La grande bouffe

La grande bouffe

Après l’épopée flamboyante et baroque du Cabaret Nono, le Styx Théâtre remet le couvert avec un Entremets Entremots à la fois lyrique et gastronomique, alternant jeux de mots et jeux de bouche, rouge muscadin et blanc tiré à quatre épingles, enthousiasme suprême à la sauce douce-amère et sagacité maison rehaussée de fantaisie… (lire la suite)

Après l’épopée flamboyante et baroque du Cabaret Nono, le Styx Théâtre remet le couvert avec un Entremets Entremots à la fois lyrique et gastronomique, alternant jeux de mots et jeux de bouche, rouge muscadin et blanc tiré à quatre épingles, enthousiasme suprême à la sauce douce-amère et sagacité maison rehaussée de fantaisie…

Des tables endimanchées et immaculées, un dépouillement relatif, des verres, des couverts bien rangés. On attend ce soir près de quarante personnes ici même, dans ce restaurant du « temps qu’il faut tuer ». Sommes-nous les invités d’un mariage de « gens à particule » ? Cette soirée est-elle une célébration dont nous aurions oublié le sujet ou l’objet ? Ou, plus sobrement, un banquet ? Une bacchanale peut-être ? Tandis que nous nous interrogeons en terminant un kir parfumé et savoureux gracieusement mis entre nos mains par de bienveillants sommeliers, nos hôtes, dispersés, entament une conversation à quatre voix qui nous surprendrait presque. Ils parlent entre eux ou, égoïstement, pour eux-mêmes, comme si nous n’étions pas entièrement là, pas encore prêts à les entendre, trop concentrés à finir nos coupes ou nos propres discussions. Peu à peu, leur singularité retient pourtant toute notre attention. Qu’ont-ils à nous dire au juste ? Pourquoi ont-ils pris la décision de nous accompagner durant ce repas ? Qui sont-ils ? Les gardiens du goût, des néo-épicuriens ? Un peu tout ça…
Tour à tour, face à face, ils fabriquent du sens avec les sens, du texte avec de la viande, des réflexions avec du pain et des légumes. Analyses fines et ciselées du rapport complexe qu’entretient l’humain à la nourriture, soulignement de la nécessité absurde de manger pour le plaisir de se vider, et se vider pour le plaisir d’avoir à se rassasier à nouveau… Anecdotes amusantes, histoires de bouffe juive et de ripaille anglaise. Assiettes intellectuelles, friandises raffinées servies par un verbe à la mesure espiègle, le tout dans un mouchoir de poche qui sent la truculence. Jamais las, en renouvellement permanent, ces aristocrates de la formule — dont les titres de noblesse sont l’excentricité et le farfelu — explorent intelligemment les possibles du théâtre. Entremets Entremots repose en effet sur la dynamique d’un texte qui se promène dans l’espace, sur son épaisseur, sa force universelle. Le spectateur capte des bribes de monologues ou de dialogues. Volontairement, seuls quelques fragments nous parviennent. Une proximité étonnante — et étonnamment travaillée — avec la réalité traduit l’impossibilité qu’il y a d’entendre l’ensemble des échanges qui ont lieu pendant un festin. D’où la question : pouvons-nous prendre du plaisir en assistant à un spectacle dont la teneur nous échappera en partie ? La réponse est oui. Deux fois oui. Car avec ce type de théâtre non conformiste, même la panse pleine et sur le point d’exploser, on en redemande encore et encore tant c’est bon.

Texte : Lionel Vicari
Photo : Emmanuel Valette

Entremets Entremots. Jusqu’au 1er/07 à la Campagne Pastré (8e). Rens. 04 91 63 61 26