un père de famille… Faire la conférence de presse sans lui a été à la fois émouvant et bousculant. On a évidemment parlé tout de suite avec les équipes de lui rendre hommage pendant le festival. Ainsi qu’avec nos partenaires, afin de marquer les esprits, rassembler un maximum de personnes, sortir des murs de la Fiesta et proposer une édition qualitative et ressemblant à ce qu’il a construit depuis trente ans.

 

À ce propos, parlez-nous de cet événement prévu sur le Vieux-Port…

Le 7 octobre au soir, nous organisons une cavalcade de cent chevaux qui remonteront du Vieux Port au J4 pour finir par un tour de piste de la grande scène, comme un salut à Bernard. Une centaine de chevaux, vingt-cinq cavaliers qui sont gardians d’élevages d’Arles et des environs. Un troupeau de chevaux en liberté, ça va être assez impressionnant à vivre et à voir ! C’est amusant, ce n’est pas de la musique mais ça représente toutes les cultures des suds, comme Bernard aimait à les montrer.

 

La Banda du Dock, elle aussi, représente bien cet esprit !

La Banda, c’est pareil ! On s’est replongés dans les photos, on a tous vieilli (rires), mais c’est clairement un marqueur fort du festival, je n’ai pas le souvenir d’une Fiesta sans Banda. Malheureusement, comme cet hommage a été prévu en dernière minute, elle ne sera pas là le samedi soir, mais viendra le jeudi !

 

Chaque année, vous repensez l’espace du J4 en y ajoutant des nouveautés. Qu’avez vous concocté cette année ?

Comme l’an dernier, on repart sur trois scènes : deux scènes qui se répondront — la Mer et l’Étoile, tandis que la scène Major, imaginée l’an dernier, jouera en permanence sur des propositions live comme djs ; non-stop de 19h30 à 22h30, comme ça avait toujours été le cas avant et comme nous avons eu du mal à le mettre en place depuis quatre ans que nous sommes au J4. C’était un pari, l’an dernier, fortement poussé par Fred, le nouveau programmateur, et ça a bien fonctionné. Cela permet de sauvegarder une ambiance festive pendant toute la soirée, ou bien simplement d’écouter autre chose.

On avait aussi envie de proposer des endroits un peu plus confidentiels, cachés, comme lorsque nous étions entre les murs du Dock des Suds. On a donc décidé de recréer une bodega ! Ça a toujours été un endroit légendaire à la Fiesta, et c’est dans le prolongement de l’hommage. C’est tout petit, tout caché, et tous les Marseillais fiesteurs ont déjà pu s’y retrouver. J’espère qu’on y transpirera autant que ce que nous avons sué auparavant. La programmation y sera spécifique également.

 

L’esprit festif auquel vous tenez tant se retrouve également dans les afters…

Pour les mêmes raisons, on ne peut pas se dire qu’à deux heures du matin, la fête est finie. On a la chance d’avoir le Dock des Suds, qui nous accueille sur une seule soirée cette année, le samedi soir, avec une affiche assez originale, qui permet de continuer la fête jusqu’au bout de la nuit.

 

Vous parliez de Fred André, le nouveau programmateur. Depuis l’an dernier, on note un fort retour à l’essence même du festival, à savoir le mélange des cultures, les musiques des suds, l’émergence…

Fred vient de l’association Comparses et Sons et est intégré depuis des années dans le milieu culturel musical local. À nos yeux, il a cette compétence de connaître les artistes et tendances musicales, les productions et producteurs, les tourneurs… Son ancrage territorial est très fort, et c’est l’ADN de la Fiesta. Puis, on fait le grand écart avec des têtes d’affiche qui attirent du public, ce qui nous permet d’avoir un mélange des genres sur les scènes et de faire coexister scènes locale et nationale, voire internationale. C’est exactement là où on veut se situer et Fred s’en sort bien.

C’est sa deuxième année, il s’assoit vraiment dans le fauteuil de programmateur avec plus de confiance car on lui a confié le « paquebot » Fiesta. C’est une belle gageure pour lui. Cette année encore, il relève le défi et propose une programmation qui lui ressemble. Je n’en dirai pas plus mais il va enfoncer le clou pour 2024…

 

Comme d’habitude, vous donnez la parole l’associatif et créez une communication entre les acteurs sociaux et le public…

Ça fait des années ! On a déjà travaillé à l’époque avec la Fondation Abbé Pierre, Amnesty International, le Secours Populaire… On veut faire vivre avec le tissu associatif et militant ! Ce que l’on pense profondément, c’est que pour le public d’un festival, nous sommes comme un gros contenant : il faut qu’on arrive à proposer des concerts, bien sûr, mais qu’on profite de la mobilisation du public pour l’intéresser à des sujets de traverse qui nous animent : les enjeux sociétaux, environnementaux… et ça fonctionne très bien ! Les gens s’arrêtent, discutent, on nous a fait part de l’engouement et des dons faits sur place, ça va plus loin que la simple observation, des discussions sont engagées, du militantisme se crée. On ne peut plus penser la Fiesta autrement qu’avec les associations, on a d’ailleurs une personne en poste investie uniquement sur ce thème. On tient particulièrement à développer un dispositif de lutte contres les violences faites aux femmes, sexistes et le harcèlement, mettre en pace des pratiques permettant de faire évoluer les mentalités le plus possible, d’où notre travail avec le Planning Familial 13, qui nous nourrit mutuellement.

 

Cette année, grande nouveauté : la Fiesta s’étend sur le dimanche, en gratuit et en famille…

On veut aller à contre-courant de la surmarchandisation de la culture. La journée du 8 octobre sera gratuite, et ce qui est extraordinaire, c’est que la Ville nous a suivis, et le Département nous a fortement motivés à proposer ce rendez-vous à l’adresse des familles.

Anecdote : ce projet, au-delà de l’engagement social et culturel, est né du constat qu’en démontant le dimanche, sur l’Esplanade du J4, il fait toujours très beau, il y a beaucoup de monde dont des familles qui viennent visiter le Mucem ou la Grotte Cosquer avec en face d’eux une esplanade barriérée, dans la poussière et dans le bruit des engins… On s’est dit au bout de trois ans : accueillons ces familles, proposons leur des animations et activités sécurisées, des concerts, de la pétanque, de la restauration… on imagine d’ailleurs déjà construire plus massivement des choses avec nos amis du Mucem et de la Grotte, ainsi que plus largement avec les centres sociaux pour accueillir tous les publics. D’ailleurs, la programmation réunit Vacarme, la Batucada des enfants de Noailles, née d’un projet d’éducation culturelle, ou la chorale locale Afrimayé. Enfin, Faada Freddy clôturera l’édition, des énergies positives, douces et festives.

 

Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram

 

La Fiesta des Suds : du 5 au 8/10 sur l’Esplanade du J4 (2e).

Rens. : fiestadessuds.com

La programmation détaillée de la Fiesta des Suds ici