Le théâtre des Calanques, dans le Sud de Marseille © CRC PACA

La gestion très intéressée du Théâtre des Calanques

La chambre régionale des comptes étrille la gestion de l’ex-Théâtre Nono. Les magistrats financiers notent que les intérêts privés des principaux animateurs ont trop souvent percuté la gestion associative du lieu, lui faisant courir « des risques juridiques et financiers ».

 

 

 

C’est l’histoire d’une institution culturelle qui a cultivé une forme de flou artistique. Officiellement géré par une association, le Théâtre des Calanques (ex-Théâtre Nono) semble avoir directement profité à ses deux figures de proue, Serge Noyelle et Marion Coutris, respectivement directeur et metteur en scène et directrice artistique, mariés à la ville. C’est ce qui ressort d’un rapport rendu public ce 20 octobre par la chambre régionale des comptes, suite à un examen de la gestion du lieu entre 2015 et 2021. La juridiction a en effet la possibilité de se pencher sur les comptes de structures associatives ou privées, dans la mesure où elles touchent de l’argent public. C’est le cas du Théâtre des Calanques, dont en moyenne 81 % des ressources émanent de collectivités territoriales.

Plusieurs sociétés commerciales, liées aux intéressés, naviguent en effet autour de cette structure à but non lucratif. C’est ainsi le cas au premier chef de la société Styx productions, gérée par Noyelle et où Coutris est associée, qui s’occupe notamment de la commercialisation des productions du théâtre. « Ces activités entrent dans l’objet social de l’association et peuvent même figurer parmi les plus génératrices de recettes (notamment les spectacles à l’étranger). Les bénéfices éventuels tirés de ces productions doivent en tout état de cause revenir à l’association », explique la chambre. Elle note pourtant que Serge Noyelle y a perçu « des salaires quand, sur la même période, il était rémunéré partiellement par le théâtre des Calanques. » « Des cachets ponctuels en sa qualité de comédien et de metteur en scène », pas en tant que directeur, précisera ce dernier à la chambre.

 

Des entreprises liées au fondateur très sollicitées

En 2017, cette société, Styx productions, est aussi étonnamment intervenue comme maître d’ouvrage de la construction d’une nouvelle scène en bois de 800 mètres carrés, pour 3 millions d’euros. Sans mise en concurrence, malgré 80 % de subventionnement public (État, Région, Département, Ville), la SARL a été rémunérée 197 000 euros (auxquels s’ajoutent d’autres prestations pour 94 000 euros) « pour coordonner la construction des locaux dont elle bénéficie, sans avoir à contribuer à son financement ni même s’acquitter d’un loyer. » Les magistrats cinglent : « L’ensemble de ces éléments alimente la confusion entre la société Styx Productions et l’association, dont les intérêts sont communs. La chambre attire l’attention de l’association sur les risques à la fois juridiques et financiers de la situation et appelle aux régularisations qui s’imposent. »

L’alerte avait été donnée en 2019 par un audit du département des Bouches-du-Rhône, largement contesté par les intéressés car « non-contradictoire ». Ce rapport concluait à une possible « gestion intéressée » de l’association, une expression que la CRC avait reprise à son compte lors d’un précédent rapport. Si dans un premier temps, la collectivité a continué malgré tout de subventionner le théâtre, elle a fini par arrêter tout versement dans l’attente de modifications substantielles de son organisation. La métropole, que dirige comme le département Martine Vassal (DVD), a fait de même.

D’autres éléments contribuent à ce constat. Dans le dossier de la construction de la nouvelle scène, le choix comme maître d’œuvre de Ronan Coutris, architecte et frère de Marion Coutris, s’est fait sans mise en concurrence pour une prestation globale de 70 000 euros. Or, là encore, le Théâtre des Calanques était tenu de respecter les mêmes règles de mise en concurrence qu’une collectivité locale.

 

Le théâtre promet désormais de filer droit

Dernier dossier qui contribue à cette tenace impression de mélange des genres, le restaurant Nono accolé au théâtre a longtemps été géré par une société dont Serge Noyelle était actionnaire. Là encore, le montage interroge : « La chambre constate que le dispositif a permis au directeur du théâtre, en tant qu’associé de la société, de bénéficier d’émoluments au détriment de l’association. »

Face à ce constat sévère, Marion Coutris et Serge Noyelle ont répondu par un courrier cosigné avec le président de l’association, William Lenne. Ils ne répliquent pas directement aux griefs relatifs à la gestion intéressée du théâtre. Mais tous trois promettent de nombreux changements pour se conformer au rapport, dont « la dissolution » de Styx productions. Ils produisent aussi une note établie par « un expert des commandes publiques » pour expliquer que c’est de bonne foi qu’ils n’ont pas appliqué les règles relatives aux marchés publics tout en procédant à plusieurs demandes de devis.

Le courrier jure enfin que l’association ne sera plus subordonnée aux décisions des seuls Serge Noyelle et Marion Coutris, comme des statuts antérieurs le précisaient : « Le pouvoir de décision et l’indépendance de l’organe exécutif et collégial chargé de l’administration de l’association seront effectifs à l’avenir. » Reste à savoir si ces promesses rassureront suffisamment les financeurs publics pour qu’ils maintiennent leur soutien ou retrouvent confiance dans le plus important théâtre du Sud de Marseille.

 

Jean-Marie Leforestier

 

 

Lire le droit de réponse du Théâtre des Calanques