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Législatives : « D’une élection à l’autre, le vote RN gonfle et dégonfle »

Maîtresse de conférences en sciences politiques, Christèle Lagier explique pourquoi les scores hauts de Marine Le Pen ne se traduiront pas forcément par une percée lors des prochaines législatives.

 

 

La vague est brune. Elle couvre toute une partie du département, rendant crédible une nouvelle vague lors des prochaines élections législatives, dans six semaines. En effet, si on reporte le vote RN sur les communes qui composent les seize circonscriptions, le parti de Marine Le Pen pourrait théoriquement envoyer huit députés des Bouches-du-Rhône au palais Bourbon.

Même si le score de la candidate malheureuse a clairement progressé depuis 2017 et bat des records, cette réalité arithmétique ne se retrouvera pas automatiquement dans les urnes lors des prochains scrutins. Maîtresse de conférences en sciences politiques à Avignon, Christèle Lagier explique ces difficultés du RN à capitaliser sur ses succès d’une élection à l’autre.

 

Au vu de ses scores locaux, Marine Le Pen pourrait envoyer huit députés du département à l’Assemblée. Pourtant, si on regarde les scrutins passés, le RN ne parvient pas à transformer ses bons scores à la présidentielle lors des législatives. Est-ce une question de système politique ou cela tient-il au parti ?

Christèle Lagier : Un peu des deux. Nous sommes dans un système politique où il faut une prime majoritaire pour obtenir des performances aux législatives. Mais il faut surtout retenir l’idée qu’en 2017, les scores de Marine Le Pen et du RN s’effondrent entre la présidentielle et les législatives. Lors des élections suivantes, ces suffrages ne cessent de s’effriter. D’abord, parce que la présidentielle est une élection très mobilisatrice pour des électeurs RN qui font partie des franges les plus dépolitisées. Marine Le Pen est candidate sur son nom, avec une forte couverture médiatique, c’est loin d’être le cas pour les législatives. Regardez tout le travail pédagogique que la France insoumise fait pour convaincre ses électeurs que l’élection n’est pas finie, qu’il existe un troisième tour. Ce travail-là, le RN n’est absolument pas en capacité de le faire.

 

Mais en 2017, Marine Le Pen sortait d’un débat d’entre-deux-tours catastrophique, cela n’est pas le cas en 2022…

Certes. Mais cela n’intéresse que les gens qui sont déjà intéressés par la politique. Et, généralement, cela permet de renforcer des choix qu’ils avaient déjà faits. La vraie nouveauté électorale est l’effondrement du parti Les Républicains dont une partie de l’électorat va se repositionner sur le vote LREM, tandis que d’autres vont voter Éric Zemmour ou Marine Le Pen. Il existe désormais une porosité plus forte à droite. Est-ce que cela va suffire à lui permettre de capitaliser le soutien qu’elle a su générer sur son propre nom pour progresser aux législatives ? J’en doute. Le RN est un parti renforcé électoralement avec une vraie progression. Mais c’est aussi un parti affaibli, endetté, dont une partie des cadres est partie chez Reconquête. Le chercheur Félicien Faury a fait une thèse sur l’électorat du RN dans le Sud-Est. Ce qu’il analyse à partir de son travail de terrain est édifiant. Sur une commune comme Le Pontet, près d’Avignon où le maire est RN et a été réélu au premier tour en 2020, il ne doit pas y avoir plus de dix militants. C’est un gros défi que de trouver des relais locaux.

 

Mais pour la première fois, la candidature d’Éric Zemmour lui offre des réserves de voix pour d’éventuels seconds tours. Cela peut-il jouer ?

Je ne sais pas. Ce qui est vrai, c’est que la candidature d’Éric Zemmour a récupéré une partie des électeurs les plus durs, les plus à l’extrême droite, parce que jusqu’à présent ils n’avaient pas d’autres choix que le RN. Ils sont désormais servis avec un programme plus dur défendu par Éric Zemmour. Une partie de la droite locale se porte également sur ce candidat. Ces électeurs ont sans doute voté pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle parce qu’il n’y a plus qu’elle. Mais personne ne peut dire ce que feront ces électeurs lors des législatives où il existe une forte concurrence avec de nombreux candidats. J’ai même un vrai doute sur la capacité du parti — comme de Reconquête d’ailleurs — à avoir des candidats dans chaque circonscription. D’autant plus que Marine Le Pen a semble-t-il la rancœur tenace.

On raisonne sans arrêt en logique de stocks d’électeurs mais cela ne fonctionne pas comme ça. Nous travaillons depuis longtemps sur l’abstention intermittente. Celle-ci est majoritaire. L’électorat RN va donc voter pour Marine Le Pen parce qu’il s’agit d’une personnalité identifiée. Mais d’une élection à l’autre, le vote RN gonfle et dégonfle. Il ne constitue pas un acquis en soi.

 

Finalement, une partie de la question se joue du côté du parti Les Républicains…

Effectivement, il y a une cassure entre la droite d’Éric Ciotti et Valérie Boyer et celle que défendent désormais Renaud Muselier, Martine Vassal ou Bruno Gilles. Que ce dernier puisse se présenter comme un nouveau venu au sein de la majorité présidentielle, cela dit beaucoup de la recomposition politique en cours. Toutes ces personnalités ont aussi une clientèle électorale. Une autre partie de l’électorat, qui est aussi celui de François Fillon en 2017, la droite bourgeoise pour aller vite, a reporté ses suffrages sur Éric Zemmour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne vont pas voter pour un candidat LR, notamment s’il a des relais locaux. La vraie question est la capacité du parti à négocier avec Reconquête ou avec LREM. Le parti présidentiel a également besoin d’alliés s’il veut trouver une majorité.

 

Le vote RN est aussi un vote de la colère qui lors d’une élection législative peut se reporter sur d’autres bulletins…

Lors du second tour, nous avons mené des questionnaires dans quatre bureaux de vote d’Avignon en faisant remplir près de 500 questionnaires. Sur ce nombre, 140 personnes avaient voté Mélenchon au premier tour. Sur ces 140, sept sur dix ont voté Macron au second. Bien sûr, cela va dépendre des territoires.

 

Dans le département, une partie du vote RN au second tour correspond à ces zones que l’on appelle périphériques, rurales ou industrielles, loin des grandes métropoles avec un meilleur accès aux services publics… Cela constitue un terreau électoral favorable ?

C’est un peu plus compliqué que cela. Ce sont des variables qui jouent leur rôle mais qui laissent de côté des données sociologiques bien plus importantes. Ainsi on s’aperçoit que le critère le plus important est le niveau de diplôme. On sait que les personnes les moins diplômées sont celles qui votent le moins. Quand elles votent, elles ont un peu plus tendance à voter pour Marine Le Pen. Dans les métropoles, on va trouver plus de diplômés et donc plus de gens qui votent. Or, plus le diplôme augmente, moins les gens votent pour Marine Le Pen. Au final, elle s’adresse à la partie de la population la moins diplômée mais qui accepte tout de même d’aller voter pour elle. Ce n’est pas sûr qu’elle se déplace à nouveau pour des élections dont elle cerne mal les enjeux.

 

Propos recueillis par Benoît Gilles