Le Quattro Volte (Italie – 1h28) de Michelangelo Frammartino avec Giuseppe Fuda, Bruno Timpano…

Le Quattro Volte (Italie – 1h28) de Michelangelo Frammartino avec Giuseppe Fuda, Bruno Timpano…

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Le chant du monde

Bonne nouvelle : l’infâme Cavaliere transalpin a eu beau briser les pattes du cinéma italien, ce dernier réussit un lent mais majestueux retour sur la scène européenne. 2010 avait célébré le sublime La bocca del lupo, 2011 démarre sous le regard éminemment contemplatif de Michelangelo Frammartino dans Le Quattro Volte, second film d’un créateur économe, remarqué avec un Il dono tout en intelligence et en retenue, tourné avec un bout de ficelle (pas un de plus. Budget du film : 5000 euros). Faisant écho aux chefs d’œuvres de Vittorio de Seta, le cinéaste plante sa caméra au cœur de la région calabraise, accompagnant sans artifices les cycles des saisons et des éléments, qui alimentent au fil des siècles cette terre nichée aux confins d’une Italie kaléidoscopique. A l’instar de Giono, Frammartino n’est pas un artiste naturaliste, mais un cinéaste de la nature, au cœur de laquelle l’homme n’est qu’un maillon comme un autre, assujetti aux rites des saisons. Ou la dramaturgie panique toujours recommencée. Ce qui n’exclut ici ni la contemplation, ni la poésie, vecteurs d’une narration parfois naïve. C’est là ce qui peut dérouter le spectateur à la découverte de ce film sans dialogues : l’apparente composition de cette fresque suit une trame simple, jamais simpliste, l’éternelle boucle de la vie. Le cinéaste passe en quatre parties distinctes de l’homme à l’animal, puis au végétal, enfin au minéral. La mort de l’un est la renaissance de l’autre, épanadiplose (1) narrativement réductrice, mais poétiquement puissante. Dès lors, le film se présente comme un voyage pour lequel on décide ou non d’embarquer, au fil de longs plans-séquences, parfois à la frontière de l’académisme. Dans cette économie de mouvements, le moindre geste revêt une intensité rare : un chien acrimonieux jappant sans cesse, une chèvre grimpant sur la table de la salle à manger, la mobilité d’un regard… Les références à De Seta et à son somptueux Il mondo perduto deviennent flagrantes lors de la fête du sapin, tradition païenne en cours dans les régions calabraises, et passage féerique du film, où tous les éléments se retrouvent pour une exaltation commune et universelle.

Emmanuel Vigne

Notes
  1. Figure de style consistant en la reprise, à la fin d’une proposition, du même mot que celui situé en début d’une proposition précédente.[]