La « province » éternelle

Il est là, à chaque instant, et transpire sans même que nous n’y prêtions encore attention. Il nous domine pourtant, nous menotte même, et se meut au quotidien dans ce qui est devenu, à la lumière d’un matraquage idéologique séculaire, une apparente banalité. « Le centralisme est une névrose. Il faut lutter contre nous-mêmes : notre tête est centraliste. Le malade prend parti pour sa névrose. » Ces mots du penseur montalbanais Felix Castan résonnent dans l’actualité. Malheureusement, le caractère expansif du centralisme à la française n’a pas fini de nous surprendre. Ou du moins de nous amoindrir. Dans notre humanité, dans notre façon de percevoir le monde, devenu externe à ce processus de repli, à cette captation de l’humain. Politique, idéologique et social d’abord, culturel ensuite, le centralisme français vous en remercie, ou pas d’ailleurs, il s’en fout en fait. Il ne mise sur vous que si vous servez à sa cause. Quoi qu’il en soit : il se porte bien. Mieux que vous assurément, et vous n’en savez rien, c’est d’ailleurs là tout le concept, tant il se nourrit de ce qui vous grignote. Cela en évoluant sous la houlette d’une poignée de personnes alors que nous n’y prêtons plus attention, trop enfumés que nous sommes par son omniprésence invisible, lui qui semble avoir même échappé aux mains de ses créateurs, devenus « provinciaux » à leur tour, chair à canon engluée dans sa propre matrice.

Il en va de même avec toutes les normes : ce qui en est extérieur fait l’objet de suspicions, ce qui en est extérieur doit faire ses preuves, mais sans que la norme elle-même ne lui en donne réellement les moyens. Une façon comme une autre de castrer ce qui pourrait faire de l’ombre à son hégémonie, à son royaume anthropophage.

Ainsi, d’un centralisme national à toute autre forme d’impérialisme ne ressortent que frustration, paranoïa, déshumanisation. Et en évacuant pour le centre tout ce qui nous constitue, on détruit dans le même geste ce qui lui est extérieur.

Ps : Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, la région Ile-de-France (18 % de la population française) a reçu, en 2013, un peu plus des deux tiers des crédits culturels de l’Etat.

Jordan Saïsset