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La Machine Pneumatique

Gonflés à bloc

 

Au cœur du quartier de Saint Henri, à deux pas de la Gare de l’Estaque, la petite traverse du Regali, toute en montée, nous fait arriver sur une esplanade, à la lumière adoucie par les arbres, les rires d’enfants, l’ocre des murs et la chaleur des gens qui se parlent. Ici, c’est simple ; ici, on remonte le temps ; ici, on ne sait plus si on est dans un village ou encore à Marseille. Et pourtant, il est clair qu’il n’y a pas plus ancré dans le territoire qu’ici même. Bienvenue à la Machine Pneumatique !

 

En arrivant dans ces quartiers « abandonnés en termes artistiques » il y a moins de dix ans pour y vivre, Johanne Larrouze, la quarantaine aux cheveux noirs et courts, un tempérament volcanique que l’on devine sous une maîtrise olympienne, dresse rapidement un navrant constat : « Ici, rien ne s’adressait directement aux habitants, à ceux qui sont là depuis des générations ou aux nouveaux arrivants qui ont réinvesti le 15/16 depuis une vingtaine d’années. » Avant de préciser : « Attention, de la culture, des cultures, il y en a, c’est blindé de cultures ici, qui sont vivantes, travaillées, ouvrières, migratoiresEt la question de l’art y est importante : il y a beaucoup d’artistes qui vivent à l’Estaque et à Saint Henri, et des structures de création et de production, mais très peu de lieux où on pouvait en pratiquer et s’en nourrir au quotidien. »

Par ailleurs lasse d’une expérience professionnelle marquée par la médiation culturelle qui la fait s’éloigner du vrai public et qui ne lui fait côtoyer que les professionnels de la culture avec un grand C, elle décide de prendre le virage et, avec d’autres, de « faire exister des espaces de rencontre entre des formes artistiques et des habitants de ce territoire, et de les rendre concrets. »

À ses débuts il y a cinq ans, l’association s’installe dans un garage improbable de la place Raphel, où des intervenants donnent des ateliers de danse et d’arts plastiques, ainsi que des spectacles jeune public de petite dimension étant donné l’exiguïté des locaux. À la fin de la première année, en quête d’un lieu plus grand, l’équipe tombe alors presque par hasard sur cet endroit, le bar Vincenti, institution populaire du quartier où se déroulaient lotos et parties de boules depuis les années 1930. « Ici, ça a toujours été un lieu où les gens venaient pour leurs loisirs, pour se détendre. » Le bar est d’ailleurs tellement resté dans son jus que Robert Guédiguian y a tourné beaucoup d’images de son deuxième film, Rouge Midi. Et comme Johanne est très liée avec le Comité d’Intérêt de Quartier de l’époque, Praline et Pizza (si, si !), les anciens propriétaires du bar acceptent de le lui vendre. Avec astuce et intelligence, elle a même l’idée d’y faire la barmaid avant la cession, histoire de connaître les gens et d’en garder peut-être quelques clients qu’elle ne veut pas déraciner, bien au contraire, de ce lieu qu’elle rebaptise le Regali.

Aujourd’hui, la Machine Pneumatique continue de proposer « des temps populaires de qualité (…) avec des karaoké et des gamins qui courent partout », mais aussi, une programmation pluridsciplinaire qui refuse la démagogie, axée principalement sur la musique, « parce que l’entrée musicale est forte, et permet que tout le monde pousse plus facilement la porte. » De façon plus régulière, des ateliers de pratique artistique continuent, dont bénéficient une cinquantaine d’enfants du 15/16 les mercredis, mais aussi trois chorales et une fanfare pour adultes. Là aussi, on a le choix : le mardi avec Marianne, on peut faire du chant contemporain ou traditionnel et travailler sa technique de voix, et le mercredi, tantôt du chant avec Willy (de Radio Babel Marseille) axé sur le rythme dans de larges répertoires, tantôt des chants de lutte italiens avec Lorenzo. Chaque vendredi soir ou presque, une programmation artistique est prévue, fréquentée à 80 % par des gens locaux, à 20 % d’ailleurs, d’un peu tous les âges, avec ou sans enfants. Et puis, ce cœur de projet étant devenu suffisamment clair, il a pu s’ouvrir à d’autres choses : le jeudi soir, on vient de l’Estaque, de Saint-Henri et de Verduron chercher le panier préparé par Claude, le pain de Thierry, en tout bio et tout local, et surtout en toute convivialité, l’occasion de se rafraîchir d’une bière ou d’un sirop-minot, ou de déguster l’une ou l’autre des surprises entartées de Marcelle, la voisine. Dans ces quartiers coincés entre Grand Littoral et la mer, et dans notre confort moderne bien solitaire, on peut enfin se rencontrer entre voisins, se rendre compte d’où l’on habite, qu’on a choisi d’habiter là et qu’on sait bien pourquoi ! Ici, tous les jours de la semaine, on peut venir boire un verre au bar du Regali ou déjeuner d’un plat du jour au restaurant.

L’énergie de toute cette Machine ? Très peu de salariés, et des bénévoles convaincus, de quatre à cinquante selon les évènements, qui s’impliquent, mais qui hélas ne peuvent pas tout. Si l’association a bénéficié de subsides municipaux pendant deux ans, elle n’a pas re-sollicité la Ville pour des raisons presque idéologiques : « Vivre en relation est quelque chose qui nous est cher. Ce n’est pas de vivre les uns à côté des autres, mais ce n’est certainement pas non plus de produire des actions de discrimination positive, basées sur des segmentations de public faites selon des critères sociaux et ethniques contestables », explique Johanne d’une colère contenue et justifiée. Pour ce qui est des autres institutions, la Machine n’est parfois « pas au bon endroit, parce que pas sur la Canebière », ou encore « pas assez carrée » pour rentrer dans les cases.

Elle parle d’abandon de ces quartiers de la part de cette mairie, se dit que la Machine devient véritablement un espace de vie sociale, palliant les défaillances d’un service qui devrait être public.

Aujourd’hui, le bar et le resto permettent de se lancer dans une indépendance économique, rare encore chez les opérateurs culturels pour la plupart sous perfusion subventionnelle, et les entrées aux concerts permettent de faire les quelques cachets du vendredi, mais jusqu’à quand ? L’autonomie est fragile, l’avenir, incertain, et ce lieu nous est déjà pourtant si précieux…

Ici, vous ne verrez pas vraiment un projet collectif, mais un projet où beaucoup de gens se reconnaissent et se retrouvent comme dans une famille qu’on a envie de voir. Qu’on ne s’y méprenne pas : quand vous viendrez ici, on vous trouvera toujours une connexion avec quelqu’un d’autre, et vous serez étonné de constater à quel point vous êtes, vous aussi, liés et reliés. En partant, on se dit que cet endroit, qui porte si bien le nom d’une constellation d’étoiles, nous donne un nouveau souffle d’espoir sur l’humanité marseillaise en quartiers Nord, si décriée dans les discours remplis de crainte intempestive. Puisse-t-elle souffler ses six bougies aussi, et pour cela, c’est à vous de jouer ! Alors, allez à la Machine, guettez les évènements — ou pas : rendez-vous-y ! Voilà une chance que la vie vous fait à deux pas de chez vous ou presque, de vous mobiliser et d’acter que d’être d’une autre génération, quelle qu’elle soit, devient une richesse au contact d’autrui, où la mixité sociale prend tout son éclat, et votre bonne humeur aussi.

 

Joanna Selvidès

 

La Machine Pneumatique : Traverse du Regali, 16e.

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