La loi du marché sur la tête

La loi du marché sur la tête

Il y a quelques années, en distribuant son courrier, le facteur assurait le lien social naturellement et gratuitement, en discutant avec les usagers, en particulier les personnes âgées et esseulées. Aujourd’hui, ce comportement est un service qui a un prix, fixé par la Poste, que tout le monde ne peut évidemment pas payer. Le facteur, lui, n’y a rien gagné, ni rétribution supplémentaire, ni aménagement de sa tournée de façon à lui laisser plus de temps. Il n’a même plus la satisfaction — le sens — d’avoir aidé son prochain.

Si l’on ne peut que regretter la « plateformisation » du secteur privé (symbolisée par une majorité de start-up qui se gargarisent de disrupter l’économie alors qu’elles ne font que créer des besoins inutiles, inventer de nouvelles formes de précarité et asservir les individus), on ne peut que s’inquiéter d’autant plus de la marchandisation du secteur public.

Une société de services marchandés est problématique car elle confère une valeur relative, autrement dit un prix, à (presque) tout. Ce qui ne peut qu’accentuer les inégalités et éroder le sens de la communauté.

Pas besoin d’être l’un de ces « terroristes intellectuels » qui font pousser des cris d’orfraie au gouvernement pour constater — et déplorer — la marchandisation de chacun des domaines de nos existences, qui entraîne, dans un même mouvement, la perte du lien commun.

En monétisant le moindre « bonjour » du facteur, on nous enseigne que le contact avec l’autre n’est pas une évidence, pas une curiosité, ni même un hasard, mais un produit du « progrès ».

Il fut un temps où la révolution désignée comme modernité nous enseignait qu’être un sujet faisait de nous une fin en soi, cantonnant aux marchandises le relatif de la valeur. C’est donc cela que nous achetons désormais : l’autre comme une marchandise dont nous pouvons évaluer la valeur relative en fonction du service qu’il nous vend.

 

CC/NG