et Falaise de Baro d’Evel

Evel des sens

 

À la sortie de l’hiver, et dans une conjonction des astres fort bien lunée, les Théâtres, la Criée et le Pavillon Noir nous offrent sur leurs plateaux partagés deux spectacles de Baro d’Evel, cette compagnie un peu à part, entre cirque et poésie, ou plutôt entre vivants. De toute beauté.

 

 

Difficile de classer les spectacles de Baro d’Evel. Si on devait faire court, on dirait que c’est un peu de cirque, un peu de danse, un peu de théâtre. De la peinture aussi, et beaucoup de poésie. On dirait qu’il y a beaucoup de noir — et beaucoup de blanc aussi —, qu’il y a des animaux, qu’il y a des acrobaties, qu’il y a du rire. Beaucoup de rire. Un rire qui ne se force pas mais qui advient, à force de glisser avec les interprètes dans leur tourbillon de possibles et de tentatives.

Depuis vingt ans et leur sortie de l’école du CNAC, dans le Sud pyrénéen, Blaï Mateu Trias et Camille Decourtye forment un duo à la ville et surtout en campagne, qui emmène dans leurs roulottes toutes sortes de vivants. Des artistes bien sûr, mais aussi des enfants, des animaux. Ils aiment à rappeler que lui est fils de clown et elle, née dans une famille où les chevaux prennent soin des humains. Et cela transpire dans tout leur répertoire, aujourd’hui constitué d’une douzaine de spectacles. Des spectacles de toutes sortes, de tout format, conçus comme des cachettes d’un sens jamais dévoilé, sans autre intention que de vous emporter, pour regarder autrement ce qui déjà vous entoure au quotidien. Un pas qui emmène sur un autre, un regard qui donne l’occasion au partenaire d’essayer quelque chose sur l’autre, et vice-versa. La machine s’emballe et on se retrouve à glisser de monde en monde, dans leurs histoires sans paroles (ou presque), comme dans un film de Tati, dans un colorama façon Buster Keaton. Mais d’une minute à l’autre, un instant de grâce advient, et l’émotion se pose alors sur ce qui fait la vie, à la façon d’un Bela Tarr attentif et tendre. Dans les deux dernières pièces, et Falaise, c’est d’ailleurs le noir et blanc du cinéma qui caractérise la scénographie, projetant la lumière sur la profondeur de ces personnages incongrus, aux ailes de désir.

Éthologue de formation, Camille a invité les animaux à prendre place. Dans Là, le magnifique duo de danseurs catalans Mal Pelo (María Muñoz et Pep Ramis, déjà plusieurs fois invités à Marseille) doit composer avec Gus, un corbeau-pie. Ça danse, ça joue, c’est de la musique qui s’invente à chaque pas. Dans Falaise, on retrouvera le cheval, mais aussi les oiseaux, des pigeons, cette fois. Si les images ainsi créées nous troublent de tant de beauté, au milieu de ce fatras d’actes poétiques, ne croyez pas qu’ici on cède à la tentation facile de mettre l’animal au service du propos des humains. Non, il est là, justement. Comme dans la vraie vie. Il n’est pas dressé, il n’est pas vraiment sauvage non plus. Il est invité à prendre part à ce qui va s’écrire sur le plateau, avec ces humains qui d’ailleurs n’ont rien de spécial à vous dire. Pas de message ici, pas de discours, mais des questions plutôt. De la poésie, de la simplicité, dans de drôles de cérémonies joyeuses, où le sérieux n’est pas de mise, mais où on ne se voilera pas la face. La grâce est décidément un instant rare dont il serait dommage de se priver. Prenez place !

Joanna Selvidès

 

 

Pour en (sa)voir plus : barodevel.com