La Scène Numérique

La Scène Numérique

Numérique par nature

Après plusieurs années de pérégrination, le collectif Biomix et l’association Terre Active — à l’initiative des festivals Arborescence et Territoires électroniques — ont donné naissance à Seconde Nature, qui dédie son activité aux arts numériques et aux musiques électroniques, sur une Scène Numérique toute neuve.

Scene-Numerique.jpgLa jeune association, qui réunit quand même dix années d’expérience dans les champs d’investigation des nouvelles technologies au service des arts visuels et sonores, a enfin son lieu à Aix-en-Provence. Selon Patricia Lepotti, qui a particulièrement soutenu le projet au sein de la Ville d’Aix, il s’agit d’« un pari sur l’avenir, sur l’intelligence », « sur la culture de demain pour parler de la culture d’aujourd’hui », renchérit l’élue à la culture Sophie Joissains : les institutions ne manquent pas de mots pour célébrer l’avènement d’un projet novateur dans le paysage culturel austère et classique du territoire aixois.
Désireuse de redonner un sens au terme d’écologie — à savoir la manière dont on se développe dans un milieu — et en l’articulant avec notre environnement technologique, Seconde Nature revendique une éthique, celle de s’approprier l’outil technologique pour la reconquête d’un espace critique. Pour Pierre-Emmanuel Reviron, qui dirige le projet, il ne s’agit pas de renverser les valeurs, mais plutôt de redonner la priorité à l’homme et à son environnement, surtout à l’âge des technologies et de l’information.
Alors, concrètement, qu’est-ce que la Scène Numérique ? L’appellation est provocatrice dans sa contradiction, qui associe la réalité par l’évocation du plateau et le virtuel via le terme « numérique ». La programmation du lieu se veut hétéroclite : expositions, performances et musiques électroniques sont regroupées en plusieurs cycles — élaborés au gré des envies de l’association, de ses questionnements et des artistes qui l’entourent. Ainsi, après avoir démarré son activité sur le thème « Récréations » autour du Game Art, le lieu fait actuellement la part belle à l’« Art sonore » (voir ci-dessous), avant de se consacrer aux « Métamorphoses ». Il s’agit d’accueillir aussi bien des artistes locaux en devenir (programmés à la prochaine Biennale des Jeunes Créateurs d’Europe en Méditerranée) que des grands noms de la scène électronique européenne.
Dans cet espace ouvert construit tout en longueur sous des voûtes blanches ne distinguant pas le lieu d’exposition de l’espace de ressources documentaires, on trouvera de quoi nourrir aussi bien son corps (produits « bio ») que son esprit (revues spécialisées, CD, DVD…). Au centre de la salle, le comptoir assure la continuité entre les espaces de réflexion, d’exposition, de discussion et de convivialité. Car cette Scène Numérique est avant tout celle d’un espace d’expression d’identités artistiques profondément contemporaines, redonnant ses lettres de noblesse aux termes de communauté et de partage. En effet, si les arts numériques s’inscrivent évidemment dans la création d’un lien, ils ne se limitent pas à une mise en réseau artificielle, préférant le questionner, le mettre à l’épreuve.
Ainsi, la Scène Numérique apparaît comme une initiative artistique et citoyenne sincère, dynamisant le paysage culturel et festif aixois par une grande mobilité des pratiques artistiques, en prise avec les interrogations de notre époque en mutation.

Joanna Selvidès

La Scène Numérique, Espace Sextius, 27 bis rue du 11 novembre, Aix-en-Provence.
Rens. http://secondenature.org/


L’EXPO

Space oddity

Avec leur projet Immunsystem v3, la plasticienne Lynn Pook et le sculpteur sonore Julien Clauss s’attaquent à l’éthique technologique et au rapport entre sciences et techniques.

ImmunsystemV3.jpgDans un environnement sonore sans tempo, nous berçant de bips minimaux, nous plongeons insidieusement dans le monde prénatal, dans un espace-temps « encore non avenu », qui devient flottant — ou plutôt qui nous fait flotter. Quatre pièces sont réparties de façon homogène et équilibrée dans une scénographie minimaliste mais douce, dans l’étrangeté d’un éclairage au néon sans agressivité.
Des combinaisons appelées Immun Protection Kit, toutes cousues de couvertures de survie assemblées, nous évoquent un futur qui n’est pas sans rappeler celui de Philip K. Dick. Le fantastique s’immisce alors via une vieille machine à coudre vintage qui montre un long assemblage de ces tissus métallisés, en introduisant un élément de réalité historique, une « archéologie du futur ».
Avec Aptium, qui ouvre l’itinéraire de la visite, on éprouve sans doute l’expérience majeure de l’exposition. Dans cette installation audio-tactile, le visiteur s’allo(u)nge dans un hamac où on le recouvre de capteurs sensoriels, privé de vue et d’audition externe. Après l’étrange sensation, entre quiétude et inquiétude, provoquée par cette « camisole » de laboratoire (non sans rappeler le trouble de La Jetée de Chris Marker), le sujet voit son corps devenir le lieu de sons qui le parcourent et qui le touchent, en créant une autre cartographie de son corps. En huit minutes, au gré de minuscules percussions qui se transforment en vibrations puis en ondes, l’auditeur devient le terrain d’une organicité qui n’est pas la sienne, et qui lui est doucement imposée.
Si les œuvres ne sont pas d’un impact bouleversant, elles tissent précisément un cocon protecteur autour de nos inquiétudes. On pense au nucléaire, à la catastrophe qui pourrait arriver. A la fragmentation du temps par la fragmentation de nos propres corps. A notre humanité en devenir. Comme après un désastre, comme après un Ravage barjavélien.

Joanna Selvidès

Immunsystem v3 : jusqu’au 25/04, du mardi au samedi de 14h à 19h.


A suivre…

seconde-nature-YACHT.jpgLe joli mois de mai sera musical sur la Scène Numérique. Il se célébrera d’abord en rêves, le 1er mai avec lu&nl, issue de la pépinière d’artistes made in Seconde Nature, qui présentera Le Rêvoir, un projet participatif — l’artiste nous invite sur son site web à lui raconter nos rêves, ultérieurement restitués dans une installation multimédia qui servira d’antichambre aux sets oniriques de Patrice Tassy aka Occult69.
Beaucoup moins rêveur, mais très prometteur, le festival B-Side (voir musique), proposé par les très actives Girlz in the Garage, enchantera notre printemps le 7 mai via les Américains Yacht (Young Americans Challenging High Technology), compagnons d’aventures de LCD Sound System, accompagnés pour l’occasion des locaux Newfoundland et Fred Berthet.
A l’approche du festival, Seconde Nature se la jouera géopolitique en invitant le 9 mai, dans le cadre de la Journée de l’Europe, l’excitant Sarah Goldfarb et son complice allemand Jin Choi, avant de nous emmener faire un petit tour oriental du côté des Libanais LUmi le 16 mai. Pourquoi pas, avant de se laisser emporter dans l’excellent tourbillon du festival ?

Joanna Selvidès