Poli dégaine par la compagnie La Pendue

Le Marché Noir des Petites Utopies

Ciao pantins

 

Le titre — le Marché Noir des Petites Utopies — est éloquent, et rappelle les origines de Pulcinella, que nous connaissons mieux sous le nom de Polichinelle, ce personnage subversif de la commedia dell’arte. En compagnie de son directeur artistique, Yiorgos Karankatzas, on s’est penché sur la programmation 2021 de cette biennale dédiée aux petites formes marionnettiques.

 

 

Sur quinze jours et dans tous les recoins de la ville, dans des lieux à la marge des sentiers battus et des rues pavées de bonnes intentions, cette cinquième édition du Marché Noir des Petites Utopies nous invite à la découverte de créations encore inconnues à nos yeux de néophyte. Alors, quand on demande à Yiorgos ce qu’il recommande particulièrement dans cette édition, le directeur et co-fondateur d’Anima Théâtre, une petite équipe de passionnés essentiellement bénévoles, répond que ce sont les lieux qui impacteront beaucoup l’expérience du spectateur, dont elle dépendra probablement… Que l’ouverture du festival au Muséum d’Histoire naturelle laisse espérer la magie d’un tour du monde bizarre en circulant à la lampe de poche entre les animaux. Que le parcours de la rue Consolat est axé sur un théâtre d’objets très puissant. Que le spectacle Pepperscott de Drolatic Industry sème le trouble dans la narration, que la soirée au Daki Ling montre le travail d’une jeune génération particulièrement engagée, que les Leçons d’anatomies chimériques, dans un dispositif conçu pour une personne, brillent d’humour noir, ou encore que la soirée de clôture offre à la Brasserie Communale un spectacle si fort (Poli dégaine par la compagnie La Pendue) qu’il en cherche ses mots pour le caractériser…

Dans ce tour de marché foisonnant qui commence, on l’interrompt alors, lèvre mordue, pour l’interroger sur le sens du nom mystérieux et intrigant qu’il a donné à son évènement. Et lui de nous répondre qu’à son arrivée à Marseille par la rue de l’Arc, il fait dans le titre ce festival le parallèle avec les vendeurs à la sauvette qu’on trouve à Noailles, tandis que les artistes qu’il présente, venus des quatre coins du monde, ont dans leur valise à eux des pépites d’utopies — et une sacrée énergie à revendre. Alors, soudainement, tout fait sens et ressurgissent les forces souterraines à l’œuvre depuis plus de vingt ans.

Bel et bien, c’est le déplacement qui semble être au cœur des préoccupations d’Anima Théâtre, peut-être parce que c’est une question qui résonne fondamentalement avec l’histoire personnelle de notre interlocuteur, lui-même issu d’une famille de Grecs d’Asie Mineure déportés en 1923, lui-même ayant choisi l’exil pour apprendre cet art qu’il découvre pourtant sur sa terre natale, à Kavala, en 1996. Lors de la présentation du travail d’un ami qui revient d’études à Prague, il se sent « subjugué par le côté anti-héroïque et subversif de ce personnage, [Pulcinella, ndlr], qui est contre tous les systèmes de la société que l’État érige: la police, l’administration… » À la recherche de cette catharsis, il part alors en République tchèque « dont [il] garde de leur tradition l’univers sombre, et qui semble apporter beaucoup à la marionnette contemporaine. » Il enchaîne ensuite avec une formation à Charleville-Mézières, à l’École Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette, y rencontre, avec Claire Latarget, Christian Carignon, lui-même fondateur du Théâtre de Cuisine déjà installé à la Friche La Belle de Mai, qui les invite à le rejoindre en 2004 et à partager les lieux de travail.

Ce motif du déplacement, on le verra en récurrence dans le thème fondateur qu’il a choisi pour ses deux derniers spectacles, Rebetiko et Laterna, qu’il a co-écrits avec des réfugiés rencontrés à Athènes. Faisant fi des obstacles dans la trajectoire qui l’anime, il décide même d’aller à la rencontre des publics dit « empêchés », dans un partenariat avec le 3bisF, et de jouer dans les chambres à l’hôpital des enfants et à l’hôpital psychiatrique d’Aix-en-Provence.

En décembre, ce sera donc au tour du public de se déplacer. Au-delà d’une unité d’esthétique qu’il ne cherche pas, et fort du constat réalisé lors des éditions précédentes de s’appuyer sur les publics habitués à un lieu, Yiorgos Karankatzas invite ainsi à découvrir des lieux, choisis pour leur diversité de taille, d’action, et « qui présentent tous des attaches très fortes aux liens sociaux qu’ils tissent », parfois plus qu’à la diffusion de ce qu’ils programment (Le Théâtre de l’Œuvre, la Casa Consolat…). Revendiquant la part belle faite aux jeunes compagnies, il souligne l’intérêt d’une « tradition actuelle » de cet art de la marionnette dont les jeunes artistes s’emparent, et insiste sur l’ambition du festival de toucher « tous les publics », même si, en dehors d’une après-midi familiale, « la programmation n’est pas vraiment destinée au jeune public ».

On l’aura compris, loin des foires guignolesques de Noël, il est bientôt l’heure pour nous, les adultes que nous sommes, en quête de magie renouvelée et de liberté d’expression de nos revendications trop souvent étouffées, d’aller puiser dans cet art multiséculaire de l’illusion.

Voilà un marché qui nous promet de beaux voyages, dans un mouvement pluriel d’illusions dont les artistes sont passés maîtres, et qu’ils n’ont, pour notre plus grand bonheur, certainement pas perdues.

 

Joanna Selvidès

 

 

Le Marché Noir des Petites Utopies : du 3 au 14/12 à Marseille et Aix-en-Provence.

Rens. : 04 13 04 02 60 / www.animatheatre.com/le-festival/#mnpu2021

Le programme complet du Marché Noir des Petites Utopies ici