Mansfield.TYA © Philippe Jarrigeon

L’entretien | Mansfield.TYA

Duo aux étiquettes incollables ou décollées, Mansfield.TYA donnait il y a quelques jours un concert à l’Espace Julien, pour le festival Avec le Temps. C’était sans doute une des dernières belles occasions de rencontrer Rebeka Warrior et Carla Pallone à leur arrivée, puisqu’elles jouent leur tournée finale, après vingt ans de musique entre chanson (souvent française) et violon baroque, énergie punk et rythmes new wave ; le tout composé par des esprits profondément poétiques et drôles, non dénués d’un minimalisme électro assez mystique.

 

 

Vous qui venez juste d’arriver à Marseille, comment vous y sentez-vous ?

Carla : C’est génial d’être là parce qu’on n’est pas venues si souvent.

Rebeka : Mansfield et Marseille, c’était pas gagné ! Mais les temps changent, il faut croire : ça va être complet ce soir, et on est trop contentes de venir à l’Espace Julien, on n’est jamais venues dans cet endroit pur centre. Et moi j’aime beaucoup Marseille, donc je suis enfin contente que vous adoptiez Mansfield.TYA !

C. : Adoption plénière !

 

Enfin, parce que vous fêtez vos vingt ans ! Ce sont vos vingt ans tout pile ?

R : C’est l’anniversaire un peu toute l’année, parce que notre première trace discographique est de 2002. Tu te rappelles cette petite démo que je gravais sur mon ordi et qu’on avait appelé Salope, d’ailleurs ? Les mystères des noms d’album de Mansfield.TYA… Cette démo, on l’avait d’abord appelé TYA, puis en fait un journaliste a cru que c’était le nom de notre groupe, c’est donc de là que vient le « TYA », qui s’est ajouté à Mansfield. On a dû réinterpréter le nom de cette démo en l’appelant Salope.

 

Cet anniversaire marque aussi la fin de Mansfield.Tya. Pourquoi ?

C : Comme ça, on aura toujours vingt ans.

R : Et puis Monument Ordinaire, c’est un méga bel album donc j’ai l’impression qu’on s’arrête au sommet ! L’idée, c’est de planter cet album en haut de la montagne et de dire que c’est une trace de nous pour toujours.

C : On a pas prémédité tout ça, c’est en faisant l’album qu’on s’est dit que c’était le dernier.

 

Comme toujours avec vous, on est dans l’autodérision, l’ironie, peut-être même dans le cynisme. Par exemple, votre titre Ni morte ni connue ferait-il référence à l’histoire de votre duo et à ses vingt ans ?

R : Non, mais il y a quand même beaucoup de cynisme dans cet album, parce que l’humour noir nous caractérise, et parce que c’est agréable et important de rajouter de la dérision dans des chansons qui seraient, sinon, trop pesantes. On a d’ailleurs décidé de regrouper nos chansons favorites sur un album qui s’appellera Twenty Years After.

 

Un best-of ?

C : Je préfère « rétrospective ».

R : Carla qui aime le vieux français — C : Et le cinéma ! R : — préfère « rétrospective » !

 

Mais la rétrospective comportera quand même un titre inédit ?

R : Tout à fait, c’est un titre qui s’appelle De Vita Beata, qu’on a retrouvé, je ne sais pas pourquoi il n’est pas sur Monument Ordinaire

C : En fait, c’est le même instru que Le Parfum (Le Parfum Des Vautours, ndlr).

R : D’accord, première nouvelle. Donc on réécrit toujours la même chanson ! C’est bien, tu m’apprends un truc, parce que moi quand j’ai réécouté De Vita Beata, j’étais genre « le titre est trop bien, je sais pas pourquoi on l’a pas mis », mais maintenant je comprends.

C : Donc voilà, on commence à radoter.

 

C’est un bonus. On pense aussi aux Stèles, ces vidéos poétiques et explicatives sur les sources de vos inspirations, une par titre : comment cette idée de « stèle » vous est-elle venue ?

C : En fait si je me souviens bien, en février on était coincées : quand on a sorti l’album, on ne pouvait pas le jouer, c’était le confinement. J’ai bien aimé cette idée de pouvoir partager des choses qui sont en dehors des morceaux eux-mêmes, la façon dont on a vécu la composition de l’album, et de livrer des choses plus personnelles autour de tout ça.

R : C’était une manière d’être créatives sans faire de scène : l’album était sorti, on attendait de pouvoir jouer et il fallait qu’on fasse quelque chose qui parle aussi de notre musique et qui continue d’être une force créatrice, sinon on serait devenues un peu zinzin.

C : Et puis même pour faire un truc un peu de l’ordre de la mémoire, de pouvoir se souvenir de l’intention, de l’élan premier. Je trouve que c’est génial — par exemple tu parlais de Ni morte ni connue — que chacun puisse trouver un sens. C’est tout l’intérêt aussi pour les clips. Nicolas Medy (le cinéaste qui a réalisé les clips pour Acqua Fresca et Auf Wiedersehen, ndlr) a complètement réinterprété le propos initial, ou en tout cas il a ouvert un discours qui était plutôt personnel et qui est devenu, avec le clip, politique.

R : Il y avait aussi cet aspect qui était important pour moi d’utiliser les réseaux comme quelque chose d’intéressant, pas que chronophage et chiant. En faisant les Rites(1), on a utilisé les réseaux à bon escient.

C : D’ailleurs, ça m’a un peu réconciliée avec les réseaux parce que je les trouve hyper pesants, ils mettent une forme de pression : il faut réinventer la manière dont on s’en sert.

 

Cette dernière tournée vous satisfait-elle ?

R : C’est génial, les salles sont vraiment combles, les gens sont à fond, et puis on a l’impression de partager un truc un peu mystique avec le public.

C : C’est hyper précieux, et aussi comme au début on ne pouvait pas jouer l’album, c’était bizarre de ne pas le faire vivre. Quand on a commencé à tourner, c’était génial parce que les gens connaissaient déjà bien l’album !

 

Monument Ordinaire, c’est l’album qui a lancé WarrioRecords, le nouveau label que tu chapeautes, Rebeka. Alors, comment ça se passe ?

R : J’ai dit l’autre jour que c’était un peu comme faire une AMAP ! Ce disque était tellement important pour nous que j’avais envie qu’on le choye. Le label, c’était aussi un moyen de suivre toute la production de l’album, et d’être attentive aux auditeur.ice.s, d’aller déverser dans leurs petits paniers le meilleur disque.

C : Il y avait vraiment cette volonté, dès le début de la composition de Monument Ordinaire, de changer un peu de système, d’être autonome : avec toutes ces années de Mansfield, on a eu envie de faire un peu plus « compagnie ». Julia (alias Rebeka, ndlr) avait plus envie de monter un label, alors rassemblons tout ça, plutôt que de produire Mansfield d’un côté et faire le label de l’autre.

 

Le cru de vos récoltes, avec des nouvelles recrues. Je pense à Cate Hortl, qui a joué il y a quelques semaines à Marseille…

R : Le prochain EP qu’elle va sortir chez nous est ouffissime ! Très new-wave, cold-wave, minimal-wave…

 

Vous avez composé avec Odezenne et Fanfan des Béruriers Noirs, comment ça se passe maintenant ?

R : Ce sont des petites crèmes, maintenant ils nous manquent, on a envie qu’ils soient là à chaque concert. Odezenne était là avec nous quand on a été jouer à Bordeaux et là, c’est une surprise… On va quand même aller à leur Zénith, oui, c’est un scoop. Et Fanfan vient régulièrement, il est venu à notre première à Lyon, où il vit.

C : C’était un bon baptême.

R : Sinon, ils viennent à Paris, au Trianon… et d’ailleurs, la « rétrospective », sous forme de disque vinyle, sera distribuée par Archives de la Zone Mondiale qui est ancestralement le distributeur des Béruriers Noirs, donc on continue avec ces AMAP de punks autonomes.

 

Tout ce qu’on aime.

R : C’est vrai qu’à Marseille vous aimez bien ça !

 

Propos reccueillis par Margot Dewavrin

 

Monument Ordinaire, le dernier album de Mansfield.TYA est paru en février 2021 sur WarrioRecords. On attend la rétrospective Twenty Years After pour avril prochain.

Pour en (sa)voir plus : https://www.warriorecords.com/

 

 

 

 

Notes
  1. Les stèles et les rites sont des making of intimistes, des extraits vidéo de leurs collaborations, de leurs rencontres, leurs équipes, extraits sonores de leurs lives, montages d’images inspirantes. Tableaux d’ambiances, elles sont faites d’anecdotes engagées sur leurs compositions, d’images qui les ont inspirées, d’explications sur le matériel qu’elles aiment utiliser, ou qu’elles découvrent tout juste… À coup d’une minute par morceau, les stèles se font sépultures de leurs secrets de fabrication, documents de leurs pratiques musicales.[]