L’entretien | Élise Bertrand et Tanguy de Williencourt

Le Festival de Pâques 2021 est 100% numérique, gratuit et plus audacieux que jamais. Pour cette édition si particulière, Renaud Capuçon et Dominique Bluzet ont décidé de repousser les frontières, géographiques comme artistiques. Nous avons interrogé Élise Bertrand et Tanguy de Williencourt, talents prometteurs réunis à l’occasion du concert Génération @ Aix, qui met en lumière les jeunes artistes de la musique classique aux côtés de musiciens confirmés et qui a réuni cette année quelque dix mille spectateurs en ligne.

 

 

Tous les concerts du Festival de Pâques sont filmés et retransmis gratuitement tous les soirs sur le site de la manifestation, générant ainsi des milliers de vues dans le monde entier et permettant ainsi un élargissement spectaculaire de son public. Cette année, la programmation mélange allègrement les genres, et met l’accent sur des jeunes talents en pleine éclosion ; ainsi, au-delà d’une belle adaptation aux contraintes sanitaires, le festival se réinvente !

Tous les ans, l’emblématique concert Génération @ Aix symbolise un désir de transmission. Cette année, Renaud Capuçon s’est entouré de trois jeunes virtuoses : la soprane Jeanne Gérard, la jeune compositrice et violoniste Élise Bertrand et Tanguy de Williencourt, pianiste très prometteur. Ensemble, ils ont interprété des œuvres de Rachmaninov et Strauss, mais aussi, et en première mondiale, la nouvelle composition d’Élise Bertrand, Sonate poème, création pour violon et piano.

Rencontre croisée entre Élise Bertrand et Tanguy de Williencourt, réunis autour de cette sonate composée dans le Var en plein confinement.

 

Quel est votre rapport au Sud, à notre région ?
Élise Bertrand : J’ai une attache très forte au Sud car je suis née à Toulon et j’ai passé treize ans à Pierrefeu-du-Var où je reviens très régulièrement voir mes parents. Habitant Paris, j’y ai passé un merveilleux confinement ! (Rires) Notre région, où j’ai commencé le violon, est un lieu très inspirant pour composer et se ressourcer… l’espace, le soleil… La sonate et d’autres pièces ont été écrites là-bas, notamment la Sinfonietta pour cordes Op.13, créée mi-mars pour l’Orchestre de Douai sous la direction de Jean-Jacques Kantorow. Quant à Aix-en-Provence, j’ai eu un coup de cœur absolu lorsque j’y suis venue en octobre dernier pour le festival Nouveaux Horizons, à l’invitation de Renaud Capuçon. J’étais donc très heureuse de revenir ici.
Tanguy de Williencourt :
J’aime beaucoup la région, j’ai de la famille à Aix, j’ai donc eu l’occasion d’y venir depuis tout petit. Et comme cette région du Sud compte beaucoup de magnifiques festivals de musique, j’y suis revenu souvent : à La Roque-d’Anthéron mais aussi au Festival d’Art Lyrique d’Aix. Et spécifiquement, au Grand Théâtre de Provence, j’étais chef de chant sur La Flûte enchantée de Mozart, mise en scène par Simon McBurney, interprétée par Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion ; un grand moment !
Aix est une ville à laquelle on s’attache de plus en plus au fil des visites. Et encore, là, les restaurants sont fermés ! (Rires)

 

Tanguy, connaissiez-vous le travail d’Élise ?
T.W. : Mon premier contact avec Élise a été sa partition !

 

Élise, comment se retrouve-t-on à honorer une commande spéciale du Festival de Pâques ?
E.B. :
Grâce à une belle histoire de complicité avec Renaud Capuçon ; c’est quelqu’un de formidable, il aime beaucoup les jeunes, nous le remercions tous pour cela. C’était un grand plaisir de composer pour lui, il m’a fait confiance parce que Jean-Jacques Kantorow lui a parlé de moi. Il m’a commandé la sonate pour violon et piano en décembre 2019 sans préciser pour quel évènement, j’ai donc eu le temps de mûrir ce projet. En octobre dernier, il m’avait déjà invitée lors du festival Nouveaux Horizons avec dix autres jeunes compositeurs. J’y ai présenté une création pour chant et piano avec la mezzo-soprano Adèle Charvet et le pianiste Théo Fouchenneret. En plus d’Aix, Renaud m’a proposé de venir aux Sommets musicaux de Gstaad, malheureusement reportés en janvier 2022.

 

Qui a choisi l’interprète au piano de la sonate ?  

E.B.: C’est Renaud. Mais je suis très contente, il me convient ! (Rires). Tanguy est parfait ! Une rencontre positive.

 

Et si vous vous présentiez mutuellement ?
E.B. : Alors, Tanguy est quelqu’un qui joue merveilleusement. Quand on a un contact avec lui, il est très humain, sensible, à l’écoute. Lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, nous avons très vite senti nos qualités humaines et c’est quelque chose qui va toujours de pair en musique de chambre, qui fait que cela marche ou pas dans un ensemble. Les personnalités humaines doivent vraiment bien s’entendre et se compléter, ce qui a été notre cas. Tanguy a été extrêmement réactif, il a proposé des choses dans ma sonate, Il a été très inventif, lyrique et souple… En fait, tout ce que j’aime lorsqu’un musicien joue ma musique ! C’était vraiment un travail très enrichissant pour moi, j’ai adoré !
Pour la Sonate pour violon et piano en si mineur, IAM 4 de Amanda Röntgen-Maier que nous avons jouée ensemble pour le concert Génération @ Aix, j’ai senti tout de suite une grande complicité musicale, j’étais immédiatement à l’aise, c’était très agréable. Notre connaissance de la partition est portée vers des éclairages différents qui se complètent très bien. Je suis ravie !

TW : Oh là là ! En fait, c’est terrible ce que vous nous faites faire ! (Rires) Que dire après cela ? Je suis déjà heureux d’avoir rencontré Élise, violoniste hyper douée, dotée d’une grande musicalité et d’un super son. Elle m’a donc donné beaucoup d’exemples au piano, dont elle joue également, et en fait, c’était top tout de suite. On ressent conjointement la personnalité de la musicienne et de la compositrice, ce qui m’a permis de vraiment comprendre son univers musical : c’était d’une grande richesse. Je me glissais dans ce que proposait Élise et c’était d’une évidence grâce à son interprétation. Je n’avais jamais joué cette sonate de Amanda Röntgen-Maier. En fait, quand j’ai reçu la partition de la sonate d’Élise, je me suis demandé si elle n’avait vraiment que vingt ans. Il y a déjà une maturité ; c’est bien écrit, équilibré, architecturé. Dans des œuvres de jeunes compositeurs et compositrices, il y a parfois des faiblesses ; on se dit que c’est mal foutu, que ça ne sonne pas bien. Mais là, ce n’est jamais le cas, tout fonctionne tout de suite, malgré la technique et la grande quantité de notes. Bravo Élise !

 

 

Dans les pièces d’Élise, il y a toujours beaucoup de mélancolie. Tanguy, lorsque vous interprétez Wagner, vous êtes très passionné, engagé, avec un trait hyper délicat. Est-ce que vous n’aviez pas déjà une sensibilité commune et des ramifications entre vos deux univers ?

E.B. : Nous avons bien sûr cela en commun ; une même sensibilité, un lyrisme et un don de soi total, avec en même temps des spécificités. Lorsqu’on interprète ou qu’on compose, on doit donner le meilleur de soi avec sa personnalité !

TW : Il y a en effet du lyrisme et de la passion liés au romantisme, mais il y a aussi de l’impressionnisme dans les couleurs de la sonate d’Élise… du Berg, du Szymanowski, qu’elle adore. Dans le final, on trouve un peu de Prokofiev, avec une structure très tenue… De nombreuses choses se fondent ainsi et pour nous interprètes, c’est génial, on peut se faire plaisir, s’amuser, c’est top !

 

Tanguy,  comment joue-t-on une partition d’une compositrice vivante, d’autant plus quand elle partage une partie du concert avec vous ?
T.W. : J’ai déjà créé des œuvres de compositeurs vivants, je trouve au contraire que cela est plus exaltant que stressant. Évidemment, nous avons une responsabilité très forte ; mais c’est un plaisir de mettre en valeur une composition, qui plus est d’une aussi jeune et talentueuse compositrice. J’étais un peu stressé pour la première répétition parce que c’était une première rencontre ; tout de suite, Élise m’a mis en confiance car elle parle très bien de sa pièce, on sait tout de suite là où on doit aller au niveau de l’expression musicale.
Quand j’ai déchiffré la sonate, je l’ai adorée, mais je l’aime encore plus maintenant parce que je sens vraiment l’état d’esprit et l’univers qu’Élise veut transmettre à travers elle. C’est un atout que la compositrice la joue aussi au violon.
E.B. : En effet, nous avons pu la jouer ensemble en répétitions avec Tanguy. Nous avons décidé de la travailler pour nous ; Renaud nous a laissés faire puis nous lui avons joué hier un peu entre deux portes. C’est vrai que j’ai un peu imprimé mon univers sur Tanguy. (Sourire)

 

En dehors du classique, quel est votre rapport aux autres genres de musique ?
E.B. :
J’aime le jazz, on y sent en même temps beaucoup de liberté et une structure très intense, que nous pressentons lorsque l’on doit improviser. Autrement, j’aime écouter la chanson française ou à textes, je trouve cela magnifique et très touchant : Aznavour, Brel… Mais nous sommes très occupés et n’avons pas  vraiment le temps d’écouter autre chose. Et puis à certains moments, il y a le besoin de couper avec son… juste sortir, prendre l’air…

TW : Ado j’ai eu un groupe de rock, Space Note. J’étais au clavier, au synthé, j’ai adoré ça ! Nous avions même joué au Bataclan ! Ça a duré dix ans, j’y jouais encore à mon entrée au Conservatoire de Paris. Je suis hyper ouvert en musique, j’écoute vraiment de tout : pop, variétés (j’adore), de l’électro aussi… Je viens de découvrir le dernier album d’Eddy de Pretto, les textes sont super, un artiste touchant.

 

Tanguy, est-ce que vous aimeriez à nouveau sortir de votre répertoire classique ?
T.W. :
  Nous sommes dans une époque où chacun est ultra spécialisé, chacun dans son domaine. De plus en plus, il y a des ponts qui se font entre les styles et c’est très souhaitable ; lorsque cela se fait, c’est top. Donc oui, pourquoi pas collaborer avec des artistes de musiques actuelles ?

 

En tant que jeunes artistes, comment vivez-vous cette époque compliquée ?
E.B. :
Il y a beaucoup de projets qui tiennent le coup, que ce soit en captation ou en huis-clos. C’est important pour la motivation d’avoir des projets qui fonctionnent, nous avons besoin de travailler sur quelque chose de précis. Bien sûr, il y a des choses reportées, annulées, mais ce qui est bien avec la création, c’est que l’on compose pour un temps indéterminé. Une fois que c’est écrit, c’est écrit ! (sourire) ; le plus important est fait. C’est la dimension qui diffère avec celle de l’interprétation, j’ai donc plutôt de la chance.

 

Cette édition du Festival de Pâques n’a-t-elle pas, pour vous musiciens, une dimension de soutien psychologique et d’émulation artistique ?
E.B. :
C’est extraordinaire que ce festival ait pu avoir lieu ! Nous remercions chaleureusement Dominique Bluzet, Renaud Capuçon et toute l’équipe parce qu’ils ont fait un effort colossal pour maintenir ce festival à flot, pour nous accueillir merveilleusement bien. C’était une immense nouvelle quand on a annoncé que notre concert était maintenu alors que beaucoup ont été annulés.
T.W : Nous sommes arrivés avant-hier pour les répétitions, donc nous avons pu assister au concert de Bertrand Chamayou et celui de Jean-Jacques Kantorow. Cela nous a permis de croiser d’autres musiciens et de se retrouver un peu parce que depuis les confinements successifs, nous ne voyons plus trop nos collègues et amis musiciens. Merci aussi à Renaud Capuçon d’offrir les concerts en live qui touchent un autre public. Il y a beaucoup de festivals qui ne peuvent pas se le permettre et qui malheureusement doivent abandonner.
E.B. : Il y a beaucoup de personnes qui n’auraient pas pu se rendre à Aix-en-Provence et qui peuvent assister à tous les concerts gratuitement !

 

Élise, la question qui vous agace apparemment : comment voyez-vous la place des compositrices dans votre milieu ?
E.B. :
Oui, c’est la question qui revient le plus en interview… et à laquelle je réponds immanquablement que c’est le talent qui prime ! Que ce soit une femme ou un homme, ce qu’il faut c’est la qualité de l’œuvre et ne pas exposer à tout prix des femmes parce que ce sont des femmes. Évidement, il y a encore peu de femmes qui sont mise en valeur, mais ce qui compte vraiment, c’est d’inciter les jeunes à composer sans distanciation de sexe et ainsi les choses évolueront. Renaud m’a choisie parce qu’il aimait ma musique et j’imagine que si ça allait dans la mouvance, c’était encore mieux ! (sourire)
T.W : Depuis quelques mois, nous redécouvrons des œuvres de compositrices du passé, comme Amanda Röntgen-Maier dont nous avons interprété l’œuvre pendant le concert Génération @ Aix. C’est très important qu’il y ait cette démarche de découverte et de relecture.

 

Propos recueillis par Marie Anezin

 

Festival de Pâques : jusqu’au 11/04 en ligne sur le site https://site.festivalpaques.com/

Élise Bertrand et Tanguy de Williencourt seront au Festival International de La Roque-d’Anthéron les 7 et 8 août prochains. Élise Bertrand y interprétera des œuvres de Bartok, Tristan Murail et Gilbert Amy.

Tanguy de Williencourt enregistre actuellement à Bruges avec l’Orchestre de Flandre un programme autour du liégeois César Franck qui sortira début 2022.