Langues de bois

Langues de bois

« Voir un homme mourir, c’est voir tous les hommes mourir. De même, lorsqu’une langue disparaît, c’est toutes les langues qui meurent. » Ainsi le linguiste Alain Bentolila mettait-il le doigt, le trente octobre dernier sur l’antenne de France Inter, sur la gravité de la situation en ce qui concerne les langues dites régionales de France… La France, ce pays où tout le monde semble prôner la diversité et tirer la larme devant les caméras lorsque l’on évoque le désastre traversé par Palmyre, mais où il n’en est pas un pour s’émouvoir de la disparition de sa pluralité culturelle. Dans les discours, tout le monde aime la différence, au final, ce n’est jamais ce qui en ressort. Tradition jacobine ou pas, la France est depuis longtemps championne pour s’émouvoir du destin culturel de tout ce qui lui paraît exotique, mais concrètement insensible lorsque ses peuples sont eux-mêmes touchés. Pour preuve, à grand renfort d’idéologie (extrêmement) droitière, la commission des lois du Sénat vient d’assommer la procédure de ratification de la Charte des langues régionales (une promesse de François Hollande), et ce serait un doux euphémisme de dire que ça n’a pas fait la une de tous les vingt heures… Si chaque pays a son histoire, rappelons juste que celle de la France, pays occidental d’obédience coloniale, est tumultueuse en la matière. Et cette question n’est pas l’apanage du passé, tant beaucoup peinent encore à y faire face. Il suffit de noter le ridicule des propos des opposants à cette Charte : « Un retour au Moyen-Âge » pour les uns, une atteinte « à la République une et indivisible » pour les autres, le début du « communautarisme » pour les derniers…. Où la « crise économique » règne, la culture (pas celle de l’Etat, hein) de chacun n’est plus au centre des préoccupations. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, l’on interdisait à nos grands-parents de parler leurs langues maternelles dans les écoles — l’occitan, le breton, le corse, l’alsacien, le basque… — pour ne pas qu’ils restent des ploucs. Aujourd’hui, on leur dit qu’ils feraient mieux de se soucier de leur compte bancaire, de leur position sociale et de leur petite propriété. Mais cette violence sociale, si elle n’est pas physique, n’en est que plus virulente. Encore mieux, elle s’exprime au quotidien. Et les conceptions évolutionnistes de l’histoire et de la culture n’en sont que les alibis. Enfants de l’exode rural, ce n’est pas encore inscrit sur nos cartes d’identités bleu blanc rouge, ça ferait tache. Mais rappelez-vous, les immigrés, c’est nous.

Jordan Saïsset