La Cité des 4000 de Gabriel Folli

Le Plaisir au travail de Gabriel Folli et Pièces supplémentaires de Dominique Angel au Château de Servières

Effets bonnes mines

 

La Saison du Dessin continue de battre son plein sur l’arc méditerranéen ; notamment au Château de Servières, qui en est à l’initiative. Avec deux expositions personnelles tout juste ouvertes et à voir jusqu’au 9 décembre, les artistes Dominique Angel et Gabriel Folli tirent leurs traits entre l’impossible et l’improbable, l’un avec ses Pièces supplémentaires, et le second avec Le Plaisir au travail.

 

 

Fervent défenseur du dessin, le Château de Servières — qui est aussi l’organe de Paréidolie, salon international du dessin contemporain — travaille depuis dix ans à faire rayonner cette pratique longtemps dépréciée sur le pourtour nord de notre mer, avec beaucoup d’autres expos à Marseille (comme Frioul de Judith Fraggi à la Grotte à Modeler) et alentours (avec Ça match(e) ! Du sport à l’œuvre au Centre Fernand Léger à Port-de-Bouc ; Virginie Barré à Polaris Centre d’art à Istres ; Annabel Schenck au Mac Arteum de Châteauneuf-le-Rouge) : de Nice à Perpignan, le dessin reprend du galon dans les galeries et les institutions.

C’est ainsi qu’on en vient à voir les Pièces supplémentaires de Dominique Angel, artiste établi à Marseille et davantage connu pour ses sculptures, ses pièces monumentales principalement en plâtre qui intègrent parfois bois et verre. Admettant lui-même qu’il ne considérait ses dessins que comme des « étapes de travail, un processus en fait traditionnel » dans la conception d’œuvre, notamment de sculptures, on découvre là divers formats, pour certains très grands. Même si le titre de l’expo pourrait laisser supposer une certaine superficialité qui viendrait s’annexer à des œuvres principales, c’est plutôt que chaque pièce vient continuer son Œuvre avec un grand Œ : ses dessins apparaissent néanmoins très élaborés, et aboutis en soi. Son trait, souvent au fusain, révèle « la rêverie » sur laquelle il se « base pour travailler » et donc des projets qu’il n’a pas encore réalisés, ou des projets tout bonnement irréalisables en sculpture, avec certains éléments en lévitation. On observe alors se déployer dans le vaste espace qu’est la « première galerie » du Château de Servières son vocabulaire des volumes, formes et objets géométriques — entre cônes, cubes et cylindres — qui se superposent ou s’interposent, en des paysages oniriques où apparaissent aussi des ailes, des nounours, des têtes ou des escaliers… « qui évoquent l’actualité. » À voir aussi, son Tour de force, une sculpture en forme de dalles en plâtre et métal, sur laquelle il a dessiné en utilisant la rouille comme couleur. Ou encore une vidéo dans laquelle on le voit dessiner, un masque sculpté d’argile fraîche sur la tête ; ou l’une des sculptures en plâtre, bois et verre soufflé, issue de sa résidence au Cirva, ou bien des maquettes de ses installations sculpturales monumentales, ces dernières étant vouées à être détruites par performances après avoir été érigées, puisqu’il travaille aussi sur « la fascination que la ruine peut créer. »

Dans les pièces d’à côté, on trouve Le Plaisir au travail de Gabriel Folli. Si son titre peut paraître oxymorique, on penche plus vers une interprétation nuancée, immergé·e dans une atmosphère sombre, où le règne va à l’apparent chaos. Invité en résidence au Château de Servières dans le cadre de l’échange Nord/Sud avec le Frac Picardie — d’ailleurs spécialisé dans le dessin contemporain —, l’artiste livre là des œuvres produites ici, avec d’autres plus anciennes. Préférant lui aussi le fusain, il incorpore néanmoins dans ses dessins de l’encre, et plus récemment des polaroïds et des couleurs au crayon pour réaliser des paysages hybridés sur bois, papiers récupérés, papiers peints ou même sur meubles glanés dans le quartier. Enrichies de textes anecdotiques, de photos ou d’archives, ses compositions tendent à nous projeter au-delà de la 2D, par ses dessins sur meubles, mais aussi et d’abord par son processus de palimpseste qui vient faire relation là où a priori, il n’y en avait aucune. Par exemple, La Cité des 4000, un dessin au fusain qui appose la profondeur d’une scène de destruction (celle de la fameuse cité de La Courneuve) à son support : un plan jauni de La Clara, usine de yaourts à Amiens fermée en 1999. On trouve un autre exemple dans la deuxième salle, avec une fresque immersive à presque 360°, constituée de plusieurs dessins relativement grands. Chacun amalgamant des vues de différentes places plus ou moins emblématiques d’Amiens et de Marseille (de la Corniche à nos identifiables bacs de tri locaux), l’ensemble fait un effet tout à fait plausible, bien qu’hanté, et réalise en plus la mise en abîme de la relation, chaque paysage hybridé se liant comme spontanément — mais pas moins étrangement — à celui d’à côté.

Que nous partions du rêve pour aller vers la réalité ou que nous partions de réalités distinctes pour n’en fabriquer plus qu’une seule, le Château de Servières dessine là bien des potentialités, celles d’un monde né de bois carbonisé, de quelques couleurs rehaussé.

 

Margot Dewavrin

 

 

Le Plaisir au travail de Gabriel Folli et Pièces supplémentaires de Dominique Angel : jusqu’au 9/12 au Château de Servières (19 boulevard Boisson, Marseille 4e).
Rens. : www.chateaudeservieres.org