La traversée de l’été

La traversée de l’été

On le sait, l’été est devenu une période privilégiée pour les sorties cinématographiques, lorsqu’il y a dix années encore, la saison n’était dans la profession synonyme que de désertification des salles. L’élévation des températures et, inversement proportionnelle, la chute tarifaire des clims offrent encore de beaux jours aux sorties estivales en salles réfrigérées… (lire la suite)

On le sait, l’été est devenu une période privilégiée pour les sorties cinématographiques, lorsqu’il y a dix années encore, la saison n’était dans la profession synonyme que de désertification des salles. L’élévation des températures et, inversement proportionnelle, la chute tarifaire des clims offrent encore de beaux jours aux sorties estivales en salles réfrigérées…



… Bien que 2006 ait tempéré l’ardeur des années précédentes. Juillet 2005 démarrait sur les chapeaux de roues, au rayon mécaniques huilées hollywoodiennes, quand cette année, les résultats du mois se firent aussi ternes que les sorties : le Tideland de Terry Gilliam intrigue, pour finir par se déliter les jours qui suivent sa découverte. Le voyage imaginaire, onirique et violent, d’une jeune fille fuyant sa terrible réalité finit par faire plus de bruit que d’effets. Dans un univers gothico-burtonien, Gilliam déçoit derechef (après Les frères Grimm), et confirme que la demi-mesure lui sied bien mal. Les autres blockbusters du mois, dont on ne fera pas l’affront de vous parler vu leur médiocrité (Superman return, Garfield 2, Stay…), restent les principaux perdants de la désaffection des salles, dont les raisons ne sont pas forcément à chercher vers l’effet Coupe du Monde ou canicule. Sur un plan créatif, la production hollywoodienne est définitivement en berne. Point. Le mois de juillet ne porta guère plus de chances aux productions plus intimistes : Le voyage en Arménie, malgré un départ honnête, va bientôt tourner court. Pourtant, le nouveau crû Guédiguian n’est pas exempt de qualités. Ce retour aux sources plutôt contemplatif (autant pour le marseillais que pour son héroïne entraînée par son père jusqu’en Arménie) montre que le réalisateur de l’insupportable Marius et Jeannette sait désormais tenir une caméra, tout comme Le promeneur du Champ de Mars nous révélait de nouvelles et réelles qualités de mise en scène. Plus belle surprise encore fut le Lucas Belvaux, qui eut à subir malheureusement, lui aussi, les foudres d’un triste mois d’exploitation. La raison du plus faible rehaussait en effet, quelques mois plus tôt, le niveau d’un pâle festival cannois. Le réalisateur de l’excellente trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie réussit là à distiller une œuvre exceptionnellement forte, où la haine le dispute à l’envie, à l’usure, à la beauté. Un vrai film de personnages, profondément marqué du sceau de son époque, tendant vers l’universel. Une bouffée d’air au sein de la production hexagonale. Lorsqu’on pense qu’à côté de cela, Quand j’étais chanteur bénéficiait sur la Croisette d’une standing ovation complaisamment relayée par les médias spécialisés, ça fait froid le long de l’échine. Le film de Giannoli est un ramassis de lieux communs, de personnage communs, de situation communes, bref, un film commun. Dans son sens latin : vulgaire. Le seul frémissement du mois de juillet viendra finalement du passé, avec la resortie en salles de l’immense chef d’œuvre de Romero, le très politique The night of the living dead, critique sociale et raciale au vitriol que le sémillant réalisateur déclinera en une formidable tétralogie. Heureusement pour nos chers exploitants (dont les atermoiements un brin poujadistes ne cessent de résonner face à la désertification des salles obscures), les aoûtiens furent de plus fidèles consommateurs. Mais là encore, du moins pour le cinéma d’auteur, les courbes quantitatives semblent suivre celles qualitatives. Question blockbusters, la vague flibustière de Jack Sparrow rafle la mise, même si Pirates des Caraïbes 2 est d’une assourdissante gesticulation, amusante mais usante. Finalement, il n’est qu’un domaine où Hollywood parvint à tirer ses marrons du feu, le film d’horreur (Wolf Creek, Terreur sur la ligne…) A l’instar de l’un des âges d’or du genre (de la fin des 70’s aux débuts des 80’s), le film d’épouvante se porte depuis quelques années à merveille, et accouche parfois de vraies petites perles. Du coup, les Européens emboîtent le pas, avec également quelques bonnes surprises, tel Ils, film français bien ficelé, dont l’intelligence est de ne point choir dans la surenchère. Au rayon hexagonal, le constat est mitigé, mais plutôt positif. La tourneuse de pages de Denis Dercourt, cinéaste jusque-là mineur, vient un poil rehausser une filmographie empreinte d’une franche vacuité. Catherine Frot y abandonne son costume de dilettante écervelée pour camper avec une certaine justesse une grande pianiste qui, un jour de sa vie, à bouleversé celle de Mélanie, sa tourneuse de pages. Le film tient par le jeu tout en retenue des rôles principaux. Retenue, un mot que semble avoir ignoré Michel Gondry dans La science des rêves, tant le réalisateur de l’immense Eternal sunshine of the spotless mind s’en donne à cœur joie dans le bidouillage audiovisuel. Tel un enfant découvrant pour Noël, planqué dans l’armoire, sa boîte Electricité 2000, Gondry assaisonne une banale histoire d’amour de myriades d’échappatoires poético-visuelles très low-fi. Même en deçà de son précédent opus, le film dégage une grâce aérienne incontestable. Seul regret : un Gael Garcia Bernal vide et transparent, éclipsé par les impeccables interprétations de Charlotte Gainsbourg et, surtout, Alain Chabat. Pour rester au rayon des regrets : le ratage total de Nicole Garcia qui caracolait au sommet de notre estime avec, entre autres, Place Vendôme. Selon Charlie, sous prétexte de capter l’intimité couillue mais non moins fragile d’une bande de mâles quinquagénaires, se vautre dans un film sans queue(s) ni tête, et finit par faire, insulte ultime !, du sous-Jaoui. Heureusement, deux films clôturèrent l’été français en beauté : Flandres et Les anges exterminateurs. Le chef d’œuvre de Bruno Dumont semble puiser des liens avec chacun des précédents films, et trouver une voie royale à laquelle nous habitue peu souvent le cinéma français. Des personnages en perpétuel écartèlement, déracinés entre une zone de conflit non explicite et la terre qui les a vus naître, illustrent toute l’ambiguïté d’un réalisateur profondément attaché à sa région Nord, et qui ne cesse pourtant de rêver d’un ailleurs hypothétique, quitte à s’arracher soi-même. Ce que font, physiquement et moralement, les personnages de ce film immense. De son côté, Jean-Claude Brisseau continue, en dehors de tout effet de mode, de consumer ses ailes à la recherche d’une compréhension plus grande de l’univers féminin. En film-réquisitoire, Les anges exterminateurs distille un univers baroque, ambitieux et touchant (c’est le mot), empreint d’une grâce et, finalement, d’une pudeur profondément humaine. Un film de défaillance, beau et fragile, qui conforte le réalisateur dans sa position iconoclaste au sein de la production nationale. Enfin, Le vent se lève nous a presque réconcilié avec son auteur, que nous boudions peu ou prou depuis de longues années. Après l’excellent Hidden agenda, Ken Loach s’attache derechef à la question irlandaise, dégraissant son sujet de penchants misérabilistes qui lui collaient à la peau depuis Ladybird. La Palme d’or 2006 réussit là où tous les films historiques du britannique ont échoué, mariant sans artifices rigueur et tragédie.

Sellan