La France selon Patrick

La France selon Patrick

Patrick Lindsay fête ses dix ans d’affiches. L’occasion de revenir sur le travail d’un graphiste qui sort la typographie du simple alphabet et joue avec les formes comme on construit des legos.

Patrick Lindsay fête ses dix ans d’affiches. L’occasion de revenir sur le travail d’un graphiste qui sort la typographie du simple alphabet et joue avec les formes comme on construit des legos.

Le jeu d’enfant, c’est une activité de détente, un temps avant le repas, une occupation du mercredi après-midi. Avant la playstation, il y avait beaucoup de jeux d’enfants : les mécanos, les gyroscopes, les maquettes et les tubes de couleurs. Chez Patrick Lindsay, c’est un peu la France d’avant qui retrouve une lumière, celle de son adolescence et des puces où l’on retrouve des vieux bouquins, des magazines, des livres pour enfant. Pas de sujets privilégiés, juste un inventaire de formes et de codes couleurs qui sortent le nuancier de la tendance. Le monde nous dit des choses, de la moue de l’animal domestique à la boîte de sucre, un nombre incalculable d’attitudes, de gestes et de postures se présentent à nous. Comment sortir des conventions pour mieux y revenir ? Comment imaginer le graphisme au-delà du support pour ouvrir une fenêtre sur des questions et des motivations ? Le vivant supporte mal le papier glacé, l’argentique supporte mal le numérique. Du côté de la scénographie et du théâtre, on commence à entrevoir une possibilité de la représentation, une manière de capturer le vivant et de l’identifier : Poser des mots sur… Des courbes dessinent des trajectoires, des couleurs primaires se cognent dans un jeu de complémentaire, le corps s’invite dans des bouts d’espace ; un manège prend forme. Patrick Lindsay dit « je ». Il affirme un propos, une mise en scène, il assume le prolongement de soi avec les outils d’un cartable. Pour les dix ans de Métissons, on retrouve sur ses affiches la présence du cutter, du rouleau de scotch, du tube de colle. Les indices nous dévoilent un bout du processus : le logiciel disparaît derrière l’idée du papier découpé, du collage, du doigt qui passe dans un trou. Dans la comédie anglaise, on passe une porte pour ressortir par une autre, on abuse du comique de répétition, parce que les soucis n’arrivent jamais seuls. Concevoir une affiche, c’est se souvenir de la précédente, c’est aussi faire le vide pour créer l’accident — la nouveauté. Regardons cet escrimeur démantibulé et remis à plat, prêt à être rangé dans une boîte. Il nous fait sourire parce qu’il nous renvoie à nos cahiers d’enfant, à nos projets de maquettes : la Yamaha, le porte-avion Clémenceau, l’Alpha Roméo du Monte-Carlo. Patrick Lindsay est diplômé des arts déco, une institution où la gravure côtoie la sérigraphie, la peinture, le numérique, où la cafétéria est le lieu d’un éternel recommencement, un périmètre où tout se dit. L’ère de l’informatique a vissé l’humain sur son fauteuil, la souris fait la maligne, s’imaginant redessiner le monde de demain. Mais l’imagination et le second degré ont encore leur mot à dire, par le jeu de la bifurcation et de l’inattendu, en remontant les premiers parcours de nos doigts. Dans le monde du sport, il faut être fort dans sa tête, dans le monde de l’art, il faut accepter le doute, la remise en cause et l’accident virtuel. Dix ans d’affiches, c’est l’occasion de les poser sur le mur, de contempler son œuvre et de laisser les autres vous flatter pour mieux repartir. La force d’une création au-delà de son originalité, c’est son background, le recoupement des techniques et des informations, le travail de la mémoire (l’imaginaire). Patrick Lindsay est un faux timide, il se connaît mieux que beaucoup d’autres, il sait garder et regarder les traces de son passé. Nul besoin de crier et de se montrer, le temps joue pour lui, dans une décontraction proche du dilettantisme : là où on touche le sensible et le karma. Comment vivre à Marseille sans relâcher les orteils ? Comment vivre à Marseille sans se foutre un peu de la gueule du monde ? Cette ville nous apprend que la vie peut s’arrêter demain, que la bascule de la réussite à la précarité est infime. Il s’agit de faire preuve de légèreté, de se la raconter avec beaucoup de dérision et de concevoir l’instant présent comme une chance, une première. Dix ans d’affiche chez Patrick Lindsay, c’est un musée en soi, une ouverture sur le sourire, une lumière dans la tête et des couleurs sur les doigts.

Karim Grandi-Baupain

Expo Cézanne 2007, Une saison, un fromage : jusqu’au 31/03 au Café de l’Abbaye (3 rue d’Endoume, 7e)
Rens. www.tapezdu.com