I AM de Lemi Ponifasio © Mau

Le Festival d’Avignon 2014

L’odyssée de Py

 

Immense virage du Festival d’Avignon : cette année, Olivier Py, auteur, metteur en scène, comédien et même chanteur de cabaret qui dirigeait l’Odéon-Théâtre de l’Europe, ouvre le plus grand festival de théâtre du monde à des sensibilités bien différentes de celles du tandem de direction qui le précéda ces dix dernières années. Dans une volonté affichée de centrer la programmation sur des valeurs dites universalistes et engagées. Banc d’essai.

 

« Le ciel, la nuit, le texte, le peuple, la fête. » (Jean Vilar)
Au fil de la dernière décennie, on s’était habitué à voir des « dernières créations de » signées par des familiers du festival qu’on retrouvait d’une année sur l’autre. Vincent Baudriller et Hortense Archambault avaient réussi à créer un groupuscule d’habitués d’Avignon en lançant par ailleurs la notion de direction associée chaque année à un artiste, créant de la sorte un pool d’artistes aux performances majoritairement axées sur le corps et le jeu.
Cette année, avec Olivier Py, c’est d’abord le grand retour du texte. Ouvrir cette soixante-huitième édition par la mise en scène du Prince de Hombourg de Heinrich Von Klast par le grand artiste italien Giorgio Barbero Corsetti est pour le moins un geste fort, qui laisse présager d’un retour à des textes plus classiques, bien sûr revisités par nos contemporains. Classiques, voire romantiques, comme en attestent les figures de ces héros seuls face au monde, en désarroi : Claude Régy met en scène Intérieur de Maurice Maeterlinck, Marie-José Malis l’Hyperion de Hölderlin, Thomas Jolly l’Henry IV de Shakespeare…
De toute évidence, la dimension politique de cette programmation est une clé de voûte qui reflète le positionnement de toujours d’Olivier Py en faveur d’un théâtre engagé. Il s’agira donc de politique : avec la pièce Archive, Arkadi Zaides travaille sur l’incidence de la réalité de l’occupation palestinienne à partir d’images filmées par les occupés et les occupants eux-mêmes.

Tout aussi politique est le geste de faire un focus sur les poètes et artistes grecs: Nature morte de Manolis Tsipos, I AM de Lemi Ponifassio, O kyklismos tou tetragonou de Dimitris Dimitriadis et de Dimitris Karantzas ou encore Vitrioli du poète Yannis Mavritsakis (monté par Olivier Py lui-même) sont des œuvres qui nous montrent la vitalité d’une terre-berceau de la vieille Europe, si éprouvée par la soi-disant « modernité » et son corollaire capitaliste.
Dans des considérations plus esthétiques, on sera heureux de retrouver les programmes « Sujets à Vif », qui font se rencontrer deux artistes issus de disciplines différentes pour des petites formes souvent réjouissantes de fraîcheur. La surprise des formes sera aussi au rendez-vous avec la présentation d’un acte du Mahabharata par Satoshi Miyagi, interrogeant la tradition du théâtre et reprenant des éléments du kabuki, qui dissocie corps et voix des acteurs.
En littérature, c’est Lydie Datas, compagne de Jean Genet et familière du cirque Bouglione, qui sera mise à l’honneur. On regrettera le peu de danse malgré la présence de pointures : Alain Platel, Robyn Orlin, et Julie Nioche. Alors que l’on se sustentera plus côté musique : une douzaine de concerts sont ainsi prévus, alliant opéra, musiques classiques et musiques d’ailleurs, musiques sacrés et chanson (Jeanne Moreau avec les Têtes Raides). Enfin, le Festival d’Avignon se lance dans le jeune public et le théâtre pour enfants avec, notamment, Falstafe de Valère Novarina, mis en scène par le turbulent Lazare.
Au total, vingt-huit créations, dont sept re-créations, et quatorze auteurs vivants, une politique tarifaire abaissée, une programmation complètement renouvelée… A l’heure où nous écrivons ces lignes, il semble que seuls 60 % des billets aient été vendus, un phénomène plutôt rare pour qui est familier de cette angoisse de spectateur de « rater » LE spectacle. Le public d’Avignon marque sans doute pour le moment une certaine frilosité pour un programme fait de nouveaux venus, et les menaces de grève des intermittents qui pèsent lourdement sur le déroulement de l’événement n’incitent pas à la réservation. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un vrai changement. A vous d’en écrire la suite.

Joanna Selvidès

 

Festival d’Avignon : du 4 au 27/07 à Avignon.
Rens. : 04 90 14 14 60 / www.festival-avignon.com