La Déviation © Le Parpaing Libre

La Déviation

La Déviation : un rêve en chantier

 

La Déviation, c’est le nom d’un lieu atypique coincé dans la rocaille de calcaire du haut du Chemin de la Nerthe, à la sortie de l’Estaque et avec vue sur mer. Le nom aussi d’un rêve qui se concrétise.

 

En sortant de leurs études de mise en scène et d’architecture, Malte, Lauren et Vincent font le pari un peu fou d’habiter autrement et ensemble. Mais aussi ensemble autrement. Dans un lieu où chacun pourrait venir travailler, expérimenter de nouvelles formes, jouer de la guinguette, mais aussi habiter. Faire de leur lieu d’art un lieu de vie, et réciproquement.

Quatre ans après le début du projet, ils sont rejoints par d’autres doux aventuriers — pas que rêveurs, mais bel et bien bâtisseurs de rêve, celui qu’ils s’inventent. Ils sont une quinzaine, ont entre vingt-cinq et quarante ans, et ils sont là pour expérimenter un nouveau modèle de propriété, dite de l’usage : c’est-à-dire que la propriété est légitimée juridiquement par l’usage qu’en fait le collectif propriétaire — ici le Parpaing Libre, l’association qui fédère la Déviation, et le CLIP — et non par l’argent. C’est donc le projet de vie qui devient le moteur de l’aventure et non sa monétisation. Ainsi, chacun devient propriétaire tant qu’il est au sein du projet, mais ne le sera pas en dehors de celui-ci. Vaste entreprise que voilà… Alors, en 2019, qu’en est-il ?

Après une collecte de fonds réussie et l’obtention de micro prêts privés court-circuitant de fait le système d’emprunt bancaire, la bande du Parpaing Libre fait l’acquisition de cette ancienne cimenterie et finalise les nécessaires et importants travaux. À ce jour, d’un chantier collectif à l’autre, en passant par un entretien quotidien, ils ont donc réussi à aménager les espaces de création tandis que leur propre habitat reste modeste, en mode « village-de-caravanes-avec-vue » surplombant la mer ; leur utopie est ainsi concrétisée. Précisément, dans ces espaces communs mutualisés, on trouve un grande salle de fête où se déploie la Guinguette, des espaces de recherche artistique (un atelier d’arts visuels en construction avec sa chambre noire, une salle de danse, un studio de musique, un plateau de théâtre permettant d’accueillir un peu de public pour les sorties de résidence), mais aussi un dortoir à prix libre, une cuisine à partager, un jardin, et même un petit poulailler à flanc de collines. « Ici, chacun arrive avec ses compétences, mais aussi et surtout avec son désir de se construire », explique Jules, qui est arrivé là il y a deux ans, « pour rendre service et faire l’élec’ », et qui est rentré dans l’aventure après s’être fait coopter à l’unanimité selon la règle d’admission que le collectif s’est donnée. Sourire aux lèvres, cheveux d’ange et yeux clairs, il nous parle du credo de la Déviation, en parlant toujours de « l’un de nous », comme si personne n’était jamais fondu dans la masse d’un groupe ou sous un étendard, mais bien plutôt un individu qui s’associe à d’autres.

Aujourd’hui, bien déterminés à poursuivre leur exploration artistique et sociétale, ils voudraient montrer un exemple du vivre autrement, en réunissant voisins de l’Estaque et curieux venus du centre-ville. Ici, point de ligne artistique prédéfinie, tout au contraire ! Foin d’institutionnalisation, place à l’expérimentation, à ce qui est à la marge, à l’instar de leur situation géographique, en lisière de ville. Ici, si on n’y habite pas, on vient pour pratiquer le chant, le théâtre, la danse butô, le contact-improvisation, mais aussi la milonga, les textes de Robert Walser et les soirées cabaret-match d’impro entre voisins, boire un verre ou deux, ou encore se régaler d’un concert inédit de Fantazio avec De La Crau et Manu Théron. Ce lieu devenu refuge se veut donc ouvert à tout ou presque, en tout cas ouvert à tous ceux qui veulent venir en amis de cette idée du commun et de ce vœu de société, avec pour fondement « l’évidence et la preuve qu’on peut faire autrement puisqu’on fait autrement. » Dont acte.

 

Joanna Selvidès

 

La Déviation : 210 chemin de la Nerthe, 16e.

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