Beyrouth, jamais plus de Jocelyne Saab

La Semaine Asymétrique au Polygone Étoilé

Étoile filmante

 

La quinzième édition de la Semaine Asymétrique, portée par les équipes du Polygone Étoilé et de Film Flamme, éclairera le ciel de la cité phocéenne du 18 au 26 mars, avec une proposition libre et belle, à l’image d’un travail hors du commun de la structure depuis près de vingt ans.

 

 

Les chiffres sont sans appel : l’exploitation cinématographique peine en France à retrouver son public. Pour être précis, quelques opus — grand public et films d’auteur dits porteurs — tirent leur épingle du jeu, mais la quasi totalité du cinéma de recherche connait des chutes de fréquentation inégalées. Les exploitants s’accordent à admettre que la révolution pressentie depuis plusieurs années sur les questions de diffusions en salle est désormais en marche. L’on peut chercher à cela maintes raisons, plus ou moins réelles, mais force est de constater que la principale reste indéfectiblement liée à une profession industrielle peinant à remettre en cause un système à bout de souffle. Trop peu de salles parviennent à faire preuve d’imagination en questionnant le sens même du geste de diffuseur, de passeur, et au-delà, celui d’une rencontre entre l’œuvre et le public. Et le constat devient plus qu’inquiétant lorsque l’on constate la désaffection toujours plus importante d’un public jeune dans les salles classées art et essai. Or, un élément devrait forcément nous interpeller : les lieux dits alternatifs de cinéma — en réalité, les réels espaces encore vivants où le cinéma se fabrique, se montre, se partage — échappent en grande partie au sort qui pèse sur les salles traditionnelles : du Nova à Bruxelles, au Spoutnik à Genève, jusqu’au Videodrome 2 de Marseille, les plus exigeantes propositions cinématographiques connaissent des salles bondées, souvent d’un public jeune, faisant mentir l’idée de spectateurs enfermés dans leur salon, consommateurs de contenus sur plateforme.

L’un de ces lieux essentiels à la (sur)vie du cinéma — si ce n’est le principal — reste bien évidemment le Polygone Étoilé, sis au cœur de la cité phocéenne. Le travail exemplaire effectué par l’équipe de Film Flamme depuis près de vingt ans a permis de tisser, de manière presque stakhanoviste, une réelle confiance entre œuvres et spectateurs, échappant à la mise au pas des images par l’industrie culturelle du cinéma. D’autant que le lieu a surtout su développer une dynamique de création, d’échanges et plus récemment de numérisation absolument hors du commun. Et parallèlement, via une énergie commune, de diffusions et projections devenues plus régulières ces derniers mois. Il est acquis qu’on ne peut aujourd’hui pas penser cinéma, à Marseille, sans évoquer le Polygone Étoilé.

L’un des points d’orgue de ces nombreuses activités annuelles reste sans conteste la Semaine Asymétrique : comme le résume parfaitement l’équipe de Film Flamme, « ceci n’est toujours pas un festival mais une rencontre de cinéastes en public, partageant leurs films et leurs recherches — sans sélection, ni compétition. » Un geste qui correspond bien à la réinvention des formes suscitée. Du 18 au 26 mars, une cinquantaine de cinéastes accompagneront les cinquante-cinq films non-sélectionnés, pour une immersion à nulle autre pareille, où s’interrogeront les endroits du cinéma. Avec, en ouverture, Le Traité du rossignol de Jean Fléchet, en présence de Francesca Bozzano, directrice des collections à la Cinémathèque de Toulouse, et Judit Naranjo, du Collectif Jeune Cinéma. Suivront de nombreux opus dont on ne peut faire l’inventaire dans ces colonnes : citons épars Beyrouth, jamais plus de Jocelyne Saab, magnifique artiste franco-libanaise, Classified People de Yolande Zauberman, A Lua Platz de Jeremy Gravayat, L’Un en face de l’autre de Lo Thivolle, Maicol de Mario Brenta, De l’une à elles de Sarah Ouazzani, Un faux roman sur la vie d’Arthur Rimbaud de Florence Pazzottu, Le Dromadaire, la Lune et le mur du peintre de Raphaëlle Paupert-Borne et Jean-François Neplaz ou Orange vive de Cyrielle Faure.

La force de la Semaine Asymétrique, qui souffle ici ses quinze bougies, réside également dans la pertinence des échanges qui suivent les séances : tout échappe à la consommation désarticulée d’une image en mouvement, tout nous ramène à l’expérience collective exprimée à vif, en salle ou dans le vaste espace commun du Polygone, où les partages vont jusqu’aux verres et aux repas partagés. Enfin, à l’heure où les annonces tonitruantes macronistes, désirant faire de Marseille la capitale européenne du cinéma, questionnent les dynamiques d’un tel chantier (grands studios de tournages, extension de la Cinémathèque de Paris dans la cité phocéenne), la Semaine Asymétrique est également l’occasion de tables rondes et d’échanges autour des enjeux même du cinéma, de sa fabrication à sa diffusion, dans un contexte d’ébullition que l’on n’espère pas vaine. Il faudra ainsi compter sur ce lieu unique en France, si la question du renouvellement des langages du cinéma revient — enfin — au cœur des enjeux industriels.

 

Emmanuel Vigne

 

La Semaine Asymétrique : du 18 au 26/03 au Polygone Étoilé (1 rue Massabo, 2e).

Rens. : www.polygone-etoile.com

Le programme complet de la Semaine Asymétrique ici