La Rage de Nicolas Daubanes et Frédéric Vaësen

La Rage de Nicolas Daubanes et Frédéric Vaësen à Vidéochroniques

Rage dedans

 

À Videochroniques, Nicolas Daubanes et Frédéric Vaësen s’unissent pour faire de la La Rage une réponse « au mystère de la vie », pour faire d’une ode à l’excentricité un chant d’amour.

 

 

Le 2 février 1933, les sœurs Papin, domestiques de la famille Lancelin au Mans, assassinent leurs patronnes en les éborgnant vivantes, leur martelant ensuite le sexe mort.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini est assassiné à coups de bâton, puis écrasé par sa propre voiture, sur la plage d’Ostie près de Rome.

Ce sont ces récits enragés, que l’on nomme « faits divers », que Nicolas Daubanes et Frédéric Vaësen subliment dans l’exposition La Rage.

La Rage, un espace temps propice à la catharsis, à la purge des passions : une expérience esthétique, qui emmerde la normalité (Fuck normality, Frédéric Vaësen).

Après Genet et Chabrol, Nicolas Daubanes investit l’affaire Papin. La Fièvre des après-dîners (2021) est une sculpture massive, une stèle de béton sucrée, technique qu’il empruntait déjà aux résistants prisonniers des Allemands pour sa série Sabotage. Ici, l’effet corrosif du sucre, coloré de rouge, est utilisé pour inscrire dans le béton une phrase parue au lendemain du procès dans L’Œuvre, journal alors de gauche qui s’apprêtait à changer de ligne éditoriale pour soutenir l’ennemi. Un portrait aimanté et ruisselant des domestiques assassines, pigmenté à la limaille de fer, technique jusqu’alors réservée à la représentation d’architectures panoptiques et à l’univers carcéral, orne un mur de la galerie.

Frédéric Vaësen s’empare pour sa part de la note 55 de Pétrole — le dernier écrit inachevé de Pasolini — dans laquelle certains voient une prophétie de la tragédie qui conduira à sa mort. Dans le roman interviennent de jeunes hommes dont Frédéric Vaësen invente les portraits dans sa série Cruising (2017-2021).

Les deux œuvres donnant corps à La Rage s’accordent si bien que l’exposition en devient Un chant d’amour (Jean Genet, 1950). Si l’affaire Papin anime la pièce de théâtre Les Bonnes de Jean Genet, son film mettant en scène deux prisonniers déjouant le système carcéral pour vivre leur amour fait coïncider des motifs récurrents des deux artistes. En effet, dans Un chant d’amour comme dans l’exposition La Rage, le crime, la résistance et la soif de liberté unissent les intérêts de Nicolas Daubanes pour la prison d’une part, et de Frédéric Vaësen pour les représentations homosexuelles d’autre part.

Afin d’éveiller les pulsions scopiques, le désir de voir La Rage, laissons le dernier mot à Lacan : « Elles arrachent les yeux, comme châtraient les Bacchantes. La curiosité sacrilège qui fait l’angoisse de l’homme depuis le fond des âges, c’est elle qui les anime quand elles désirent leurs victimes, quand elles traquent dans leurs blessures béantes ce que Christine plus tard devant le juge devait appeler dans son innocence “le mystère de la vie”. » (« Motifs du crime paranoïaque, le crime des sœurs Papin, Éditions Des grandes-têtes-molles de notre époque, 1933)

 

Romane Charbonnel

 

La Rage de Nicolas Daubanes et Frédéric Vaësen : jusqu’au 8/01/2022 à Vidéochroniques (1 place de Lorette, 2e).

Rens. : www.videochroniques.org