Ricercar Consort © DR

Le Festival International de la Roque d’Anthéron

Corne d’abondance

 

Le Festival International de La Roque-d’Anthéron nous accueille dans son théâtre de verdure du 18 juillet au 20 août. Les artistes sur le devant de la scène et les frondaisons du Parc de Florens — ses fraiches allées en arrière-plan — entrecroiseront leurs anneaux pareils à ces fleurs de Borromée dont on ne peut rien soustraire sans en abîmer le parfum. La nouvelle édition nous invite à sa symphonie pastorale, une expérience plénière où l’on vient de loin ressourcer sa passion du piano.

 

 

Le festival actualise ce qui est exclu généralement de la musique, le support du paysage. Son dispositif supprime la ligne de démarcation entre le concert et le cadre dans lequel il se donne, l’un dans l’autre absorbé pour faire apparaître une qualité émotionnelle propre à ce site évènementiel unique. La distribution des espaces autour de sa conque acoustique joue une partition dedans-dehors entre l’opacité et la transparence quand la voûte étoilée environne peu à peu les musiciens et nous rassemble sous son unisson. Les formes rectilignes des grands feuillus, entre chien et loup, donnent alors l’illusion d’ouvrir le rideau d’un opéra naturel en pastichant un tableau de Poussin ou du Carrache. C’est l’instant propitiatoire précédant la première note pendant lequel les artistes recueillis dans un silence bruissant et vivant s’assurent des bonnes grâces de leur muse avant de passer le mur du son. Un présent maintenu sur la pointe d’une aiguille dont on voudrait éterniser l’intensité. C’est pour vivre de tels moments que les pèlerins du piano traversent le monde pour venir à La Roque.

Le festival s’éloigne quelquefois de sa scène alpha (scène de tous les commencements) pour investir, le temps d’une soirée, quelques villages de charme alentours. Ainsi, Gordes, Lambesc, Mimet, Eygalières… viendront resserrer les mailles de son territoire musical en accueillant solistes et ensembles chambristes (Thomas Pellerin à l’orgue de Cucuron…), jazz aux Carrières de Rognes (Clelya Abraham, Charles Heisser Trio…) ou baroques à l’Abbaye de Silvacane (Ricercar Consort, Pierre Hantaï…). Leçon tirée des deux annus horribilis qui viennent de s’écouler, l’édition 2022 propose des concerts en matinée, permettant, avec ceux de l’après-midi et du soir, d’accorder l’allure tranquille des heures du jour au bréviaire de sa programmation, laquelle chante les louanges du clavier sur tous les tons, les genres et les styles les plus variés incarnés par leurs interprètes les plus fameux (Sokolov, Pletnev, Volodos, Lugansky…) ou de jeunes espoirs appelés à recueillir le flambeau de la main à la main.

 

« Passer au présent »

La formule consiste à découvrir un compositeur contemporain autour de répétitions publiques, de rencontres avec l’artiste animées par Florent Boffard, suivies d’un concert. Cette proximité attentive à l’œuvre et à la personne permet d’en discerner, outre ses procédés et ses ressources, ses interrogations et ses aspirations. Nous pénétrerons successivement dans l’atelier de Michael Jarell et Gérard Pesson afin de pressentir comment l’abstraction musicale s’incarne dans la conscience et le geste créateur d’individus en chair et en os et recueillir ainsi le vécu et le conçu dans la parole même du compositeur. Nous découvrirons également des expériences actuelles qui sont au répertoire du piano ce que les champignons sont à la botanique, une espèce inclassable (Hania Rani, Abdullah Ibrahim…).

Auparavant, mêlant ses embrasements aux couchants d’Alpilles, le concert d’ouverture aura allumé la mèche. Au programme, les deux concertos de Ravel dont le pianiste Abdel Rahman El Bacha illustrera les intentions suggestives sous l’angle le plus lumineux. Son lyrisme délicat dans l’adagio assai du Concerto en sol s’épanche avec des tendresses de teintes aux nuances fondues. Quant aux mouvements vifs de ces deux œuvres, la volubilité technique et les oppositions dynamiques du pianiste franco-libanais affirment clairement les emprunts du compositeur aux rythmes balancés du jazz ou des danses rustiques(1). Kaspar Zehnder conduira l’Orchestre Philharmonique de Marseille sur la pente de ces crescendos au long cours dont seuls Ravel et Rossini ont usé avec tant de fortune. Sous l’emprise de la baguette du chef suisse, chaque pupitre de la phalange phocéenne, tout particulièrement ses bois et ses cuivres, semblera animé par une divinité agreste dont les effets scintillants, échappés de la conque comme d’une corne d’abondance, agiteront leurs sonnailles dans les gradins et les ramages en nous introduisant à ces fables arcadiennes où le compositeur puisait son inspiration.

Festival de vielle roche, le jardin musical de La Roque procède un peu de celui d’Epicure, mariant le sensible au spirituel ; suffisamment pour nous convaincre de venir y planter un peu de notre temps. Dans le champ, il y a, paraît-il, un trésor caché.

 

Roland Yvanez

 

Le Festival International de la Roque d’Anthéron : du 18/07 au 20/08 en Provence.

Rens. : www.festival-piano.com

 

 

Notes
  1. Abdel Rahman El Bacha a enregistré l’intégrale des œuvres pour piano de Ravel sous le label Exton[]