Le Voci di Dentro par le Piccolo Teatro di Milano au Théâtre du Gymnase

Entre les murmures

Le Théâtre du Gymnase accueille l’immense Toni Servillo, interprète et metteur en scène de la pièce Le Voci di Dentro, tirée d’un texte du dramaturge Eduardo de Filippo. L’occasion de faire le point sur les affinités entre Naples et Marseille.

 

Toni Servillo est un personnage incontournable de la scène italienne, un acteur caméléon qui peut se glisser dans la peau d’un fonctionnaire introverti (Il Divo) comme d’un parrain de la pègre dans un costume de lin (Gomorra). Il possède ce quelque chose d’indéfini qui capte la lumière — le charisme. Dans Le Voci di Dentro, il est question des rapports entre les habitants d’un immeuble dans le Naples de 1948, dont le quotidien va exploser à la suite d’une accusation de meurtre. On retrouve cette promiscuité dans le film Reality de Matteo de Garrone, où l’on suit l’intimité d’une famille occupant le même étage, comme si le cinéma napolitain était indissociable de son théâtre. Eduardo de Filippo et plus tard, Matteo Garrone, nous montrent, la tête collée au pare-brise, une vision sans fard de la société napolitaine, là où les mots courent toujours plus vite et où le désir de survivre conduit à accepter le plus grand des désordres. Le texte se laisse envahir et déborder par l’énergie de ses interprètes, à la manière d’une caméra épaule qui suit les troupes au combat. On est loin de Shakespeare et du poids de l’écriture. On rentre dans le langage parlé, le dialecte, le dialogue toujours plus vrai, un jeu où la fiction tente de dépasser la réalité (cf. Secret Story). Mais ce qui est prégnant quand on habite Marseille, c’est de voir qu’à Naples, le dramaturge recherche le huis clos, les ruelles, le centre urbain à l’abri de la lumière pour créer une situation explosive, alors que chez nous, l’espace s’ouvre vers la mer, le cabanon et la désertification : Robert Guédiguian, Marcel Pagnol, Serge Valletti. Là où Marseille cultive le cliché de l’errance et du refus de la mondialisation, Naples cultive les liens de la famille, du mensonge et du non-dit.

Karim Grandi-Baupain

 

Le Voci di Dentro par le Piccolo Teatro di Milano : du 20 au 23/03 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er).
Rens. 08 2013 2013 / www.lestheatres.net

 

 

3 questions à…
Toni Servillo

 

Marseille et Naples ont beaucoup de points communs, et pourtant on a l’impression que Marseille s’ouvre vers la mer alors que Naples se referme en son centre…
Marseille et Naples se ressemblent, mais seulement en surface. Marseille, c’est la porte de l’Afrique. A Naples, l’Afrique c’est un quartier du centre ville. La complicité entre les communautés est beaucoup plus grande à Marseille. Ce qui ne veut pas dire que Naples soit une ville fermée. Mais le poids de son passé, de l’Antiquité en passant par la musique du XVIIIe et jusqu’à aujourd’hui est très présent. A Naples, tu as toujours l’impression d’être à Naples, tout le monde est habitué à vivre ensemble, tout se sait : les secrets, le voisin, la famille… Le théâtre en Italie, c’est souvent une histoire de famille. Je travaille avec mon frère parce qu’on a l’impression d’être chez nous.

 

Dernièrement, vous avez joué dans Gomorra de Matteo Garrone et Il Divo de Paolo Sorrentino. Le cinéma italien semble avoir retrouvé de sa pertinence…
Il y a une génération de cinéastes italiens qui ont réveillé dans le public un intérêt pour le social et le politique avec un langage moderne. Beaucoup de politiciens m’appellent quand je travaille au cinéma, parce qu’il y a une crise très forte dans le milieu du théâtre, qui est complètement délaissé par les institutions. Le métier d’acteur n’est plus un métier noble comme il pouvait l’être.

 

Un mot sur le titre de votre pièce ?
Le Voci di Dentro (Les Voix intérieures en V.F.), c’est une expression qui résonne comme un slogan, un cri à l’image de Naples et de Marseille, des villes où l’on parle fort. Mais ce cri résonne avec une voix intérieure, sa partie sombre. L’italien, c’est le langage de la carté (le document), le dialecte napolitain, c’est le langage de la profondeur et du rêve. La grande qualité de la comédie, c’est de gratter sous le vernis de la normalité, de l’amusement. Il n’y a plus la lumière du soleil, mais le feu d’artifice des protagonistes.

Propos recueillis par Karim Grandi-Baupain