Le Voyage dans la Lune affiche de 1876 © gallica.bnf.fr-gallica.bnf

Le Voyage dans la Lune à l’Opéra de Marseille

Décrocher la Lune

 

Les habitants de la Lune sont bien étranges ; ils ne connaissent pas l’amour. Fort opportunément, Offenbach y envoie sa fusée. Appareillons avec lui pour une expédition qui ne loupera pas son objectif : toucher ce qu’il y a d’heureux en nous par l’effet d’une musique aérienne et irrésistible. Que son ciel nous tienne en joie.

 

 

Qui veut gagner des millions ?

Pour Le Voyage dans la Lune, Offenbach utilise les agencements du parler, du chanter et du danser propres à l’opérette mais combinés cette fois aux artifices spectaculaires de l’opéra-féerie, alors très en vogue à Paris. Ses quatre actes ne comptent pas moins de vingt-trois agencements de décor, une distribution pléthorique, une profusion de costumes et une surenchère d’effets spéciaux. Une telle aventure comportait des risques financiers importants et se devait d’ajuster ses enjeux esthétiques aux sollicitations du public. Malade, endetté, inquiet d’une popularité déclinante, Offenbach sort de sa manche Le Voyage dans la Lune le 26 octobre 1875 au Théâtre de la Gaîté. Bingo, il décroche la Lune ! À une époque où les pièces restent à l’affiche autant de fois que la recette est bénéficiaire, la première du Voyage compte 185 items consécutifs. Le compositeur est relancé ; ses cinq dernières années seront fécondes. Parce qu’il a rendu sensible la destination collective de sa musique, refusant les tentations de la retraite au désert ou du refuge passéiste, elle s’en trouve disponible, voire nécessaire aujourd’hui, aux missions que l’on assigne au partage de la musique « classique », particulièrement des genres lyriques dont la plasticité a permis, dans la grande tradition mozartienne, la coexistence du divertissement, de l’émotion et de la satire.

 

La croisière s’amuse

Pertinemment, la nouvelle production qui animera les planches phocéennes pour les fêtes de fin d’année a été parrainée par pas moins de quinze maisons d’opéra et par le Centre Français de Promotion Lyrique chargé de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes artistes. Un sang neuf et des voix nouvelles conduiront cette exploration de la planète fantaisie, librement inspirée des romans d’anticipation de Jules Verne.

Après une ouverture triomphale et les préparatifs du premier acte, boum, c’est parti ! Le prince Caprice (rôle travesti endossé par la mezzo Violette Polchi), accompagné de son papa, le roi V’lan (Matthieu Lécroart), et de l’ingénieux Microscope (Éric Vignau) sont propulsés vers la Lune. La rencontre avec les Sélénites se gâte lorsque Caprice déclare sa flamme à la princesse Fantasia (la soprano Sheva Tehoval) sur les accents d’un galant madrigal Je regarde vos jolis yeux. La jeune Sélénite, hors de portée des flèches de Cupidon, lui bat froid. Mais lorsqu’elle croque dans la pomme du jeune prince, le fruit a sur elle le don charmant qu’il eut autrefois sur Terre ; l’occasion pour la mezzo et la soprano d’un palpitant Duo des pommes : « Mon dieu ! Qu’ai-je ressenti là ? ». Ce grand moment d’effusion nous mènera tout droit au Ballet des chimères où le compositeur donne libre cours, entre valse et mazurka, à ses talents d’orchestration avant de clore l’acte II dans la liesse d’un tutti exubérant.

Intraitable monarque, Cosmos (Éric Freulon) fait enfermer sa fille et décide de la vendre au plus offrant (Chœur des gardes, acte III). La rencontre des civilisations vire au choc épidémiologique lorsque le virus de l’amour se propage dans la population. Les Terriens profitent de tout ce bataclan pour enlever Fantasia. Péripéties désopilantes et mignardises amoureuses (l’Ariette de Fantasia ornée de délicieuses et périlleuses vocalises) s’enchaînent à grand galop jusqu’au Ballet des flocons de neige (chorégraphie signée Anouk Viale) que quelques saisissantes intuitions de musique descriptive soulignent comme les rehauts d’un peintre. La petite bande se retrouvera, à l’acte IV, prisonnière d’un volcan dont les figurations instrumentales pendant son éruption constituent une véritable petite symphonie intercalaire. La baguette de Pierre Dumoussaud enflera son crescendo qui n’a rien à envier à ceux de Rossini. Le happy end réunira les amants sous un tendre clair de Terre. Rideau.

 

Les guignols de l’info

Au défi de cette grosse machine à extravaguer, Olivier Fredj (mise en scène) et Malika Chauveau (décors et costumes) ont relevé le gant. Leur univers coloré et déjanté pointe comment la comédie musicale d’Offenbach fait société et, tel Arlequin, « châtie les mœurs en riant ».

Ainsi le morceau d’ensemble, Ne jamais rien faire (acte II), évoque-t-il la vacuité de l’existence féminine sans qu’il soit vraiment possible de discriminer, dans les intentions du compositeur, ce qui dépend des stéréotypes de son époque de ce qui relève de sa volonté à y réagir. De même, au marché aux femmes trépigne le chœur des boursiers et des agioteurs, « Quel débouché pour le commerce ! » et la Ronde des charlatans (acte III) nous dirige vers le Pays des ventrus sur un arc électrique avec l’actualité sociale de l’époque, singulièrement inflammable au sein du discord politique de la IIIe République naissante. Avec, là encore, une ambiguïté à double entente, Offenbach développe son réquisitoire en chanson suivant, sans grandes espérances ni grands désespoirs, le conseil du bouffon faustien de Goethe : « Si tu veux les faire rire, tend leur un miroir. »

 

Roland Yvanez

 

Le Voyage dans la Lune : du 26/12 au 4/01 à l’Opéra de Marseille (2 rue Molière, 1er).

Rens. : 04 91 55 11 10 / https://opera.marseille.fr/

 

 


Opérettes à l’Odéon

Les amateurs d’opérette disposent à Marseille, rare privilège, d’un espace dédié. Narquois ou frondeur, l’esprit de boulevard s’épanouit sur la Canebière au Théâtre de l’Odéon qui programme ce répertoire sous la direction artistique de l’Opéra.

En décembre, L’Auberge du cheval blanc de Ralph Benatzky viendra égayer les fêtes de fin d’année de ses amours ancillaires. Le jeune ténor niçois Rémi Mathieu sera l’impertinent maître d’hôtel épris de sa patronne. Le succès de cette opérette allemande, créée en France en 1932, ne faiblit pas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle sera d’autant plus appréciée dans la cité phocéenne que cette bonne auberge abrite le séjour de Bistagne (Philippe Fargues), brave marseillais en affaire dans le Tyrol.

En janvier, La Vie parisienne d’Offenbach tissera ses guirlandes de bonne humeur autour d’un nuancier moral des plus subtils. Le rôle de Metella, pivot du jeu de chaises musicales où amants, soupirants, intrigants, épouses et maris se succèdent dans un joyeux tourbillon, sera interprété par Laurence Janot, soprano qui fit ses premiers pas lyriques à Marseille et y est régulièrement invitée. On la retrouvera sur le plateau de La Walkyrie en février à l’Opéra.

RY

 

PS : Si vous ne savez pas où fêter le réveillon de la Saint-Sylvestre, l’Auberge du Cheval Blanc existe toujours, au cœur des paysages pittoresques de la petite localité touristique de Sankt Wolfgang, tiens, tiens…

  • L’Auberge du cheval blanc: les 18 & 19/12 au Théâtre municipal de l’Odéon (162 la Canebière, 1er).
    Rens. : 04 96 12 52 70 / https://odeon.marseille.fr/

  • La Vie parisienne: les 15 & 16/01/2022 à l’Odéon.