La Fiesta des Suds du 15 au 23/10/2010 au Dock des Suds

La Fiesta des Suds du 15 au 23/10/2010 au Dock des Suds

Dock Dock Dock ? Entrez !

Dix-neuf ans que ça dure ! Et personne ne s’en plaint ? Le grand cirque éphémère de la Fiesta des Suds ouvre ses portes et redonne un peu de vie au quartier de la Joliette. Entre bodegas et bons sentiments, il reste encore un peu de place pour la musique. Petit tour de piste…

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Dix-neuf années de musique, de rencontres, de bonnes surprises, de moins bonnes, de cohue, d’applaudissements, de queues interminables, de béton, de verres pleins, puis vides, de chapiteaux… La Fiesta des Suds, c’est tout cela à la fois. Cet enchevêtrement de culture et de populaire, de Méditerranée et d’ailleurs en fait un événement unique. D’une taille presque déraisonnable — avec 60 000 visiteurs, c’est de loin plus grande manifestation culturelle de la région — la Fiesta demeure fidèle à l’un de ses principes de base : l’accès à la culture pour tous. On y croise des gens de tous âges et de tous milieux qui ne viennent pas que pour la musique. La Fiesta, c’est avant tout une fête populaire, vague transcription locale des ferias que l’on trouve plus à l’ouest, avec son lot de bandas et ses incessants mouvements de foule. C’est brouillon et généreux, bon enfant aussi. Peut-être pas du goût des esthètes de la culture pour qui le mot populaire n’est qu’un joli concept. Une fête qui cherche à croiser les scènes et les publics, tous les publics, sans exception, comme le prouve le projet « Des hommes de cœur », lancé en 2008. En partenariat avec la fondation Abbé Pierre, Latinissimo (producteur de l’événement) et des restaurateurs marseillais, cette initiative tente de favoriser les rencontres entre les personnes vivant dans la rue et le public de la Fiesta, afin de proposer aux plus mal lotis des fêtes de fin d’année solidaires. La classe, non ? Derrière la superficialité débonnaire du tout Marseille accoudé aux bodegas se cache une éthique et un humanisme qui se font rares. Cette dimension populaire et la volonté affichée de toucher le grand public se fait parfois au détriment de la cohérence de la ligne artistique du festival. En une seule soirée, on passe allègrement des musiques du monde au jazz, du rock à l’électronique. Très tôt apparenté aux musiques du grand sud, le festival a su s’ouvrir aux diverses pulsations rurales et urbaines afin d’embrasser toute la diversité musicale de notre époque, quitte à jouer serré et à ne programmer (presque) que des artistes connus ou reconnus. Cette année, comme les précédentes d’ailleurs, il n’y a pas véritablement de surprises, si ce n’est la présence de deux figures majeures qu’on n’attendait pas forcément ici : Joe Jackson et Wayne Shorter. Les amateurs des chaudes vibrations réunionnaises auront quant à eux deux rendez-vous à ne pas manquer avec les concerts de l’inestimable Danyel Waro et celui tout aussi attendu de Nathalie Natiembe, qui a su insuffler une dose de rock’n’roll au sega et au maloya. Du côté des musiques à guitares, on devrait se délecter des ballades folk d’Hindi Zahra, du dandysme décadent d’Arno, et surtout du Circus Show des drôles de Bonaparte qui, sur la lancée de leur dernier album, se permettent sur scène les postures les plus loufoques. Au rayon électronique, c’est Kenny Dixon Jr, plus connu sous le nom de Moodyman, qui viendra de Détroit distiller ses hypnotiques et profondes pulsations house. Si l’idée d’un festival ancré dans un territoire nous plaît aussi, ce n’est pas par goût des marseillaiseries, mais uniquement parce que certains artistes locaux méritent cette visibilité-là. Si le blues provençal de Moussu T et ses Jovents a déjà conquis — et c’est amplement mérité ! — une large audience, la Fiesta sera aussi l’occasion de découvrir quelques trésors cachés de la scène locale, notamment les All Style Crew, jeune collectif de danseurs issus des quartiers nord de la ville dont le hip-hop décomplexé s’affranchit joyeusement des codes du genre. Au final, cette édition 2010 s’apparente à un joli cru : peu de surprises mais pas de temps faibles non plus, contrairement aux années précédentes où pour apprécier un artiste, il fallait parfois se farcir quelques niaiseries exotiques ou autres métissages plus ou moins douteux au cours de la soirée. A l’image de la ville qui l’entoure, la Fiesta des Suds est toujours aussi vivante, chaleureuse et chaotique. Rendez-vous au Dock !

nas/im

La Fiesta des Suds : du 15 au 23/10 au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 2e).
Rens. www.dock-des-suds.org

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DANYEL WARO [samedi 16]
Sans lui, l’île de la Réunion brillerait certainement un peu moins au milieu de l’océan indien. Il a redonné vie au maloya, qui est à la Réunion ce que le blues est au sud des Etats-Unis : un chant de souffrance et d’espoir. Portées par des percussions sismiques, semblant tout droit sortir du volcan, les voix scandent, appellent et se répondent, dans cette langue créole si riche et imagée, puis laissent place à des harmonies vocales d’une aérienne beauté. Rassurez-vous, Danyel Waro ne vous vend pas de l’exotisme aseptisé, sa musique sonne juste, et fort. La foi et le talent : tout est là !
nas/im

MOUSSU T E LEI JOVENTS [samedi 16]
Il y a bien longtemps que Moussu T s’est démarqué des bravades du Massilia Sound System dont la trilogie « pastis / soleil / OM » tournait au cliché pour touriste. A l’instar de Dupain et du Cor de la Plana, il a su apporter un souffle nouveau à la chanson marseillaise, qui semblait condamnée à errer comme un fantôme autour de l’Alcazar. C’est du côté du blues qu’il est allé chercher de nouveaux atours à ce chant occitan qui vit du même coup une seconde jeunesse. Voici une belle l’occasion de découvrir sur scène Putan de cançon, le dernier album du groupe sorti fin septembre.
nas/im

JOE JACKSON [mercredi 20]
De cet Anglais exilé à Berlin, on connaît l’inclination pour les langoureuses romances sur des rythmes latins. Pour autant, ce percussionniste classique de formation est d’une telle ouverture musicale qu’il s’est fourvoyé avec délectation dans les premières aventures punk tendance reggae à la fin des 70’s. Gageons qu’avec son power-trio alignant le fabuleux Graham Maby à la basse, il saura retrouver les tempos qui bastonnent sa voix ô combien suave, lors d’un set dont des extraits pourraient figurer sur son prochain disque live.
Laurent Dussutour

WAYNE SHORTER [jeudi 21]
L’alliance de la beauté et de la modernité qui irriguent l’œuvre de Wayne Shorter est un tel déferlement émotionnel que la moindre note sortie de son ténor ou son soprano est une révolution sensorielle. Cet ancien sideman d’Art Blakey ou de Miles Davis tourne avec une formation d’exception : Danilo Perez au piano, John Pattitucci à la contre et Brian Blade aux fûts. Tous les ingrédients pour une session jazzistique d’éternité, d’autant que monsieur Shorter n’hésite pas à pratiquer l’improvisation collective, remontant aux principes mêmes de la chose bleue !
Laurent Dussutour

SASHIRD LAO [jeudi 21]
Rappelant The Herbaliser pour la fusion jazz-funk/hip-hop, Bobby McFerrin pour le beat box intégré à la production, auxquels s’ajoute la voix de la chanteuse entre soul et oriental, ces Niçois sont pourtant loin de manquer de personnalité. Non seulement leur musique ne sonne comme nulle autre, mais ce sens inné du rythme et cette perfection dans la fusion des genres semble même très clairement préfigurer un accomplissement artistique, intellectuel et politique — à la manière d’Outkast à ses débuts. Comme si, une fois les gammes maîtrisées, on pouvait enfin passer aux choses sérieuses…
Jonathan Suissa

BONAPARTE [samedi 23]
Le collectif berlinois poursuit son odyssée loufoque sur la planète rock. Pour l’esprit, c’est carrément dada, pour la voix, ça sent fort l’accent cockney façon The Streets et pour le reste, ça part un peu dans tous les sens. Rock énervé ou électro-pop, les Bonaparte sont à l’aise partout. Rencontre improbable des Monthy Python et de Pulp, ils ont une manière bien à eux de jouer avec les mots et les sons, de brandir le non-sens comme un étendard. Décalés, et légèrement poseurs il faut bien le dire, les petits empereurs de l’absurde envahissent le Dock. Aux armes !
nas/im

MOODYMAN [samedi 23]
Moodymann est totalement accroc au crack et n’est plus capable de produire un morceau. Moodymann est raciste, et ne parle jamais aux blancs. En conservant la même posture anti-commerciale depuis ses débuts dans les 90’s (peu d’interviews, pas de pub), ce demi-dieu de la house nous a laissés créer son mythe. Ainsi, l’ampleur des légendes urbaines qui circulent sur lui n’a d’égale que son immense talent. Sa patte est reconnaissable en quatre mesures, temps nécessaire pour se laisser happer : une boucle chaude répétée à l’infini, des onomatopées enregistrées à même le ghetto, des voix samplées ou chantées (par Amp Fiddler notamment), un rythme ultra groovy. Une formule désormais classique, inventée par ses soins, et dont il demeure à ce jour le meilleur théoricien.
Jean-Pascal Dal Colletto