Le centenaire de la Librairie Maupetit

Le centenaire de la Librairie Maupetit

Le siècle des linéaires

 

Le centenaire de la Librairie Maupetit est l’occasion de se poser au moins deux questions : pourquoi et comment célébrer l’anniversaire d’un lieu culturel, et que signifie le fait d’être libraire aujourd’hui à Marseille ?

 

Pour répondre à ces interrogations, quoi de mieux qu’un entretien à bâtons rompus avec le directeur de la librairie, Damien Bouticourt ? D’autant que l’homme se révèle aussi prolixe que son enthousiasme est contagieux.

Célébrer les cent ans de Maupetit, c’est d’abord effectuer un retour aux origines de ce temple du livre. Dresser un bilan n’est pas pour autant ce qu’affectionne Damien. Il est plutôt question ici de mémoire. Cela tombe bien ; après le décès des écrivains, leurs œuvres perdurent dans le temps.

Arrêtons-nous donc un instant en 1919. Cette année-là, Ernest Maupetit rachète à Joseph Carbonell la Librairie des Allées, située alors au 56 Allées de Meilhan. Le prolongement de la Canebière jusqu’aux Réformés en 1927 transformera l’adresse en l’actuelle 142, La Canebière. L’anecdote géographique se double d’une anecdote historique puisque Damien a récemment appris que la Librairie des Allées existait depuis 1882 ; une opportunité pour fêter un autre anniversaire probablement.

La librairie a connu bien des aménagements jusqu’à aujourd’hui, entre agrandissement horizontal pour remplacer un bar en espace littérature (à gauche de l’entrée actuelle), et progression verticale par l’occupation des étages (les rayons beaux-arts, bien-être et cuisine, scolaire, avant que ce dernier ne déménage au 128, en compagnie de la papèterie). Ces modifications ne sont pas le fruit du hasard ou de la simple occupation d’espaces vides. Derrière, une véritable stratégie est à l’œuvre, que ce soit pour le placement de la poésie à côté du théâtre pour provoquer un effet d’entrainement, ou encore pour le tourisme dans la voie de passage de l’entrée vers la bande dessinée, probablement pour rêver à un ailleurs tout en marchant. Chercher des commandes nécessite aussi de monter à l’étage… ce qui permet de découvrir le rayon beaux-arts.

À la fin des années 90, les pages de l’histoire commencent à se tourner plus vite. Les éditions Actes Sud reprennent la librairie avec la volonté de maintenir les emplois, puis ils embauchent Damien en 2011 en tant que « chef d’orchestre » de la librairie et artisan de sa projection dans le futur. Comme à l’accoutumée dans ce type d’exercice, le nouveau directeur mène un état des lieux économique, artistique et humain avec toutefois un objectif personnel : « Sentir les choses. Ne pas s’asseoir dans un fauteuil et contempler mais rechercher la plus-value, trouver et donner du sens dans une ville comme Marseille. » Deux ans plus tard, il crée une librairie au sein du Mucem, dans le cadre de l’effervescente Capitale européenne de la Culture. Un an plus tard, un nouvel espace pour accueillir des expositions de photographies est inauguré et le 128 ajoute une autre pierre à l’édifice Maupetit.

 

« Créer, partager et s’engager »

À son arrivée comme pour fêter le centenaire de la librairie, Damien cherche à aller de l’avant. Le rétroviseur est toujours là, mais la libraire doit avancer sur sa route de papier. Pour lui, cette célébration est aussi le moyen de rappeler sa vision — et celle de son équipe d’une trentaine de salarié.e.s — du métier de libraire. Pour cela, un rébus en trois mots : « Créer, partager et s’engager ». Chacun fait l’objet de rencontres, débats et performances à l’occasion de l’anniversaire de Maupetit.

Mon premier est un auteur à l’entrée et une librairie à la sortie, car si le premier crée pour la seconde, tous deux créent pour le lecteur ; plaisir de faire lire pour l’un et d’être conseillé pour l’autre. Le conseil est d’ailleurs au cœur du métier de libraire. Il s’agit « d’une part de décrypter la demande ; ce qui requiert empathie, sensibilité et responsabilité d’esprit ; et d’autre part de faire des suggestions. » Les propositions se construisent alors, dans chaque rayon, en fonction de la clientèle que l’on connaît de mieux en mieux, sans pour autant ne pas sortir de temps en temps des sentiers battus et bousculer le lectorat.

La création se retrouve finalement à tous les maillons de la chaîne, de l’imagination d’un auteur à la lecture d’un livre, en passant par l’édition, l’illustration, l’impression et l’adaptation dans d’autres arts comme le théâtre ou le cinéma. De là à parler de réincarnation après la création…

Justement, mon deuxième valorise la notion de transmission à double sens. Chacun se nourrit de l’autre, qu’il s’agisse de coups de cœur ou de coups de gueule sur des écrivains. « Libraire est un métier d’offre : il faut montrer les livres pour partager, pour qu’on les achète. » La théorie économique de l’offre et de la demande, de concurrence de marché, a du mal à s’appliquer ici. Car lorsqu’une nouvelle librairie apparaît, le gâteau ne se réduit pas, il s’agrandit. Soit les lecteurs existants liront plus, soit de nouveaux lecteurs arrivent. « Ainsi, quand une librairie ferme, les lecteurs ne se redirigent pas vers d’autres librairies… Ils s’arrêtent de lire. »

Autre phénomène étonnant sur un plan de la théorie économique, le fait que « le plus grand nombre de ventes en ligne soit à Paris, là où le nombre de librairies par habitant est si élevé. » Si l’on n’avait pas encore compris que l’économie ne se résume pas à des mathématiques, mais intègre un puissant facteur humain, l’observation des librairies permet de le montrer.

Pour cette thématique du partage, des weekends de lecture et du bookcrossing (principe de libération des livres dans la nature pour qu’ils puissent être trouvés, lus et conseillés avant d’être relâchés) sont prévus en 2019.

Mon troisième rappelle la responsabilité, assumée, du/de la libraire. Il/elle met en avant des auteurs, les ouvrages en lesquels il/elle croit et prend donc un risque. Mais l’engagement relève aussi de la défense des autres ; d’où l’avancée faite par la librairie vers les publics empêchés, des enfants des quartiers socialement défavorisés (en partenariat avec l’association l’Abri Maternel) aux détenus de la prison des Baumettes. Pour les premiers, le livre peut renforcer le lien parents/enfants et pour les seconds, il ouvre un espace de liberté que personne ne peut fermer.

Célébrer, c’est ainsi se rappeler et se projeter sans se reposer sur ses acquis et, dans le cas d’une librairie, c’est une aventure humaine de mots qui naviguent sur une mer de papier et d’esprit rarement tranquille. Il ne reste plus qu’à pousser la porte de la librairie Maupetit pour le vérifier.

 

Guillaume Arias

 

Centenaire de la Librairie Maupetit : jusqu’au 14/12 au 142, La Canebière (1er).
Rens. : www.maupetitlibraire.fr

Les prochains événements dans le cadre du centenaire de la Librairie Maupetit ici