Le Cercle de Claudia Imbert

Le Cercle de Claudia Imbert au Triptyque

Le chlore au corps

 

Pour l’inauguration de Triptyque, la photographe marseillaise Claudia Imbert recrée les scènes du quotidien de l’équipe de water-polo du Cercle des Nageurs.

 

Rattaché à l’Étude de Provence des deux commissaires priseurs Christian Ribière et Marielle Tuloup-Pascal, le nouvel espace d’exposition, dont la programmation a été confiée à Marie Cini, inaugure ses cimaises avec les photographies de Claudia Imbert, partie comme elle à la capitale pour poursuivre une carrière qui lui a déjà valu de beaux prix et notamment le prix Arcimboldo pour la création d’images numériques en 2012. Après trois ans dans une galerie parisienne, Marie Cini revient donc à Marseille pour y vivre une expérience très différente : Triptyque ne sera pas une galerie privée à proprement parler, mais plutôt un lieu d’expos, de rencontres, de découvertes où toutes les formules seront possibles (solo show, invitation à d’autres galeries, à d’autres commissaires, au design, à l’art moderne…).
Le choix de la série Le Cercle, réalisée au Cercle des Nageurs, s’est presque imposé de lui-même puisque les images des poloïstes du CNM n’avaient encore jamais été montrées dans leur propre ville…
« Regarder est un travail, et regarder avec ses yeux ne suffit pas, il faut l’intermédiaire d’une caméra ou d’un appareil photo pour voir. » Les photographies de Claudia Imbert donnent raison à Jean-Louis Comolli, expliquant le long processus de création, sans le montrer. Pour photographier, Claudia Imbert a besoin de connaître ses sujets, de reconnaître leurs gestes, leurs habitudes, leurs environnements. Comme s’ils lui offraient quelque chose d’intime… L’artiste vient du cinéma et donc de la fiction, mais son approche de la photo fait d’avantage penser au cinéma documentaire, à qui le spectateur loue une certaine vérité malgré un processus de re-création. Dans le documentaire comme dans les photographies de Claudia Imbert, si la réalité est reconstruite, elle n’en révèle pas moins de vrais gestes effectués par de vraies personnes.
Quand, en 1922, Robert Flaherty filme le mode de vie d’une famille inuit au Canada, pour ne pas entacher l’adhérence et la croyance du spectateur, il ne précise pas que pour les besoins du tournage, l’igloo de Nanouk l’esquimau a dû être coupé en deux. Si le film se veut un témoignage à la véracité indemne (« Je voulais les montrer, non pas du point de vue de l’homme civilisé, mais comme il se voyaient eux-mêmes »), l’image impose néanmoins de passer par l’artifice pour parvenir à raconter l’histoire de notre temps, car « les images naturelles n’existent pas. » Claudia Imbert ne cherche pas à cacher la mise en scène et utilise un ton théâtral. Elle a d’abord dû intérioriser les gestes des joueurs de water-polo, presque faire en sorte qu’ils lui soient familiers. Puis est venu le temps des prises de vues, où elle leur a demandé de rejouer leur propres gestes. Elle saisit dans leurs mouvements quelque chose qui relève plus de l’animal que du sport, comme si les attitudes du water-polo étaient une seconde nature, et comme si cette nature avait à voir avec quelque chose de primitif, d’instinctif, d’originel… Les cadrages scrupuleusement choisis, les lumières, les couleurs vives et saturées donnent aux images une ambiance particulière, théâtrale certes, mais peu narrative.
De théâtralité, la série La Famille incertaine n’en manque pas, comme en témoignent les trois photos montrées ici, et plus particulièrement celle d’un petit garçon assis à une table, seul, devant un verre de lait. A l’autre bout de la table, une théière et une tasse expriment l’absence d’un des deux parents. La solitude de l’enfant crée de l’empathie chez celui qui regarde, à l’instar des personnages d’Edouard Hopper. On ignore ce qui a précédé ce moment, la seule chose que l’artiste nous concède est la vue à travers les deux fenêtres de l’appartement. L’artiste mélange l’argentique (pour les intérieurs) et le numérique (pour les extérieurs) pour nous donner sa propre vision des choses. Un procédé laissant libre cours à chacun de recomposer les éléments du réel pour constituer sa propre vérité.

Céline Ghislery

 

Le Cercle de Claudia Imbert : jusqu’au 27/02 au Triptyque (39 rue Montgrand, 6e).
Rens. : 06 60 76 20 15 / http://triptyque-marseille.com

Pour en (sa)voir plus : www.claudiaimbert.com