L’art renouvelle le lycée, le collège, la ville et l’Université

L’art renouvelle le lycée, le collège, la ville et l’Université

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L’interview : Lyse Madar

La présidente du Passage de l’art, à l’initiative de L’art renouvelle le Lycée, le Collège, la Ville et l’Université, fait le point sur la manifestation, cette année consacrée au « Monstre dans l’imaginaire contemporain ». L’occasion de revenir sur le travail au long cours de cette passionnée, figure tutélaire de la culture à Marseille qui n’a de cesse de porter des initiatives nourries de différences, afin « d’installer les gens autour d’éléments structurants pour leur identité : l’art et la culture. »

Pouvez-vous nous rappeler l’origine et le principe de cette manifestation ?
Elle a lieu depuis une quinzaine d’années. Au départ, c’était un questionnement, une sorte de défi parce que j’avais envie que ces lieux fermés sur eux-mêmes, les lycées, puissent s’ouvrir vers l’extérieur et notamment à la création contemporaine. On ne peut pas amener des gens vers le savoir et l’éducation sans les sensibiliser à la création contemporaine, à l’engagement des artistes dans leur questionnement du réel.
Cela a été un peu difficile au début car les lycées ne sont pas des lieux prévus pour accueillir des expositions. Néanmoins, cela faisait partie des enjeux de ce projet : construire une véritable exposition avec les contraintes liées à l’espace du lieu. Mais à l’intérieur des lycées, il n’y a pas seulement la mise en place d’une exposition, il y a une vraie rencontre, un vrai projet construit par l’artiste avec un public de jeunes ou d’étudiants. C’est une partie intégrante de la convention établie par le Passage de l’art : les enseignants sont également engagés. Dans les lycées professionnels, il y a des ateliers de construction et les artistes ont pu produire des pièces en travaillant directement avec les élèves. Des productions d’œuvres d’art intimement liées aux savoirs que forgent les lycées, c’est l’un des points d’ancrage de ce projet. Par exemple, l’année dernière, l’œuvre La main de Laurent Perbos a été réalisée dans l’atelier Carrosserie du Lycée Mistral.
Aujourd’hui, cette manifestation est très installée et beaucoup de lycées de Marseille sont demandeurs. Elle a également une existence extra-muros : Cassis, la Ciotat, Gréasque. Enfin, la nouveauté, c’est la mise en place de résidences d’artistes à l’intérieur des établissements, qui fait partie des projets présentés pour Marseille 2013. Grâce à la qualité des dossiers, j’ai réussi à obtenir deux résidences : François Mezzapelle au Lycée Leau et Jean Daviot au Lycée du Rempart.

Comment se fait choix de la thématique ?
Les thématiques, qui changent chaque année, naissent souvent de rencontres, de réflexions. Pour le monstre, c’est en allant voir Le Cas Jekyll de Christine Montalbetti, mis en scène et interprété par Denis Podalydès, un vrai génie de la scène, que m’est venue l’idée, notamment lorsque j’ai vu cette transformation de l’homme en monstre.

Comment s’opère le choix des artistes ? Quand a lieu l’appel à candidature ?

Tout d’abord, il convient de rappeler que la programmation ne concerne pas que des artistes régionaux, mais nationaux, voire internationaux, c’est-à-dire des artistes avec une certaine renommée. Pour l’appel à candidature, il s’effectue lors du vernissage de la première exposition annuelle au Passage de l’Art, qui est une galerie à part entière où l’on organise cinq à six expos individuelles par an. J’y annonce la thématique et s’ensuivent des remises de dossiers et des visites d’ateliers. Par ailleurs, je contacte aussi des artistes auxquels je pense et à qui je fais une proposition.
Ensuite a lieu une première réunion globale où se rencontrent les artistes, les chefs d’établissements et les médiateurs. Et là, je tiens à ce que les établissements s’engagent par rapport au choix qu’ils font ; ce n’est pas moi qui leur impose. Enfin, lors d’une deuxième réunion, les artistes me présentent leur projet pour chaque établissement choisi. L’exigence est de mise : il ne s’agit pas de bricolage dans un lycée mais bien d’un événement artistique. Au fond, ma position est celle d’un commissaire d’exposition : je participe à la sélection des dossiers, je vois l’évolution des travaux et reste à l’écoute de tous les lieux et de tout le monde, ce qui représente un énorme travail de coordination !

« L’art pour l’art » semble une époque révolue (en théorie)… Alors comment sont rémunérés les artistes ? Quel budget leur accorde-t-on pour leurs réalisations ?
Chaque établissement doit prendre en charge sa propre exposition et la gérer en autonomie, tout en respectant la convention de cette manifestation. Convention dans laquelle il est demandé qu’un défraiement soit réservé à l’artiste pour ses interventions. C’est aux établissements — auxquels une ligne budgétaire est donnée — de voter cela en conseil d’administration. Etre artiste, c’est un vrai métier, et c’est pour cela que je tiens à ce qu’ils soient rémunérés.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le colloque proposé chaque année en marge des expositions ?
Il a lieu pendant une matinée et j’y invite des personnalités du monde de l’art, de la culture, des philosophes, des historiens de l’art, des psychanalystes. Pour le monstre, étaient présents, entre autres, Michel Maffesoli (membre de l’Institut Universitaire de France, prix de l’Académie Française en sociologie), François Bazzoli (Historien d’art, spécialiste de l’art contemporain), Marie Prugniaud (psychanalyste), Emmanuel Molinet (esthéticien et doctorant en philosophie). Le colloque est certes de très haut niveau, mais le public est majoritairement constitué des élèves ayant participé à la manifestation. Cela fait partie des enjeux : ils sont confrontés à un discours qui les dépasse parfois, mais dont ils parviennent à se saisir au final car ils en ont partagé l’expérience avec les artistes et l’ont conceptualisé avec des enseignants. J’ajoute qu’il est important pour moi que le colloque soit quelque chose de vivant, d’où la programmation de deux performances durant cette matinée. Le colloque est également suivi par un large public allant de professionnels du monde de l’art à un public de rue fidélisé par ce moment de réflexion.

Comment gardez-vous une trace de ces manifestations ?
Nous publions tous les deux ans (pour raison budgétaire) un catalogue qui est pensé comme témoin réel des deux manifestations : les œuvres y sont montrées in situ et les actes des colloques retranscrits. L’ensemble de ces catalogues forme une petite collection, disponible gratuitement au Passage de l’art.

Si l’on accepte comme définition que le monstre est « tour à tour ce qui nous effraie, nous fascine, nous inspire », quelles seraient vos réponses pour chacun de ces points ?

Ce qui m’effraie : l’ignorance, et je voudrais lutter contre. La bêtise aussi m’effraie !
Ce qui me fascine : l’art, la création, celle qui donne l’ivresse, la véritable ivresse, « celle qui vous monte à la tête lorsque l’on se sent vivre », comme dirait Albert Cohen. On peut, dans une société bien organisée, rester dans le système, mais il nous faut aussi de l’excès, comme dirait Bataille. Dionysos n’est pas un mauvais guide si l’on garde comme socle la raison.
Ce qui m’inspire : si l’inspiration, c’est ce qui crée, insuffle de l’image, suscite de l’imaginaire, fait rêver, alors c’est la création artistique dans tous ses états, la musique, notamment l’opéra qui est un art complet, qui m’inspire. Mais aussi les belles rencontres, celles qui se poursuivent après la première fois car elles pèsent sur votre être…

Pour vous, Marseille 2013, c’est…
Une plus ample ouverture à l’art, et à l’art contemporain en particulier, la présence de belles et grandes expositions qui amènent dans notre ville un flux de populations nouvelles, qui fassent de cette cité un miroir de la diversité, un lieu de plaisir au sens noble du terme et un lieu de vie agréable. Une ville où la culture sera là pour éduquer, construire, donner de la beauté, éradiquer l’ignorance et surtout transmettre à toute une population un sens de l’esthétique qui a entre autres fonctions celle de rejoindre une éthique.

Propos recueillis par Nathalie Boisson
Photo : Œuvre en cours d’élaboration de Franc?ois Mezzapelle

L’art renouvelle le lycée, le collège, la ville et l’Université : jusqu’au 14/06 à Marseille, Cassis, La Ciotat et Gréasque.
Rens. Passage de l’Art (Lycée du Rempart) : 04 91 31 04 08.
Voir détail de la manifestation dans l’Agenda Expos, p. 21