Respire © Damien Boeuf

L’Entre-deux-Biennales et les Élancées

Fil prodige

 

L’Entre-deux-Biennales et les Élancées démarrent en fanfare, avec plusieurs spectacles qui affichent complet et une programmation sur le fil. Cette Entre-deux-BIAC et le Festival des arts du geste de Scènes et Cinés sont placés sous le signe de l’équilibre, du voyage et d’une heureuse reconquête du public.

 

 

Cette année, la BIAC (Biennale internationale des Arts du Cirque) et les Elancées jouent la carte de l’équilibre au milieu des déséquilibres du moment. La prise de risque est vertigineuse. Il est certain que les salles ne sont pas aussi bondées qu’avant. Avec des mesures sanitaires compliquées, un virus galopant qui déstabilise toutes les programmations avec la multiplication des cas de covid dans les compagnies et les équipes techniques, des spectateurs qui ont du mal à revenir, soit parce qu’ils n’osent pas, soit parce qu’ils sont sans pass sanitaire ou malades, soit parce qu’ils ont pris l’habitude de réserver au dernier moment, il y a de quoi donner l’impression de sauter dans le vide sans parachute. Finalement, au dernier moment, les achats de places décollent.

Belle surprise, le premier week-end de l’Entre-deux-Biennales a été une réussite ; l’opération séduction qui s’imposait pour faire revenir le public a plus que fonctionné ! Probablement frustrés d’avoir raté les éditions 2021 (uniquement réservées aux professionnels) et en demande de respirations, les spectateurs ont largement répondu présent ; il y aurait même eu de quoi faire une troisième séance d’ouverture. Il faut dire que les propositions étaient irrésistibles.

 

Le retour de Johann Le Guillerm

Découvert pour la plupart des Marseillais à la BIAC 2017, cet artiste très prolifique a pour particularité de créer des spectacles sur piste selon un concept de mutation (qui dure sept ans). Toute nouvelle pièce est composée pour la moitié d’un spectacle complètement renouvelé (plus d’une dizaine de numéros), d’un quart qui reste du précédent et d’un quart qui revient des antérieurs. Il a une matière qui s’organise aujourd’hui avec plus de quarante numéros. Terces est donc un bonheur pur semé de retrouvailles avec des séquences précédemment adorées, de trésors d’inventivités attirants pour tous les âges et d’une grande réflexion sur le monde, tout en gardant un regard solaire autant qu’enfantin qui lui octroie cet aspect ludique. Johanne Le Guillerm : « Je n’ai rien rajouté ces derniers mois au contenu de mon spectacle. Il se trouve juste que la direction que je prends est compatible avec l’actualité. Et même plutôt raccord, notamment sur les questions d’écologie : toutes mes machines ont des énergies assez propres. Et je finis par une construction collective qui est en même temps un habitat en dessous (construit sans aucune vis ou clous) et qui, vu du dessus, reprend la forme de la terre, d’une demi-sphère, une macro planète de bois. »

 

L’Entre-2-Biennales sort le grand jeu et souffle des bulles de magie

À l’image de Respire, qui ouvrait la manifestation à la Vieille Charité. Samedi et dimanche derniers, un petit chaperon rouge a suivi le fil de son émancipation pour semer son loup dans la cour de ce majestueux et inspirant bâtiment édifié au XVIIᵉ siècle pour abriter les indigents et les pauvres de la ville. Un symbole fort pour la funambule belge Johanne Humblet pour qui « Au-delà du conte, c’est le loup, les peurs que nous avons en chacun de nous qu’il faut dépasser, sortir d’un cadre assigné. » Un pur moment d’enchantement qui a laissé les enfants sans voix, les yeux écarquillés de plaisir et d’admiration lorsqu’il se sont retrouvés face à leur idole d’un jour avec une seule question à poser : « Tu tombes jamais ? ». La réponse est non, ni à neuf mètres du sol au-dessus de huit cents spectateurs comme ici, ni à quarante-neuf mètres sur un gratte-ciel de Villeurbanne. Johanne aime la vie, le risque, et communique à la fin de son show les combats que l’on doit mener, toujours dans le plaisir de la réussite.
Respire est tout sauf une traversée accompagnée d’un concert, c’est un spectacle à part entière, avec une dramaturgie et des interprétations circassiennes mais aussi musicales des fabuleux musiciens rock punk de Deadwood (que l’on retrouvera bientôt chez Générik Vapeur). En résidence à Marseille, à Lieux Publics et à Sud Side, Johanne a expérimenté certaines choses lors de ses séjours marseillais, « notamment le fil sonore qui crée du son et lance des boucles de musique pour qu’après ça se répercute sur les musiciens… De cette façon, les musiciens impulsent la musique mais moi aussi. Les évacuations lorsque je descends avec le loup à la fin ont aussi été travaillées là-bas. Sud Side fait quasiment toutes nos constructions, le fil instable de Résiste et le matériel de la fin du triptyque Révolte, c’est eux. » Sous une pluie de remerciements et une standing ovation, Johanne a retrouvé Guy Carrara, le directeur d’Archaos et de la BIAC, les yeux embués d’émotion, « balançant » au passage l’initiateur de ce projet : Xavier Rey, nouveau directeur du Centre Pompidou et ancien directeur des musées de Marseille, qui avait fait le voyage exprès pour voir se réaliser un projet qu’il avait proposé à la BIAC. « Il était ému aux larmes. » Les musées sont effectivement de nouvelles scènes potentielles pour le cirque. Ainsi, la compagnie Monad présentera une version courte pour les musées de Yin Zéro au Musée National Fernand Léger à Biot, au Mucem et à la Fondation Vasarely. La version longue, Yin, sera quant à elle chez Archaos. C’est le coup de cœur de Simon Carrara (directeur délégué de la BIAC) : « C’est un spectacle intemporel où il est bon de se perdre, de se laisser aspirer, de lâcher prise pour être entrainé, comme hypnotisé par ce jonglage dansé. C’est beau, c’est doux, drôle et touchant à la fois. »

 

De fil en succès, les Elancées

Si Guy Carrara rêve d’une battle entre Johanne Humblet et Tatiana Mosio-Bongonga, les deux artistes féminines qui ont ouvert la voie d’un « renouveau » de la discipline du fil, elle se fait de manière symbolique, à distance. La féline rousse de la Compagnie des Renards Pâles a fait l’ouverture des festivités, la brune Tatiana de la compagnie Basinga clôturera la vingt-quatrième édition des Élancées avec sa nouvelle création Soka Tira Osoa. Une proposition participative jouant beaucoup plus sur le côté spectaculaire : le public participe à la levée de la structure, accompagne l’artiste dans sa progression… L’effort est, ici, au cœur de la proposition. Allez-vous balader au bord de l’Étang de l’Olivier pour découvrir gratuitement cette pièce créée pour l’occasion.
Un autre Rouge Chaperon, celui de la compagnie DK59, sera aussi de la partie avec un conte chorégraphique qui mélange les codes et exacerbe les émotions sous le rouge de la lampe.

Ne ratez pas Dans ton cœur, mis en scène par Akoreacro et Pierre Guillois, qui triomphe au Rond-Point avec son performant Les Gros patinent bien (vu cet hiver au Bois de l’Aune). Gros succès public le week-end dernier à la Seyne-sur-Mer pour l’Entre-deux-Biennales et dans le off d’Avignon cet été, Dans ton cœur met les affres du quotidien et du couple en situation de haut vol. C’est LE spectacle drôle, pas prise de tête et rafraichissant à voir !
Côté magie, on se régalera de l’inénarrable et pétillant Garden of Chance de et avec Christian Ubl et Kurt Demey. Ces duettistes malins savent sortir leurs cartes du jeu et sublimer le hasard. Succulent !

Du 25 janvier au 6 février, le cirque et la danse du moment se déploieront sur le territoire Ouest Provence dans une folie communicative et jubilatoire : vingt-six compagnies (Käfig – CCN de Créteil et du Val-de-Marne, les Colporteurs, le Cirque Hirsute, À Sens Unique, L’Oubliée, DK59, la BaZooKa, Groupe et Compagnie Grenade – Josette Baïz, Itinérrances, Saseo, les Nouveaux Nez & Cie, Arrangement Provisoire, les GüMs, le Groupe acrobatique de Tanger…) , six créations (dont L’Elisir d’amor par la compagnie Longuel et la Note Bleue, et Reflets par la compagnie 3 x Rien), un Magic Mirror, deux chapiteaux…

Le pari risqué est aussi là, dans la persistance d’Anne Renaud, directrice artistique de Scènes et Cinés, à défendre le cirque sous chapiteau. Alors, pour récompenser cette dynamique équipe des Élancées, prouvons-leur que le spectacle vivant est encore la meilleure chose au monde en allant voir « en vrai » Möbius de la compagnie XY, même si certains l’ont vu sur leur ordi pendant le confinement.

Il est évident que ces deux structures et festivals ont su brillamment éviter les embûches de cette crise culturelle et garder un fil solide avec leur public qui, au final, ne les lâche pas.

Sur le fil, dans les salles ou dans la vie, tout est question de confiance.

 

Marie Anezin

 

 

 

 

Le programme complet de l’Entre-deux-Biennales ici

Le programme complet des Élancées ici